Depuis le mois de mai 2010, la Grèce est dans la tourmente. Une crise économique doublée d’une crise d’endettement l’y a conduit. On retient sommairement des problèmes de ce pays, qu’il encourt un risque de défaut de paiement de sa dette publique et que, dans un tel cas de figure, il y a de forts risques de dislocation de la zone Euro (ZE), voire de l’Union européenne (UE). Cette dislocation conduirait à terme au bouleversement de l’ordre économique mondial au détriment de l’Europe. La crainte de cet enchainement d’événements cataclysmiques a conduit les pays de la ZE ainsi que le Fonds monétaire international (FMI) à se pencher sur le cas de la Grèce. Ils ont rapidement établi un fonds d’aide et procédé aux premiers décaissements en insistant sur la nécessité pour les autorités grecques de mettre en œuvre des mesures d’ajustement structurelles et budgétaires avant de bénéficier des autres tranches d’aide.
Malgré la bonne volonté et la détermination des autorités grecques, ces mesures ne semblent pas faciles à prendre et encore moins à implémenter. En effet, ces mesures n’offrent pas une très grande garantie quant à leurs capacités de sortir la Grèce de sa mauvaise situation.
La Grèce n’est pas le premier pays confronté à une crise de l’endettement. Un grand nombre de pays d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie ont connu ces problèmes au cours des décennies 1980 et 1990.[1] Nous pouvons citer entre autres : le Mexique, les pays africains de la zone franc (PAZF), le Brésil, l’Argentine, l’Indonésie et la Turquie. En revisitant l’enchainement des événements pour ces pays et comment ils s’en sont sortis, nous prédirons la trajectoire de la Grèce et prescrirons les pistes de solutions pour ce pays.
Comment est-ce que les pays confrontés à ces crises d’endettement s’en sont sortis ?
Au cours des années 1980 et 1990, la crise d’endettement a surtout touché les pays en développement (PED). Dans tous ces pays, elle a conduit à une crise économique sévère et à des remous sociaux de grande ampleur. Toutes ces crises se sont développées de manière assez identique en divers événements que nous regroupons en cinq phases.[2]
- La phasepré-crise consiste à une accélération de l’endettement. Elle dure environ une décennie (ex. de 1973 à 1982 pour le Mexique[3]). Les causes de ce développement sont généralement exogènes. Il s’agit très souvent de l’abondance de liquidités dans les pays riches combinée à un grand degré d’ouverture aux flux financiers du PED.
- La phase de prise de conscience du problème d’endettement est caractérisée par une tendance des autorités du pays à sous-estimer l’ampleur de la crise. De petites réformes pour réduire les dépenses et accroitre les revenus de l’État sont adoptées. Ces réformes n’étant pas susceptibles de résoudre la crise, les multinationales et les marchés ne font plus confiance au pays concerné. Ils anticipent une augmentation du risque associé à ce pays, le renchérissement des taux de refinancement de sa dette, une réduction importante de sa demande intérieure, des risques de trouble sociaux internes et l’incapacité de l’État à honorer ses engagements envers les entreprises domestiques. Ils réduisent donc de manière dramatique leurs activités dans ce pays, ou bien lui ferment leurs portes, ce qui entraîne une hausse vertigineuse du chômage et une réduction des profits, de la consommation et des investissements.
- La phase de lucidité consiste à accepter des réformes en profondeur. Ces réformes visent une fiscalité plus efficace, la réduction des dépenses de l’État et la diminution de son rôle économique. Pour ce qui est de la fiscalité, il s’agit surtout de l’élargissement de l’assiette fiscale, de la réforme de l’administration fiscale, de la hausse des taux de taxes, tout ceci afin d’accroitre le ratio des revenus de l’État par rapport au PIB. Pour les dépenses publiques, il s’agit du dégraissage de la fonction publique, de la suppression d’importants programmes sociaux, de la baisse des salaires des agents de l’État et de la suppression de nombreux transferts vers les collectivités locales. Finalement l’État abandonne la gestion de la plupart des entreprises qu’il détenait dans son patrimoine au profit du secteur privé local et surtout des multinationales. Ces mesures réduisent encore plus la demande intérieure et conduisent à une réduction de la production et à une perte sèche due à l’incertitude. Ainsi, elles ne peuvent arrêter la dégringolade des revenus autonomes de l’État consécutive à la dépression économique.
