La construction d’un amphithéâtre, comme prélude au retour d’une équipe de la Ligue nationale de hockey (LNH) à Québec, mobilise la scène politique depuis quelques mois.
Depuis la Rome impériale, les politiciens savent que la population aime les divertissements sportifs et que, pendant que les citoyens sont au colisée, ils oublient qu’ils ont faim. Aussi, il n’est guère surprenant que le maire Labeaume, avec la caution de monsieur Charest et de madame Marois, ait décidé de foncer tête baissée dans la construction d’un nouvel amphithéâtre à Québec. Cette décision a soulevé certaines critiques, tant pour l’importance des fonds publics qui seront alloués à ce projet, que pour la manière expéditive dont l’entente de gestion de ce nouvel équipement a été conclue avec la firme Québécor.
Bien mesurer les coûts et les bénéfices
La question du financement, public ou privé, des grandes installations sportives, est aussi soulevée dans un grand nombre d’autres villes en Amérique du Nord. Une étude récente du Conference Boad du Canada est venue jeter un peu de lumière sur cette question. Cette étude établit qu’il n’y a pas de formules uniques et qu’avant de s’engager dans le financement de grands équipements sportifs les gouvernements doivent mesurer soigneusement les coûts et les bénéfices. Compte tenu de ce que les athlètes professionnels sont souvent multimillionnaires, la participation des gouvernements au financement de temples du sport professionnel peut être assez difficile à justifier. L’étude rappelle aussi que dans le contexte budgétaire très serré où évoluent les différentes administrations publiques, les investissements dans les grandes installations sportives ne peuvent se faire qu’au détriment d’autres activités ou équipements d’intérêt public. Au total, la littérature économique tend à indiquer que ces infrastructures sportives ne créent pas d’avantages économiques nets pour la collectivité, surtout si l’on prend en considération qu’il pourra s’agir de simples déplacements d’activités : les amateurs de hockey professionnel réduiront leurs dépenses pour le sport amateur, le cinéma, le théâtre, les restaurants, les spectacles, etc. En contrepartie, l’étude reconnaît que la prise en compte de bénéfices non monétaires ou non mesurables, tels que le prestige conféré à la ville et la qualité de vie des citoyens doivent être pris en compte.
La LNH à Québec : possible mais risqué
Lors d’une présentation devant la section de la Capitale-Nationale de l’Association des économistes québécois, un des auteurs de l’étude, Mario Lefebvre, a abordé le cas particulier de l’amphithéâtre de la ville de Québec. Cette présentation a apporté un éclairage utile à la compréhension de cet épineux dossier.
Ainsi, monsieur Lefebvre a mis en lumière que les perspectives de rentabilité d’une équipe de la LNH à Québec sont sensiblement plus élevées maintenant qu’elles ne l’étaient en 1995, lors du départ des Nordiques pour le Colorado. En effet :
• le dollar canadien oscille maintenant autour de la parité avec le dollar américain alors qu’il se transigeait alors à 70 cents U.S. ; ce facteur ajoutait 30% à la masse salariale de l’équipe puisque la plupart des joueurs exigeaient d’être payés en devise américaine;
• le plafond salarial imposé aux équipes de la ligue fait en sorte que maintenant les équipes évoluant sur de petits marchés sont moins désavantagées qu’elles ne l’étaient par rapport aux équipes des grands centres métropolitains;
• la population de la région de Québec est passée de 680 000 à 750 000 habitants depuis 1995 ce qui accroît sensiblement les chances de rentabilité d’une équipe professionnelle; selon les observations faites par le Conference Board à l’échelle de l’Amérique du Nord, le seuil critique pour la taille du marché est de 800 000 habitants;
• le revenu moyen de la population de Québec a progressé et, sous ce rapport, la région est passée du 8e au 7e rang des grandes villes canadiennes.
Malgré ces divers rattrapages, Québec demeure cependant désavantagée pour ce qui est du nombre de grandes entreprises susceptibles de générer des revenus de publicité et de louer des loges corporatives. La ville ne compte en effet que 17 des 800 sociétés canadiennes les plus importantes, soit moins que toutes les villes canadiennes ayant présentement une franchise de la LNH. Et, comme le révèle l’expérience de Montréal et d’Ottawa, il sera difficile de compter sur les sociétés d’État pour combler la différence.
En somme, la candidature de Québec à l’hébergement d’une équipe de la LNH n’est pas tout à fait irréaliste mais elle demeure un cas limite et les promoteurs n’ont pratiquement pas le droit à l’erreur. Ainsi, monsieur Lefebvre met en garde contre la tentation d’acheter la première concession qui deviendra disponible. Celle-ci risque fort d’être grevée d’importants passifs, comme des contrats à long terme pour des joueurs sur le déclin. Une telle acquisition serait désastreuse pour une équipe à la limite de la rentabilité. En outre, le propriétaire de l’équipe devra être prêt à affronter des déficits à l’occasion.
D’autres question cruciales
Au-delà de la stricte analyse des bénéfices et des coûts de l’investissement dans un amphithéâtre de sport professionnel, d’importantes questions doivent également être posées:
• pourquoi un projet de 400 millions $ alors que d’autres villes ont opté pour des projets de 150 ou 200 millions?
• à quelle hausse de la fiscalité municipale, les résidents de Québec doivent-ils s’attendre pour financer la participation financière de la Ville?
• comment rentabilisera-t-on cet équipement si Québec ne réussit pas à obtenir la concession espérée? De fait, la Ville et les promoteurs privés seront dans une bien mauvaise position de négociation face au gouverneur de la Ligue, Gary Bettman, qui jusqu’à maintenant n’a affiché aucun enthousiasme face aux espoirs des représentants de la Vieille Capitale.
Voilà des questions qui auraient mérité une discussion sur la place publique au moins autant que la légalité de la transaction entre la Ville et Québécor ou la qualité architecturale du nouvel amphithéâtre.
Sans réponses satisfaisantes à ces questions, la Ville de Québec ferait mieux de viser la Ligue nationale d’improvisation plutôt que la Ligue nationale de hockey.