À LA DÉFENSE DES POLITICIENS

Maints commentateurs publics, incluant des universitaires, reprochent régulièrement aux politiciens de prendre des décisions à des fins électorales ou d’ordre strictement politique. Leurs critiques m’apparaissent superficielles puisque les politiciens ne font qu’exercer un métier difficile à l’intérieur du cadre établi.

Le jeu de la politique

Au moment d’écrire ces lignes, les jeux olympiques viennent de se terminer. Quel était l’enjeu des participants ? C’était d’avoir une excellente performance pour gagner une place sur le podium des médaillés et ainsi passer à l’histoire. Ceci demande un entraînement soutenu dans le cadre des règles de la discipline.

N’est-ce pas la même dynamique pour les participants au jeu politique ? Ils visent le podium de la victoire en ayant constamment cet objectif dans leurs actions. Leur présence sur le podium peut être d’ailleurs de courte durée, moins de neuf mois au fédéral pour le premier ministre Joe Clark et moins de deux ans au provincial pour la première ministre Pauline Marois. On ne bénéficie pas d’une sécurité d’emploi.

David Levine a fait un bref stage en politique provinciale à titre de ministre non élu délégué à la Santé et aux Services sociaux. Dans son autobiographie, il témoigne de l’objectif central des élus : « Une fois élus, les politiciens pensent constamment à leur réélection et plusieurs décisions du gouvernement sont fonction de cette préoccupation. » (p. 183)

Peut-on reprocher aux politiciens de répondre aux règles du jeu de leur environnement ? Les commentateurs sur leurs actions se prononcent souvent comme s’ils voulaient appliquer les règles du jeu de bridge quand se déroule une partie de poker. Ils manquent de pertinence en se référant à une conception utopique ou romancée de la politique.

Les difficultés de l’agrégation des préférences

Les politiciens sont au cœur des processus politiques qui sont un mécanisme d’agrégation des préférences et des environnements variés des citoyens. En plus des problèmes de l’information incomplète, une agrégation sur de multiples dimensions est susceptible de donner des résultats contradictoires ou incohérents.

De plus, les électeurs épousent différents biais. L’économiste Bryan Caplan identifie quatre familles de croyances qui sont généralement partagées par les votants : la dépréciation des pouvoirs des processus de marché, la peur d’établir des relations avec l’étranger, le recours au nombre de travailleurs comme critère d’évaluation au lieu de la rentabilité et enfin, la tendance à surestimer la sévérité des problèmes.

Il n’est donc pas surprenant que les décisions des politiciens ne suivent pas les préceptes de la morale économique en raison du désir de réélection. Leur environnement ne s’y prête pas.

Modifier les règles du jeu

Lors de son discours de réception du Prix Nobel, James Buchanan a livré aux économistes ce conseil :

Réduit à l’essentiel, le message de Wicksell était clair, élémentaire et de soi. Les économistes devraient cesser de proférer des conseils stratégiques comme s’ils étaient utilisés par un despote bienveillant, et ils devraient se tourner vers la structure dans laquelle les décisions politiques sont prises.

Peut-on modifier les règles du jeu politique pour obtenir de meilleures décisions ?  C’est comme une partie de hockey qui se déroule différemment selon que les règlements permettent ou non les mises en échec. Toutefois, toute réforme est susceptible d’engendrer des conséquences inattendues.

Donnons deux exemples de modifications des règles du jeu politique : la Charte canadienne des droits et libertés et la Loi sur l’équilibre budgétaire du Québec. L’introduction de la Charte dans la Loi constitutionnelle de 1982 est venue contraindre les décisions du politique.

C’est ainsi qu’en 1988, la Cour suprême a déclaré inconstitutionnel l’article du Code criminel criminalisant l’avortement, même si cet article se retrouve encore dans le Code. Le Parlement juge avantageux de ne pas légiférer sur ce sujet controversé. Ce précédent de déresponsabilisation du pouvoir législatif par rapport aux décisions du pouvoir judiciaire peut se multiplier dans le futur.

En adoptant en 1996 la loi qui a maintenant le nom de Loi sur l’équilibre budgétaire, les politiciens du Québec se sont contraints en interdisant les déficits budgétaires tout en prévoyant des exceptions lors de circonstances particulières. C’est une mesure qui permet de limiter l’expansion des dépenses publiques.

Conclusion

Ce texte a voulu montrer que l’opprobre des commentateurs publics envers les actions des politiciens repose sur une conception utopique ou romancée des processus politiques. Les politiciens mettent leurs énergies à satisfaire de différentes façons les votants à l’intérieur des présentes règles du jeu de l’environnement politique et d’un monde de connaissances imparfaites.

Les commentateurs, en particulier les économistes, devraient suivre le conseil déjà mentionné de Buchanan de « se tourner vers la structure dans laquelle les décisions politiques sont prises ».

Est-ce trop compliqué ?

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