40 ANS APRÈS SON PREMIER BUDGET: REGARDS SUR LES ANNÉES PARIZEAU

Jacques Parizeau a contribué, en tant que conseiller du gouvernement, à la préparation de budgets du Québec dans les années 1960, et il en a présenté lui-même huit sous le chapeau de ministre des Finances, dont le premier le 12 avril 1977, il y a 40 ans. En écrivant lui-même chacun de ses discours budgétaires, il a marqué la manière de présenter les budgets du Québec. Sa plume claire et puissante lui a même valu une critique littéraire élogieuse dans Le Devoir!

Pour l’histoire, il devient intéressant de relire ses discours budgétaires et d’en analyser les constats qu’il y faisait sur l’état des finances publiques, l’épargne et l’incitation au travail. Ceux-ci témoignent qu’il avait à cœur la bonne santé économique du Québec. Certains d’entre eux restent encore aujourd’hui d’une grande acuité comme s’ils avaient été écrits récemment, d’autres révèlent les avancées du Québec depuis.

Les grandes notions de finances publiques

On dit souvent que Jacques Parizeau, ayant étudié au London School of Economics, avait une approche keynésienne et un regard différent sur les grandes notions de finances publiques.

Pour donner un peu de perspective, on ne peut cacher qu’ayant eu à produire ses budgets dans la foulée de crises pétrolières et de récessions, les déficits réalisés sous sa gouverne mesurés en proportion du PIB s’avèrent les plus importants que le Québec ait connus.

Dans son premier discours (1977), le constat général était assez fort « Le niveau élevé des coûts des services publics, de l’effort fiscal et de l’endettement du Québec constitue un héritage bien lourd ». En conséquence, Jacques Parizeau allait même jusqu’à dire « Il faut siffler la fin de la récréation. La remise en ordre est non pas seulement importante pour assurer et maintenir le crédit du Québec et de ses institutions, mais elle est essentielle à la réalisation des objectifs politiques du nouveau gouvernement ».

Toujours dans son premier discours, de manière très claire, il soulignait : « Il n’y a vraiment qu’une seule façon de dégager une marge de manœuvre : c’est de sabrer dans les programmes existants et de réformer la tarification de certains services publics de façon à ce qu’elle reflète mieux le coût encouru par la collectivité ». Difficile d’utiliser une formulation plus claire!

Il poursuivait dans les années suivantes ses sévères constats affirmant même (1980) qu’avant son arrivée en poste « Le secteur public québécois avait complètement perdu les pédales ». Il justifiait donc la nécessité de remettre de l’ordre dans la politique budgétaire (1979) « Une foule de programmes se sont épaissis sans que l’on sache trop pourquoi, simplement parce qu’ils étaient là. Le personnel s’est accumulé dans des anses ou des baies administratives parce que le courant y était moins fort qu’ailleurs ». Ici, sa plume faisant référence aux anses et au courant marin ne peut que faire sourire!

Dans son discours (1983), il indiquait « Il reste encore à remettre en cause certaines pratiques de gestion dans le secteur public, à poursuivre des réductions de personnel là où il en reste trop, et à remettre en question certains programmes de dépenses dont il n’est pas évident qu’ils soient nécessaires ». Au terme de son dernier discours (1984), il reconnaissait que « maintenant, nous avons ramené le coût des services publics à un niveau plus comparable à ce qui se fait ailleurs en Amérique du Nord. […] Cependant, le contrôle de l’expansion des dépenses devra impliquer que l’on procède chaque année à l’examen sélectif d’un certain nombre de programmes et d’autre part, que l’on suive de près l’administration des programmes existants ». Procéder à un examen annuel des programmes, tiens donc!

En matière de fiscalité, le constat de son premier discours (1977) était manifestement très limpide : « Les écarts sont tellement élevés qu’il n’est nul besoin de faire la preuve que, dans aucune autre province, le fardeau fiscal combiné provincial et municipal n’est aussi lourd qu’au Québec ». Il soulignait même que « [la tarification] avait été largement sous-utilisée et qu’on avait laissé croire indûment aux contribuables que les services publics étaient gratuits ». Recourir davantage à la tarification, un débat qui dure depuis des décennies!

Dans son dernier discours (1984), il indiquait que «[…] nous avons l’habitude de voir le système québécois d’impôt des particuliers être dénoncé de toutes parts, parce qu’il est trop lourd, trop progressif et parce qu’il ne favorise pas suffisamment les familles. […] [C]’est la raison de la préparation d’un Livre blanc sur la fiscalité des particuliers ». L’ironie a voulu que ce dernier soit rendu public par son successeur, Yves Duhaime!

