A LA RECHERCHE D’UN SUPER INDIC

Dans la vie, y’a pas rien que l’argent (Le boss)

-Yvon Deschamps, monologue L’argent

 Les économistes aiment les chiffres. Et aucun n’a davantage leur prédilection que celui du produit intérieur brut (PIB) et ses différents avatars et déclinaisons : PIB en parité de pouvoir d’achat, croissance du PIB, PIB per capita, revenu disponible, etc.

Pourtant, les manuels d’économie et les cours Econ 101 reconnaissent depuis longtemps les imperfections du PIB. Celui-ci a l’inconvénient d’accorder la même importance aux événement heureux et aux désastres: un tremblement de terre contribue autant, et souvent davantage, au PIB que l’implantation d’une nouvelle usine. De plus, le PIB ignore un grand nombre d’activités importantes pour la société et l’économie : bénévolat, économie sociale non marchande, tâches ménagères, travail au noir, impacts environnementaux, etc.  Bref, le PIB présente la société à travers un prisme déformant et réducteur. Par leur fixation sur cet indicateur vedette, les économistes, les politiciens et les journalistes sont accusés de verser dans un économisme qui détourne la société et les gouvernements de ce qui devrait être le véritable objectif, soit un progrès social véritable et durable ou, pour utiliser le langage populaire, la poursuite du bonheur pour tous.

Depuis quelques années, les milieux politiques et les chercheurs semblent préoccupés par la nécessité de trouver une meilleure mesure du progrès des sociétés que le seul produit intérieur brut. Cet intérêt s’est traduit par des recherches et des initiatives dans différentes directions – mieux-être, développement humain, satisfaction, progrès véritable, qualité de vie, etc. – mais toutes ont pour dénominateur commun de vouloir mesurer autre chose que la seule croissance matérielle.

Ainsi, au niveau des organismes internationaux, l’Union européenne poursuit depuis 2007 le projet «Au-delà du PIB» visant à mettre au point des indicateurs tenant compte de dimensions telles que le développement durable et le développement social ( ). De même, le G20 a émis des appels répétés (2009, 2010, 2011) à la mise au point d’indicateurs de progrès plus complets que le PIB et que les autres étalons de mesure axés strictement sur des variables économiques et. De son côté, l’OCDE a mis au point un indicateur du «vivre mieux».

Au niveau national, le président français Sarkozy a fait appel en 2009 à Joseph Stiglitz et Amartya Sen, tous deux prix Nobel d’économie, pour recommander des indicateurs susceptibles de mieux refléter le progrès réel des sociétés. Au Royaume-Uni la coalition conservatrice au pouvoir a décidé de mener des enquêtes auprès de la population pour mesurer ses sentiments de bonheur, de satisfaction et de bien-être. Récemment, c’était Ben Bernanke, président de la Fed, qui estimait que les indicateurs économiques classiques, notamment le produit intérieur brut (PIB), ne rendaient pas suffisamment compte du «bien-être» réel de la population[1].

Le Québec n’est pas en reste. À l’occasion du dépôt du Budget 2011-2012, Raymond Bachand, alors ministre des Finances, déclarait que, ultimement, le bonheur du peuple compte davantage que l’équilibre budgétaire. S’il avait osé prolonger sa pensée, monsieur Bachand aurait pu poser directement la question : le bonheur intérieur brut (BIB) doit-il avoir préséance sur le produit intérieur brut (PIB)? Au cours de la dernière campagne électorale, François Legault abordait indirectement et d’un autre point de vue la même question quand il s’inquiétait de ce que les Québécois soient davantage intéressés à faire la belle vie plutôt qu’à faire des efforts de création de richesse.

Chose curieuse cet intérêt des pouvoirs publics pour le bonheur et la qualité de vie survient au même moment que la pire crise économique depuis celle des années 1930. Du moins dans les pays dits développés aux prises avec une concurrence irrésistible des pays émergents. Peut-être commence-t-on à s’intéresser au bonheur et à la qualité de vie quand on perd au jeu du PIB?

Quoi qu’il en soit des raisons profondes derrière cette quête d’un indicateur de remplacement au PIB, les économistes ne pouvaient rester indifférents à la question. En mai 2012, l’hebdomadaire The Economist mettait au vote sur sa tribune électronique la question suivante : «Croyez-vous que de nouveaux indicateurs sont nécessaires pour mieux mesurer le progrès économique et social ? 83% des répondants ont opiné par l’affirmative (http://econ.st/l5ZQ0W).

De plus en plus, les chercheurs s’intéressent au bonheur et à ses liens avec les politiques publiques. Ainsi, au Canada, le Centre d’étude des niveaux de vie (CENV) a tenu en février 2011 un important colloque sur le thème «Happiness as a Goal for Public Policy : Ready for Primetime?»[2].

Dans la même veine, la section de la Capitale-Nationale de l’Association des économistes québécois tenait un diner-conférence et un forum sur invitation les 30 et 31 mai derniers sur les thèmes de la mesure du progrès et du bien-être des sociétés et du développement d’un indicateur de mieux-vivre pour le Québec.    Les présentations effectuées lors de ces évènements sont disponibles sur le site de l’Association ( ). Ces présentations ont permis d’en savoir davantage sur les travaux de l’OCDE, du CENV et de certains chercheurs. Dans différents articles à venir au cours des prochaines semaines, nous puiserons en partie dans ces présentations  pour aborder différentes questions soulevées par la recherche d’un indicateur de progrès plus performant que le PIB.


 


[1] Selon un communiqué de l’AFP reproduit dans La Presse du 6 août 2012.

[2] Un compte rendu du colloque est disponible à l’adresse http://w1p.fr/74815 .