J’aimerais tout d’abord remercier l’ASDEQ, et en particulier Marie-France Germain et Jean-Michel Cousineau, pour cette opportunité qui m’est offerte de contribuer aux activités de l’association dans le cadre du blogue Libres Échanges . Cela procure, il me semble, une excellente opportunité de mettre en valeur certains des travaux de recherche effectués dans nos milieux universitaires pour « informer », et peut-être même influencer, certaines des mesures et politiques économiques prises par nos dirigeants.
Équité du financement des services de garde au Québec
J’aimerais consacrer ce premier blog à la question de l’équité du financement des services de garde (SDG) des enfants au Québec. Ce sujet m’est inspiré par un projet de recherche que j’ai eu la chance de développer avec Nicholas-James Clavet – chercheur au CIRPÉE et à l’Université Laval – au cours des trois dernières années. Ce projet a été financé par le Fonds québécois de recherche sur la société et la culture (FQRSC) dans le cadre d’une action concertée sur l’évaluation d’impacts de politiques publiques sur la santé et le bien-être de la population. Nicholas-James et moi-même sommes reconnaissants au FQRSC ainsi qu’à ses partenaires, le Ministère de la Santé et des Services sociaux et le Fonds de recherche en santé du Québec, pour leur appui.
Il y aurait beaucoup à dire sur la question de l’équité du financement des SDG. Il est assez connu par exemple que tous ne bénéficient pas des investissements considérables effectués dans ce domaine par le gouvernement du Québec au cours des 15 dernières années. C’est le cas par exemple des familles qui ont elles-mêmes la charge de leurs enfants à la maison et dont l’investissement personnel ne bénéficie pas du même appui de la part des politiques actuelles. Il est par ailleurs moins connu que même parmi les familles dont les enfants sont gardés à l’extérieur de la maison, toutes ne reçoivent pas le même appui public. L’importance de l’appui dépend en effet de l’intensité de la participation au marché du travail (temps partiel, temps complet), mais aussi du type de SDG que fréquentent les enfants.
Mesures actuelles de financement
Pour nous aider à nous y retrouver, rappelons tout d’abord que le système actuel de financement des SDG comporte trois mesures principales, soit la déduction fédérale d’impôt pour frais de garde, le crédit provincial d’impôt pour frais de garde, et les subventions directes aux Centres de la Petite Enfance (ce qui finance les places à 7 $ en CPE).
La déduction fédérale considère les frais de garde comme des coûts à travailler, et réduit donc le revenu imposable des familles de la valeur de ces frais, jusqu’à un maximum de 7 000 $. Cette mesure a donc comme objectif de traiter de façon horizontalement équitable (c’est-à-dire, égale) toutes familles ayant le même revenu après frais de garde.
Le crédit provincial d’impôt accorde une réduction d’impôt qui égale les frais de garde encourus fois un taux de crédit. Contrairement à la déduction fédérale, cette mesure impose différemment de familles ayant le même revenu après frais de garde. Toutefois, en raison du taux élevé de crédit qui s’applique pour les familles à faible revenu (75 % pour des revenus ne dépassant pas 29 000 $, un taux qui décroît ensuite jusqu’à 26 % lorsque le revenu familial dépasse 80 000 $), le crédit d’impôt provincial subventionne la participation au marché du travail des membres des familles à plus faible revenu et encourage donc leur travail (relativement à l’effet de la déduction fédérale).
Le crédit provincial n’est donc pas horizontalement équitable à travers les familles disposant du même revenu après frais de garde, mais il est davantage redistributif d’un point de vue vertical de par la structure fortement décroissante de ses taux de crédit.
L’effet du financement direct des CPE
La composante la plus connue du financement des SDG au Québec est bien sûr le financement direct des CPE. L’avantage que retire une famille de ce financement dépend évidemment de si l’enfant fréquente un CPE. Dans la plupart des cas, la fréquentation d’un CPE attire aussi davantage de financement public que la fréquentation d’un autre type de milieu de garde. Il se trouve aussi que le financement direct octroyé par le gouvernement dépend du type de CPE. Les données indiquent par exemple que les CPE en installation sans but lucratif peuvent recevoir une subvention s’élevant jusqu’à 150 % de la valeur des subventions versées aux autres types de CPE (en milieu familial ou en installation à but lucratif). Le Tableau 1 présente la distribution de ces coûts en 2004.