Jacques Parizeau n’est pas silencieux au sujet des pressions sur la dette. Dès son premier discours (1977), il souligne : « [O]n voit maintenant venir le jour où les prestations [des régimes de retraite des enseignants et des fonctionnaires] pèseront lourd sur les budgets et il arrivera qu’elles représenteront un fardeau insupportable. Les projections pour les années à venir du montant total des engagements sont franchement effrayantes. Il est donc plus que temps de s’attaquer à contrôler cette sorte d’explosion de l’endettement à venir de l’État ». Il poursuivait (1979) en soulignant « Le deuxième grand objectif du budget a trait à la poursuite de l’assainissement du déficit actuariel des fonds de pension administrés par le gouvernement. […] C’est là l’une des pièces maîtresses de la remise en ordre des finances du Québec à laquelle le gouvernement s’est adressé ».

Ces dernières années, il a été maintes fois souligné que Jacques Parizeau voyait notamment le déficit zéro comme un dogme ou encore le discours sur la dette comme trop alarmiste. Cela dit, s’il croyait au déficit pour stimuler l’économie à court terme et l’endettement comme outil de développement économique, le regard d’aujourd’hui sur les discours budgétaires révèle un homme qui a dû naviguer dans une mer économique trouble et qui a posé plusieurs gestes contre la dérive budgétaire.

L’épargne et le capital de risque

Jacques Parizeau a innové en matière de fiscalité en créant le Régime d’épargne-actions et le crédit d’impôt pour le Fonds de solidarité de la FTQ.

En 1976, il est mis au courant d’une étude du président de la Bourse de Montréal qui mesure les habitudes d’investissement québécois : peu de francophones ont des actions. Il juge qu’un rattrapage est nécessaire. Parmi les autres constats, il note un manque constant de capital de risque et que les entreprises québécoises peinent à franchir l’étape pour passer de moyenne entreprise à grande entreprise. En fonds de trame, il constate aussi que le fardeau fiscal des contribuables à hauts revenus s’était accru.

Dans son discours (1979), il propose comme solution la création du Régime d’épargne-actions (RÉA) qui poursuivait trois objectifs : la hausse de la participation des Québécois au marché boursier; une meilleure capitalisation des entreprises québécoises et la réduction du fardeau fiscal des contribuables à hauts revenus, mais seulement pour ceux qui acceptent d’investir dans les entreprises québécoises! Il indique alors « On devrait ainsi désamorcer l’espèce de révolte des biens nantis à laquelle on assiste depuis un an. La courbe d’impôt sur le revenu des particuliers va demeurer très progressive. […] Il y a moyen, cependant, pour ceux qui ont des revenus élevés, d’abaisser substantiellement leurs impôts : c’est d’investir dans le Québec […] L’investissement au Québec deviendra davantage payant. » 

Manifestement, ce programme a accéléré la croissance d’entreprises y ayant eu accès, que l’on pense à Cascades ou à Couche-Tard. Il m’a d’ailleurs confié que les émissions de capital-actions des moyennes entreprises rendues possibles par le RÉA constituaient, sur le plan économique, l’une des choses les plus importantes qu’il ait faites.

Cela dit lorsqu’on lui posait la question, 25 ans après sa création, quant à la pertinence du RÉA, il disait simplement, il faut l’évaluer en fonction de l’ensemble de l’offre de capital de risque existant.

Un autre élément de fierté pour Jacques Parizeau était la création des fonds fiscalisés de travailleurs. Cette initiative a eu un bon effet pour développer du capital de risque pour les entreprises québécoises de moyenne dimension. Les fonds fiscalisés ont également entraîné la formation de quelques milliers d’employés dans le secteur financier. De plus, il intégrait dans son analyse d’autres conséquences bénéfiques telles que la sensibilisation des syndiqués aux réalités financières des entreprises. Trop souvent, ces considérations échappent au calcul économique.

