La journée du 8 mars invite à faire le point sur la situation de la femme sur le marché du travail. Qu’en est-il des efforts entrepris pour en arriver à une plus grande égalité des sexes en emploi?
Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, les revenus moyens des femmes ne représentent toujours que 80% de celui des hommes[1] et une étude portant sur la rémunération des diplômés américains révèle qu’à niveau de formation égal les femmes gagnent 23% de moins que les hommes au cours de leur carrière[2]. Au Québec, la rémunération horaire moyenne des femmes en 2011 ne représentait toujours que 88,2% de celle des hommes malgré que des progrès aient été réalisés (84,% en 1997). Par ailleurs, toujours au Québec, en 2008, les cadres supérieurs masculins touchaient un revenu moyen avant transferts de 133 249$ soit 24% de plus que leurs homologues féminins (107 738$[3]).
La situation est nettement plus déséquilibrée pour ce qui est de la composition des conseils d’administration. En 2011, aux États-Unis et au Canada, les femmes ne constituaient que 15% des membres des C.A.[4]. En Grande-Bretagne, en Allemagne, en France, en Espagne et en Italie, cette présence serait inférieure à 12%[5].
Ces chiffres étonnent car il est difficile d’expliquer, sur une base de stricte rationalité économique, les écarts de salaires et de perspectives professionnelles entre les hommes et les femmes. En effet, on comprend difficilement pourquoi un employeur voudrait payer un homme plus cher qu’une femme? Bien sûr, il subsiste certainement des patrons entretenant des préjugés à l’encontre des employées mais, à moins qu’ils n’occupent une niche à l’abri de toute concurrence, ils en paieront le prix le jour où un compétiteur fera appel aux personnes les plus compétentes, fussent-elles du sexe «faible». De même, les conseils d’administration gagneraient sûrement à faire une meilleure place aux compétences particulières des femmes, notamment pour leur capacité à prendre des décisions difficiles: plus il y a de femmes sur un C.A., plus les chances sont élevés qu’un cadre soit congédié quand l’entreprise n’est pas suffisamment profitable[6]. Certaines études portant sur la réalité canadienne tendent d’ailleurs à démontrer que plus il y a de femmes sur les conseils, meilleures sont les performances de l’entreprise à moyen terme[7].
Après plus de quarante années de sensibilisation à la condition féminine, les barrières culturelles à la participation des femmes au marché du travail semblent avoir été démantelées en bonne partie. Jusqu’au début des années 1960, il était habituel pour les familles de donner aux garçons la priorité pour l’inscription aux études supérieures. Aujourd’hui, la jeune femme est libre de poursuivre des études ou non et de choisir une profession ou une autre et il n’y a plus guère que la prêtrise dans l’Église catholique qui soit toujours fermée aux femmes. De fait, au Québec, comme dans la plupart des pays de l’OCDE, les femmes constituent maintenant la majorité des diplômés universitaires. En 2006, 29,6%% des Québécoises âgées de 25 à 64 ans étaient titulaires d’un diplôme universitaire comparativement à 17,9% pour les hommes et, en 2011, les femmes occupaient 50,2% des emplois correspondant à un grade universitaire au Québec.
Le temps consacré aux travaux domestiques a souvent été évoqué pour expliquer pourquoi les femmes n’allaient pas aussi loin que les hommes dans leurs carrières. Ce facteur semble moins important aujourd’hui. D’abord, les appareils électroménagers, les mets déjà préparés, les repas aux restaurants et l’embauche d’aides domestiques ont sensiblement réduit le temps que les couples doivent consacrer aux tâches ménagères. Ensuite, l’évolution des valeurs a fait en sorte que le temps consacré à ces travaux par l’un et l’autre conjoint est maintenant plus équilibré même s’il n’est pas encore égal. Selon une étude portant sur la situation aux États-Unis, les hommes ont triplé le temps qu’ils consacrent à ces tâches entre 1965 et 2010 alors que pour les femmes ce temps était réduit du tiers[8]. Il est permis de croire à une tendance semblable au Québec.
Alors, pourquoi des différences de revenus s’il n’y a pas de discrimination systématique? Peut-être certains conditionnements subsistent-ils, incluant chez les femmes. Dans une large proportion, elles choisissent des occupations et des métiers moins payants que les hommes. Ainsi, en 2006 au Québec, l’occupation professionnelle la plus fréquente chez les hommes était en informatique alors que chez les femmes c’était le secrétariat, un domaine nettement moins rémunérateur malgré son utilité indiscutable.
