COMPARAISONS DE LA PRODUCTIVITÉ DU TRAVAIL : DES PIÈGES À ÉVITER

L’économie du Québec est souvent jugée à partir de comparaisons de sa productivité avec d’autres économies au Canada ou ailleurs. Le présent billet expose quelques-uns des pièges auxquelles ces comparaisons sont exposées.

Rappels de notions de base

La productivité du travail s’obtient en divisant la production par les intrants de travail. La productivité peut se mesurer en valeur ou en volume. Par exemple, si l’on cherche à quantifier la richesse créée par unité de travail à un moment donné, on calcule la productivité du travail en valeur en utilisant les données sur la production évaluée en dollars courants. Par contre, si l’on cherche à déterminer la croissance du volume (nombre d’unités produites) par unité de travail entre deux périodes, on utilise plutôt les données sur la production évaluée en dollars constants ou enchainés[1] [2].

D’entrée de jeu, il faut rappeler quelques notions concernant la mesure de la production ou PIB :

  • Le PIB aux coûts des facteurs est la somme des salaires et traitements, des cotisations sociales à la charge de l’employeur, des revenus mixtes et des autres excédents d’exploitation;
  • Le PIB aux prix de base est égal au PIB aux coûts des facteurs plus les impôts sur les facteurs de production (impôts fonciers, impôt sur la masse salariale, etc.,) moins les subventions sur les facteurs de production (subventions à la formation, subventions pour réduire la pollution, etc.);
  • Le PIB aux prix du marché est égal au PIB aux prix de base plus les taxes sur les produits (TPS, TVQ, taxes sur le carburant, etc.,) moins les subventions versées sur les produits ( subventions pour les produits agricoles, le transport et l’énergie, etc.).

Deux erreurs possibles

Une première erreur à laquelle sont exposées les études sur la productivité est de reposer sur le PIB aux prix du marché.

Les prix de base correspondent à la valeur de la production évaluée à la sortie de l’unité de production, soit aux prix relatifs qui guident l’allocation des ressources entre la production des diverses industries de l’économie. Ils reflètent la réalité du système de production. Au contraire, les prix du marché s’écartent de cette réalité puisqu’ils incluent les taxes nettes sur les produits. En conséquence, le PIB au prix du marché ne peut êre utilisé pour calculer le niveau de productivité du travail.

Un deuxième piège à éviter est l’utilisation du PIB réel (en dollars constants ou en dollars enchainés) pour établir des comparaisons avec la productivité d’autres économies pour une année donnée. Cette méthode est erronée, entre autres, parce que le résultat peut varier selon le choix de l’année de référence des  dollars constants ou des dollars enchainés. Le tableau suivant illustre ce point à partir d’une comparaison de la productivité des secteurs manufacturiers du Québec et de l’Ontario. Il montre que selon l’année de référence choisie on peut aboutir au résultat aberrant que le secteur manufacturier du  Québec est plus productif ou moins productif que celui de l’Ontario pour une année donnée.

Productivité du travail du secteur manufacturier en 1990

 QuébecOntario
Dollars constants (1990)54 39058 525
Dollars constants (1997)66 43663 846

Source : Jules Dufort, Comparaisons pour le secteur manufacturier entre le Québec, l’Ontario, le Canada et les Etats-Unis, Ministère du Développement économique et régional et de la Recherche, mai 2004. Tableaux 1 et 2 http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/bs59116

Les comparaisons par secteurs d’activité: les conditions à respecter

Les comparaisons de la productivité de secteurs d’activité économique particuliers peuvent aussi poser des difficultés. En fait, de telles comparaisons sont possibles seulement lorsque trois conditions sont satisfaites.

Condition 1 : Les biens et services produits ont une valeur marchande couvrant les coûts de production

Cette condition ne se vérifie pas pour les entreprises publiques de santé et d’éducation, les autres entreprises à but non lucratif, l’administration publique,  etc. Elle se vérifie uniquement pour le secteur des entreprises commerciales. Dans le secteur des entreprises commerciales, la valeur ajoutée est obtenue de facon exogène au coût des facteurs (valeur de la production moins la valeur des intrants). Dans le secteur non commercial, elle est évaluée au coût des facteurs. Or, dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de l’administration publique, la masse salariale est de loin la principale composante de la production. Dans ces secteurs, les écarts de production par heure travaillée reflètent donc les écarts de la rémunération horaire et non pas des écarts de productivité.

Condition 2: Le panier de biens et services produits est identique

Cette condition ne se vérifie pas dans la réalité. Pour contourner ce problème, il  faut  alors corriger les écarts de PIB par heure travaillée pour tenir compte des différences de structure industrielle. Pour éliminer les différences de structure industrielle dans le cas des comparaisons Québec-Ontario, on peut  calculer les niveaux de productivité en valeur au niveau d’agrégation 3 du Système de classification des industries de l’Amérique du Nord (environ 20 secteurs)[3]. Par la suite, à partir de ces niveaux de productivité observés, il faut calculer ce que serait le niveau de productivité au Québec si les heures travaillées au Québec se répartissaient comme en Ontario entre les différents secteurs. On compare ensuite ce niveau théorique du niveau de la productivité au Québec avec celui observé en Ontario. Ainsi, les écarts éventuels dans la richesse produite par heure travaillée ne sont pas attribuables aux différences des structures industrielles québécoises et ontariennes mais bien aux écarts de productivité réels par industrie dans la mesure où la condition 3 est respectée.

Condition 3: Les prix de vente sont les mêmes

En raison de la forte concurrence pour le commerce des biens découlant de la mondialisation et de la concurrence interprovinciale, cette condition se vérifie mieux  dans le secteur des biens que dans celui des services. Ainsi, dans le secteur des services, les prix peuvent avoir  tendance à être plus élevés en Ontario qu’au Québec. Cette situation découle de la moins grande concurrence internationale et interprovinciale dans le secteur des services et du revenu par habitant plus élevé en Ontario. Les écarts de PIB par heure travaillée du secteur des entreprises commerciales mesurent donc mieux les écarts de productivité réelle entre le Québec et l’Ontario dans le secteur des biens que dans celui des services. Dans le secteur des services, les écarts de PIB par heure travaillée mesurent plutôt les écarts de richesse par heure travaillée. Mais, malgré cette réserve, ils peuvent fournir une approximation des différences de productivité.

Conclusions

Le calcul des écarts de la productivité du travail entre le Québec et d’autres économies doit reposer sur une méthodologie rigoureuse et tenir compte des  différences de structure industrielle. L’interprétation de ces écarts demeure toutefois difficile en ce qui concerne le secteur des services. Aussi, il faut calculer le niveau de productivité dans le secteur des biens séparément du niveau de productivité dans le secteur des services. Par ailleurs, on peut aussi calculer de la même façon la rémunération des facteurs de production comme par exemple la rémunération du travail en incluant les cotisations sociales à la charge de l’employeur.


 


[1] Pour l’ensemble des définitions, voir les glossaire de Statistique Canada (http://www.statcan.gc.ca/fra/cen/gloss/gloss_p )

[2] Les dollars enchainés calculés selon l’indice de Fisher sont une  mesure de la variation en volume d’une période à l’autre. Pour une discussion plus poussée des concepts de PIB réels en  dollars  enchainés, voir: http://www.statcan.gc.ca/pub/13-605-x/2003001/concept/fisher/metho/index-fra.htm.).

[3] Pour le secteur manufacturier, les données sont  plus fiables et on peut calculer la productivité avec le  niveau d’agrégation 4 du SCIAN (environ 20 industries)