- La phase de l’ajustement monétaire consiste à dévaluer la monnaie nationale et à la rendre flexible ou à dollariser l’économie. Cet ajustement a des effets négatifs dans un premier temps. En effet, il augmente le taux d’endettement du pays, réduit le bien être de la population et sa capacité à importer. Mais du coup il rend les exportations plus avantageuses et incite les entreprises à investir pour exporter ou pour vendre sur le marché local où les biens importés sont devenus peu compétitifs. Ainsi, dans un schéma vertueux (courbe en J), le pays s’en sort. Ceci a été le cas des pays d’Amérique latine et autres pays d’Afrique et d’Asie du Sud-est. Cette phase se déroule généralement en même temps que l’on adopte un plan de restructuration/rééchelonnement de la dette.[4]
- La phasepost-crise consiste en une détérioration durable de la qualité des services publics et en l’adoption de mauvais comportements individuels tels que la démotivation et la corruption des agents de l’État et l’incivisme des contribuables. En réalité le pays s’en sortira uniquement après une période bien douloureuse et un changement structurel des «fondamentaux» de l’économie ainsi que des mentalités. Le PIB par tête ne revient à son niveau de départ qu’après une période pouvant atteindre une dizaine d’années.
La crise grecque est-elle susceptible de produire les mêmes effets ?
La situation de la Grèce est différente de celle des PEDs en trois points.
- La Grèce est un pays développé de l’occident ce qui devrait lui éviter une trop grande rigueur de la part de ses créanciers et du FMI.
- La Grèce peut s’appuyer sur une monnaie solide, l’euro, même si elle n’en a pas le contrôle et que l’ajustement monétaire lui est impossible.
- Compte tenu des conséquences néfastes d’un défaut de paiement pour l’UE ainsi que de son coût psychologique pour l’Europe, la solidarité des pays de la ZE est plus que probable.
En dehors de ces trois différences, la situation de la Grèce est assez identique à celles des PEDs ayant eu des problèmes d’endettement.
Selon les expériences précédentes, quelle est la meilleure voie de sortie pour la Grèce?
La quasi-totalité des PEDs ayant subi une crise d’endettement ont eu à passer par l’ajustement monétaire. Malheureusement la Grèce n’en est pas capable car elle fait partie de la ZE. En effet, cette solution serait beaucoup plus coûteuse pour la Grèce que pour les PEDs car il lui faudrait créer une nouvelle monnaie, la mettre en circulation et la faire adopter par tous les agents économiques. Cela prendrait beaucoup de temps à implémenter et réduirait d’autant l’efficacité de cette solution.
Si, par contre, les pays de la ZE décident d’aider la Grèce en lui octroyant des prêts à taux réduit, cela ne fera que repousser le problème. Le secteur privé ne croira pas à ses chances de succès et n’investira donc pas suffisamment pour remettre le pays en expansion, seule possibilité pour mettre fin à la croissance de la dette.
La Grèce ne s’en sortira que si la ZE et elle-même adoptent un programme comportant les quatre piliers suivants.
- La ZE fournit des prêts à taux réduit à la Grèce aussi longtemps que nécessaire pour lui permettre de remplir ses engagements.
- La ZE transfère des revenus des gouvernements des pays riches vers ceux des pays pauvres afin de permettre à ces pays d’offrir des services d’un niveau standard à un coût d’imposition moyen standard [5].
- Le gouvernement grec adopte des réformes pour accroître l’efficacité de l’administration fiscale et ramener ainsi le taux d’imposition réel au niveau standard de l’UE dans cinq ans. En effet :
- beaucoup d’économiste pensent que la faiblesse de la collecte des recettes en Grèce est du à la faiblesse de son administration fiscale, notamment à son incapacité à combattre l’évasion fiscale ;
- certaines études ont évalué l’économie informelle en Grèce à au moins 25% du PIB[6].
- Le gouvernement grec réduit ses dépenses de manière à approcher le standard européen dans cinq ans.[7]
[1] Voir par exemple: BARRY EICHENGREEN et PETER H. LINDERT, The International Debt Crisis in Historical Perspective, The MIT Press, 1989.
[2]Ce regroupement en « phases » provient des observations de l’auteur basées sur les faits historiques concernant l’endettement des PEDs et inspirées de la littérature des crises financières.
[3] Voir par exemple HUW PILL, Mexican Debt Crisis of 1982, Harvard Business School, 2001.
[4] Le chapitre 1 de FEDERICO STURZENEGGER et JEROMIN ZETTELMEYER Debt Defaults and Lessons from a Decade of Crises, The MIT Press, 2007, montre que la quasi totalité des pays ayant subi une crise d’endettement ont eu recours à la restructuration ou au rééchelonnement de leur dette.
[5]Il s’agit d’un mécanisme proche du programme de péréquation appliquée actuellement au Canada.
[6] Voir par exemple ECONOMIST INTELLIGENCE UNIT, Country Report: Greece, 2010.
[7] En effet, BASIL MANESSIOTIS dans son article The root-causes of the Greek sovereign debt crisis, présenté à la 2nd Bank of Greece workshop on the economies of Eastern European and Mediterranean countries, montre que la Grèce a accumulé des déficits budgétaires consécutifs pendants 36 ans en partie par une augmentation des dépenses et une réduction des taxes en année électorale.