CHAINES MONDIALES DE VALEUR AJOUTÉE ET PROTECTIONNISME : QUELQUES OBSERVATIONS

Les flux mondiaux de commerce et d’investissement sont confrontés à des oppositions inspirées par le nationalisme économique. Ce scepticisme à l’endroit de la libéralisation des échanges a été affirmé clairement par la nouvelle administration américaine, mais il s’est également manifesté dans d’autres endroits dans le monde, incluant au Québec. Faut-il s’inquiéter de ces tendances protectionnistes compte tenu de la grande ouverture des économies québécoise et canadienne aux échanges internationaux? Quelles options s’offrent aux gouvernements fédéral et québécois face aux changements qui risquent de survenir aux conditions dans lesquelles s’effectuent le commerce et l’investissement? Le présent billet aborde ces questions à la lumière de l’examen des chaines de valeur mondiale. 

Les chaines de valeur mondiale et la valeur ajoutée nationale

Les systèmes de production nationaux sont intégrés au sein de chaînes de valeur mondiales et cela fait en sorte que les exportations reposent en partie sur l’importation préalable de biens et de services à titre de fournitures, de composantes ou d’opérations essentielles à l’élaboration des produits finis. À ces intrants importés, les entreprises ajoutent une valeur correspondant aux salaires, aux profits, aux impôts et taxes, et aux intrants qu’elles achètent de fournisseurs nationaux. C’est ainsi que dans le prix de vente d’un bien ou d’un service entrent dans des proportions variables, selon les pays ou les secteurs, une composante « intrants importés » et une composante « valeur ajoutée nationale ». Les travaux effectués par différents organismes permettent de mesurer les parts respectives de ces deux composantes dans différents pays. Les cas des États-Unis, du Canada et du Québec illustrent bien l’importance des intrants importés et les limites que cette importance pose à l’efficacité des mesures protectionnistes.

Les États-Unis

Une étude portant sur l’année 2007, soit avant que la crise financière ne modifie les flux commerciaux, montre l’étroite interrelation entre les exportations et les importations de biens au sein des grandes entreprises américaines[1]. Ainsi, les quelque 2000 entreprises qui exportent le plus (le premier centile des entreprises exportatrices) étaient responsables de 66% des importations américaines de biens. Réciproquement, les 1300 entreprises les plus importatrices (le 1er centile) produisaient 60% des exportations américaines de biens. Selon les auteurs de l’étude, cette étroite corrélation entre l’importation et l’exportation au sein des mêmes entreprises s’explique en bonne partie par le fait que l’exportation exige une grande compétitivité et que celle-ci demande de recourir aux approvisionnements étrangers afin de réduire le plus possible les coûts de production. Pour cette raison, toute mesure protectionniste pourrait avoir pour effet de nuire grandement aux entreprises les plus dynamiques.

Le Canada

La publication récente par l’OCDE et l’OMC[2] de données sur la valeur ajoutée dans les flux de commerce internationaux permet d’apprécier la situation à cet égard pour le Canada. Ces données indiquent qu’en 2011 :

  •  les intrants étrangers représentaient 23,4% de la valeur des exportations canadiennes; cette part est la plus élevée dans les véhicules automobiles (59,4%), les machines électriques (38,7%) et les métaux de base (37,1%); 
  • la part des services dans les exportations canadiennes exprimées en valeur ajoutée s’élevait à 44,9%, un niveau inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE (54,3%);
  • la demande finale étrangère était particulièrement importante pour le secteur manufacturier où elle représentait 50,5% de la valeur ajoutée nationale comparativement à 22,8% pour l’ensemble de l’économie canadienne; cette importance de la demande étrangère atteint 80,8% dans les métaux de base et 74,6% dans les véhicules moteurs alors qu’elle n’est que de 12,9% dans les services aux entreprises et de 16,8% dans le secteur de la finance et de l’assurance;
  • en valeur brute, les États-Unis sont le principal partenaire commercial du Canada (67,1%); toutefois, du fait de l’intégration des chaines de valeur mondiales nord-américaines, cette prédominance du partenaire américain est plus faible quand elle est exprimée en valeur ajoutée (59,9%). 

Le Québec

Un article de l’ISQ[3] permet de mesurer, à partir du modèle intersectoriel du Québec, la valeur ajoutée nationale des exportations, incluant les exportations dans le reste du Canada. L’article met en lumière les observations suivantes, entre autres :

  • en 2016, la valeur ajoutée québécoise représentait 64,6 % de la valeur des exportations vers le reste du Canada et 59,3 % de celle des exportations internationales;
  • la valeur ajoutée québécoise découlant des expéditions dans le reste du Canada provenait principalement des secteurs des « autres services » (58,6%) et de la fabrication (26,7 %); en ce qui  a traite aux exportations internationales, la valeur ajoutée était surtout attribuable aux mêmes secteurs mais dans des proportions différentes, soit 44,2 % pour les «autres services » et 40,2 % pour la fabrication.

Conclusions

Les cas des États-Unis, du Canada et du Québec montrent que la forte intégration mondiale des processus de production fait en sorte que les politiques protectionnistes visant à limiter au maximum les importations risquent d’avoir des résultats différents de ce qui est recherché. De fait, les entreprises exportatrices dépendant fortement d’intrants importés et l’imposition de tarifs ou de quotas sur ces intrants pourrait avoir pour conséquence de réduire la compétitivité des entreprises nationales. Aussi, il est possible d’espérer que la nouvelle administration américaine ne donne suite que partiellement, voire pas du tout, à ses velléités protectionnistes compte tenu des effets négatifs qui en résulterait sur les entreprises les plus dynamiques des États-Unis.

Cependant, si le Canada doit subir des mesures protectionnistes de la part des États-Unis ou d’autres pays, il ne devrait pas rétorquer en imposant à son tour des mesures similaires puisque celles-ci nuiraient à la compétitivité des entreprises canadiennes, notamment celles du secteur manufacturier qui sont très dépendantes des intrants provenant de l’extérieur du Canada.

Des efforts particuliers pour promouvoir les exportations interprovinciales de biens et la poursuite des exportations internationales de services sont indiquées pour le Québec.

La pénétration des chaines nord-américaines et mondiales nécessite une lecture détaillée des marchés au niveau des biens et services des entreprises québécoises et étrangères, dont les entreprises affiliées, d’où un examen des investissement directs étrangers et des efforts pour améliorer la compétitivité et la productivité de nos entreprises. À cet égard de nombreux facteurs jouent, dont le développement de l’économie numérique, la qualité de la main-d’œuvre, les infrastructures multimodales et le régime fiscal[4].


[1] JENSEN, J. Bradford, Importers are Exporters : Tariffs Would Hurt Our Most Competitive Firms, Peterson Institute for International Economics, 7 décembre 2016. https://piie.com/blogs/trade-investment-policy-watch/importers-are-exporters-tariffs-would-hurt-our-most-competitive

[3] GAGNON, Sébastien, Simulation d’une tranche de 1 milliard de dollars en exportations internationales du Québec pour l’année 2016, Institut de la Statistique du Québec, Bulletin du Commerce international de marchandises du Québec, Septembre 2016, volume 17 no 2, p. 5-8. http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/economie/commerce-exterieur/bulletins/comint-vol17-no2.pdf

[4] Une liste plus complète de ces facteurs est énumérée dans M Lefebvre, M. Joanis et L. Godbout, Maximiser le potentiel économique du Québec – 13 réflexions, Les Presses de l’Université Laval, 2016.