Mais la maternité est probablement l’élément le plus décisif dans le cheminement différencié des carrières professionnelles des femmes et des hommes. La grossesse et le soin des jeunes enfants amènent les femmes à interrompre leur progression de carrière pendant une période pouvant varier de quelques mois à plusieurs années. Ce retrait provisoire du marché du travail peut occasionner des retards dans l’accumulation d’expérience et la prise de nouvelles responsabilités professionnelles. Il peut aussi occasionner des difficultés de réinsertion. Une étude américaine a révélé que 93% des femmes qui avaient quitté leur emploi pour avoir un enfant désiraient retourner au travail mais que seulement 74% y parvenaient dont 40% dans des emplois à temps plein[9]. Même une fois revenues à leur occupation professionnelle, les nouvelles mères peuvent ne pas avoir la même disponibilité que leurs collègues masculins pour faire les longues heures ou les voyages d’affaires qui facilitent l’avancement. Il n’est donc pas surprenant que la proportion des femmes occupant des postes de haute direction soit encore nettement inférieure à leur importance dans la main-d’œuvre.
La perspective d’être mère peut aussi orienter les femmes vers des professions, telles la fonction publique ou l’enseignement, moins lucratives mais offrant des aménagements du temps de travail plus en accord avec leurs obligations familiales. Sans exclure toute discrimination plus ou moins larvée, les postes qu’occupent les femmes peuvent aussi expliquer en partie pourquoi elles sont sous-représentées sur les conseils d’administration. À cet égard, elles seraient désavantagées par le fait qu’elles font surtout carrière dans des fonctions corporatives tels la comptabilité, le marketing, les ressources humaines et la planification plutôt que dans des postes opérationnels reliés aux lignes d’affaires génératrices de profit[10].
Les règles de fonctionnement du monde du travail avantagent donc ceux qui peuvent s’y consacrer à fond. Ou celles. Car face au choix déchirant entre la carrière et la maternité, plusieurs femmes décident de ne pas avoir d’enfant ou de retarder le plus possible la première grossesse. Quand elles en ont la possibilité, comme c’est le cas en médecine, elles peuvent aussi choisir de travailler moins d’heures pour se ménager une vie plus équilibrée.
Dans le cas des femmes, la biologie est donc un destin professionnel. Ou à tout le moins un défi supplémentaire pour celles qui ont de l’ambition. En contrepartie, certains sont d’avis que le tempérament plus conciliant de la femme et sa recherche du consensus la rend mieux adaptée aux défis qui confrontent l’organisation d’aujourd’hui et de demain. Certaines croient aussi que son charme naturel peut constituer un atout qu’elle aurait tort de ne pas utiliser autant que possible[11].
En somme, le recul de la culture comme facteur de discrimination sexuelle en emploi permettrait maintenant à la nature d’exprimer plus clairement son influence sur les carrières différenciées des femmes et des hommes. Les campagnes de sensibilisation et les programmes d’action positive ont contribué à changer les stéréotypes culturels mais on voit encore difficilement ce qui peut être fait pour changer la nature. Chose certaine, la discrimination, là où elle subsiste, va à l’encontre de la rationalité économique.
[1] THE ECONOMIST, Female power, 2 janvier 2010, p49-51.
[2]CARNAVALE, Anthony P., ROSE, Stephen J., CHEAH, Ban, The College Payoff – Education, Occupations, Lifetime Earnings, THE GEORGETOWN UNIVERSITY CENTER ON EDUCATION AND THE WORKFORCE, 2011
[3] Les données de cet article portant sur le Québec proviennent toutes de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ).
[4] D’après l’étude de la firme Spencer Stuart portant sur les plus importantes entreprises inscrites à la bourse. Canada Board Index, 2011. p20. http://w1p.fr/51725
[5] Selon la chronique SCHUMPETER, Skirting the issue, THE ECONOMIST, 13 mars 2010, p7.
[6]Idem.
[7] CHAMPOUX-PAILLÉ, Louise, Une masse critique de femmes au sein des conseils : un signal fort de saine gouvernance, MÉDAC, 14 septembre 2010. http://w1p.fr/51728
[8] Selon une étude du Bureau of Labor Statistics rapportée dans TIME, Chore Wars, 8 août 2011. http://ti.me/xx7ePs
[9] THE ECONOMIST, Female Power, op.cit., p50.
[10] SCHUMPETER, op.cit.
[11] Selon Catherine HAKIM, sociologue du London School of Economics, dans Honey money: the power of erotic capital. Information rapportée dans EICHLER, Leah, Playing the sex card to get ahead, Globe and Mail, 10 septembre 2011, B17.