L’incitation au travail

Comme ministre des Finances, Jacques Parizeau a été sensibilisé aux interactions entre la politique fiscale et l’incitation au travail. Dans son discours (1983), il indiquait que « La sagesse populaire veut qu’à cause de la conjonction de l’impôt qui croît et des avantages qui décroissent quand le revenu s’élève, il n’est guère intéressant pour les chômeurs ou les assistés sociaux de se remettre au travail, même quand le travail est disponible; on souligne aussi souvent que d’obtenir une promotion n’est pas particulièrement incitatif sur le plan financier, même si le revenu initial est assez faible. De telles réactions sont très sérieuses et doivent être examinées. Après tout, une société doit être en mesure de reconnaitre et de promouvoir l’intérêt financier au travail. »

Pour cela, il faut comprendre la notion relative au taux marginal implicite d’imposition qui peut être résumée comme étant le montant des impôts et des cotisations à payer ainsi que les montants de crédits d’impôt et de programmes sociaux sacrifiés pour chaque dollar de revenu supplémentaire.

Jacques Parizeau avait une façon bien à lui de raconter la problématique des taux implicites à mes étudiants et comment il y avait été sensibilisé.

Il racontait l’histoire, comme elle se passait trop souvent à l’époque, d’une femme qui une fois « lâchée » par son mari avec deux enfants se retrouvait sur l’aide sociale. Voulant travailler, elle accepte un emploi de vendeuse. N’aimant pas trop le contact avec les clients, elle suit des cours du soir et devient secrétaire, puis secrétaire de direction. On voudrait tous que ça se produise comme ça disait-il. Après ce préambule, il expliquait l’effet des impôts et des prestations par tranche de 100 $ du cheminement de cette personne monoparentale. Le résultat était affolant : elle subissait, dans certaines zones, une hausse de prélèvements égale, en moyenne à 1,40 $ pour chaque dollar additionnel de revenu qu’elle allait chercher.

Il commentait que pour rester sur le marché du travail, il fallait que cette personne soit une sainte, une héroïne ou qu’elle ne sache pas compter!

Tel un narrateur satisfait d’avoir capté l’attention de la salle, il concluait que le fonctionnaire ayant fait les calculs lui avait écrit sur un bout de papier « c’est fou » et qu’il avait démissionné!

Évidemment, l’un comme l’autre savions que ce phénomène a été corrigé partiellement depuis. J’aurais aimé discuter avec lui du « bouclier fiscal » proposé au terme des travaux de la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise que j’ai eu l’honneur de présider en 2014.

La réforme de la fiscalité au Québec

Ma dernière discussion avec Jacques Parizeau a eu lieu pendant les travaux de la Commission.

Déjà, son livre blanc sur la fiscalité proposait de réduire l’impôt sur le revenu et d’accroître l’importance des taxes à la consommation. Il fallait chercher à savoir s’il partageait toujours cette vision.

Bien qu’il ait toujours accordé beaucoup d’importance à l’imposition des revenus et à son rôle redistributif, la taxe à la consommation constituait pour lui la meilleure forme d’imposition puisqu’elle lui apparaissait moins dommageable et qu’elle offre l’avantage de ne pas gêner le commerce international des produits et services québécois. Pour lui, ce n’est pas un hasard que la plupart des pays recourent à la TVA.

Jacques Parizeau savait que si l’impôt sur le revenu est si dominant au Québec c’est parce que la progressivité de l’impôt est rapide. Dans son dernier livre, publié en 2009, il indiquait « Il est évident, par exemple, que le taux maximum d’impôt au Québec est atteint trop tôt (…) la pente est trop raide, le fardeau est trop lourd pour les revenus moyens (…) Corriger le tir va coûter très cher et ne pourra être fait que graduellement et en faisant appel à d’autres sources de taxation. Je veux parler, bien sûr, des taxes sur les transactions, dite taxe sur la valeur ajoutée (TVA) [TVQ au Québec] ».

La réforme de la fiscalité québécoise, pour lui, devrait contenir une baisse substantielle de l’impôt sur le revenu et s’attarder notamment à la courbe de la progressivité. L’augmentation de la TVQ permettrait de constituer une cagnotte pour financer une réforme fiscale. Après réflexion sur la faisabilité politique, il était affirmatif pourvu qu’il y ait une compensation sous la forme de crédit d’impôt et que le reste des sommes dégagées aille entièrement à diminuer l’impôt sur le revenu. Il faut que ça soit perceptible pour les contribuables, idéalement important et visible, tout en respectant des objectifs, comme celui de réduire le fardeau trop lourd pour les revenus moyens.

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J’ai connu Jacques Parizeau après sa vie politique. Je retiendrai toujours de mes échanges avec lui, outre son sens hors du commun de la vulgarisation, son esprit vif et sa capacité de cerner les enjeux importants. À ses yeux, il fallait identifier un problème et mettre le paquet pour le régler. Il disait « à problème majeur — solution majeure ».