Tableau 1: Description de la répartition des coûts des SDG ($ de 2004)
Type de garde | Coût payé par jour par la famille | Coût payé par jour directement par le gvt | Coût total par jour | |||
CPE en milieu familial | 7 | 0 | 20 | 56 | 27 | 56 |
CPE en inst. sans but luc. | 7 | 0 | 37 | 38 | 44 | 38 |
CPE en inst. but luc. | 7 | 0 | 28 | 04 | 35 | 04 |
Garderie priv. en milieu fam. | 27 | 56 | 0 | 0 | 27 | 56 |
Garderie priv. en inst. sans but luc. | 44 | 38 | 0 | 0 | 44 | 38 |
Garderie priv. en inst. but luc. | 35 | 04 | 0 | 0 | 35 | 04 |
Garde apparentée | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
Graphique 1: Revenus nets d’impôts, de transferts et de frais de SDG d’une femme monoparentale selon que les SDG soient en CPE, en garderie privée sans but lucratif, ou en garderie privée en milieu familial ($ de 2004)
La structure de financement des SDG au Québec et la répartition de la fréquentation des types de services de garde à travers les familles font en sorte que l’impact des subventions directes aux garderies à sept dollars varie selon les familles. Les Graphiques 1 (femmes monoparentales) et 2 (femmes en couples) présentent les revenus nets des impôts, des transferts et de coûts des SDG de deux familles selon le nombre (moyen) d’heures travaillées par semaine. Cela permet de visualiser la contrainte budgétaire de ces familles et de saisir les implications financières du financement des SDG au Québec. (Les détails des calculs peuvent être consultés à http://www.ecn.ulaval.ca/~jyves/publications/svgarde-publ01.pdf)
Le Graphique 1 présente (pour 2004) les contraintes budgétaires d’une mère monoparentale avec un enfant d’âge préscolaire, gagnant un salaire moyen (14,37 $/heure), et selon des modes de SDG différents (CPE, garderie privée en installation sans but lucratif, et garderie privée en milieu familial). On y voit qu’une place en CPE n’est avantageuse financièrement que lorsque cette mère monoparentale travaille plus de 40 heures par semaine (25 heures pour une garderie privée en installation sans but lucratif). Sinon, la valeur d’une place en CPE ne dépasse pas celle du crédit provincial et de la déduction fédérale.
Graphique 2: Revenus nets d’impôts, de transferts et de frais de SDG d’une femme en couple avec un homme travaillant à temps plein selon que les SDG soient en CPE, en garderie privée en installation sans but lucratif, ou en garderie privée en milieu familial ($ de 2004)
Le constat est tout à fait différent dans le cas d’une mère en couple gagnant un salaire moyen (16,05 $/heure) et dont le conjoint gagne un salaire moyen (18,68 $/heure) et travaille 40 heures par semaine. On voit dans le Graphique 2 que, pour ces femmes, les subventions directes aux CPE augmentent substantiellement le revenu net de la famille, relativement à des SDG en garderie privée en installation sans but lucratif ou en milieu familial. La différence atteint 7 000 $ par année en revenu net à 40 heures par semaine, ce qui est certainement appréciable.
Des résultats plus poussés renforcent ce constat, mais d’une autre perspective. À l’aide d’un modèle de micro-simulation comportemental représentatif de la population du Québec, et qui incorpore les différents éléments du système de fiscalité et de transferts québécois et canadiens, nos résultats indiquent en effet qu’une abolition des subventions directes aux CPE en mileu familial augmenteraitl’offre de travail des femmes monoparentales utilisant ces services. Leur revenu net augmenterait aussi.
Les CPE en milieu familial sont ceux qui reçoivent le moins de subventions directes. Lorsque ces subventions sont retirées, les personnes utilisant ce type de garde voient donc leur frais augmenter de manière moins marquée que pour les CPE en installation à but lucratif ou non lucratif. De plus, l’effet compensatoire des mesures fiscales de financement des SDG (crédits et déductions d’impôt) surpasse, dans l’exemple considéré plus haut, l’effet de cette augmentation de frais pour les CPE en installation à but lucratif (alors que ce n’est pas le cas pour les autres types de CPE). L’abolition des subventions directes aux CPE rend ainsi le marché du travail plus attirant pour les femmes monoparentales utilisant les CPE en milieu familial.
Naturellement, plus la subvention directe accordée à un type de CPE est élevée, plus l’abolition de celle-ci serait désavantageuse pour les familles le fréquentant. Une abolition de toutes les subventions directes provoquerait une réduction de 1 482 $ du revenu moyen des ménages à deux conjoints, mais de seulement 106 $ du revenu moyen des mères sans conjoint, soit une diminution respective de 3,0 % et de 1,1 % de ces revenus.
Un système de financement direct favorisant les familles mieux nanties
La conclusion principale est donc que le système de subventions directes aux CPE profite plus largement aux familles les mieux nanties. Cette conclusion s’appuie sur deux constats différents. Le premier est que ces subventions directes ne profitent évidemment qu’aux familles qui envoient leurs enfants en CPE, ce qui exclut celles qui n’ont pas accès à un tel service (en raison de rationnement, par exemple) et celles qui ont elles-mêmes la charge de leurs enfants à la maison (et qui ont donc généralement moins de revenus). Le deuxième est que les familles plus pauvres, y compris les familles monoparentales, bénéficient moins du système de subventions directes aux CPE, parce qu’elles fréquentent des CPE qui sont moindrement subventionnés, et aussi parce que ces subventions directes leur sont fiscalement moins avantageuses que pour les familles mieux nanties.