DEPUIS 10 ANS, LES DÉPENSES D’EDUCATION AU QUÉBEC ONT AUGMENTÉ DE 35 %, PAS DE 67 %

Dans sa chronique du 25 septembre dernier, le journaliste Francis Vailles affirmait dans La Presse que les dépenses du gouvernement du Québec en éducation avaient augmenté de 67 % de 2004 à 2014, soit davantage même que les dépenses en santé. Son calcul était basé, en toute bonne foi, sur les données officielles publiées par le ministère des Finances du Québec. Or, ce chiffre, lourd de conséquences dans le débat politique actuel, vient d’un calcul erroné.

Où est l’erreur?

Tout simplement, le chroniqueur n’a pas tenu compte d’un changement majeur dans la présentation des états financiers du gouvernement dans les Comptes publics à partir de 2009-2010. Avant cette année-là, on ne comptabilisait dans les dépenses de fonctionnement que les dépenses internes du gouvernement, soit celles de son «Fonds général». Depuis cette date, on y comptabilise non seulement les dépenses du Fonds général, mais aussi celles de comptes et organismes qui sont externes au gouvernement, mais qui dépendent en totalité ou en grande partie de ses subventions. L’ensemble comptabilisé est maintenant beaucoup plus vaste. En éducation, par exemple, les dépenses totales comprennent celles de l’ensemble du réseau public, c’est-à-dire des 72 commissions scolaires, des 48 cégeps et des 10 constituantes du réseau de l’Université du Québec.

Selon la nouvelle terminologie, le montant total des dépenses internes du Fonds général et des dépenses des comptes et organismes externes forment les dépenses consolidées du gouvernement. Inutile de dire que la somme de ces dépenses consolidées est nettement supérieure à celle des dépenses du Fonds général seul.

L’erreur a été de comparer les dépenses de 12,5 milliards en 2004-2005, qui ne concernaient que le Fonds général, avec celles de 20,9 milliards en 2014-2015, qui étaient celles d’un ensemble beaucoup plus vaste, qui incluent notamment tout le réseau public d’éducation.

Comment corriger l’erreur?

Pour y voir clair, il faut traiter séparément les deux moitiés de la période de 2004-2005 à 2014-2015. Pour la moitié la plus récente, de 2009-2010 à 2014-2015, les sommes publiées par les Comptes publics sont conformes à la nouvelle comptabilité. Elles regroupent les dépenses du Fonds général et des comptes et organismes externes, comme le réseau public d’éducation. Ces données n’ont besoin que de légers redressements, rendus nécessaires par certains reclassements de dépenses. Ces données redressées sont accessibles sur demande auprès du ministère des Finances.

Cependant, pour la première moitié de la période, de 2004-2005 à 2009-2010, les sommes publiées par les Comptes publics sont basées sur l’ancienne comptabilité. Seules les dépenses internes du Fonds général sont consignées. Aucune information sur les dépenses consolidées selon la nouvelle comptabilité n’est présentée dans les Comptes, et le Ministère n’a pas tenté de redresser les résultats de ces années de façon à les rendre comparables à ceux de 2009-2010 à 2014-2015.

Il faut donc avoir recours à un autre instrument de mesure: le Système de gestion financière (SGF), de Statistique Canada. Le SGF a publié annuellement jusqu’en 2009 — et pour chaque province — une estimation des dépenses d’éducation consolidées du gouvernement provincial et du réseau scolaire (et d’autres comptes et organismes du secteur). Il s’agit de la seule source fiable permettant de suivre l’évolution des dépenses d’éducation consolidées pour les années antérieures à 2010. L’univers que recouvrent ces données est très semblable à celui de la nouvelle comptabilité employée par le ministère des Finances du Québec. (Petite différence: la Culture et l’Immigration sont exclues, et toutes les universités sont incluses.) Ses résultats offrent donc une bonne approximation de la hausse des dépenses d’éducation consolidées au Québec pour la période de 2004-2005 à 2009-2010. Ils permettent une comparaison valable avec les dépenses consolidées de 2009-2010 à 2014-2015.

Résultat: les dépenses d’éducation ont augmenté de 35 % depuis 10 ans

Le tableau qui suit fait la synthèse des résultats. La colonne 1 présente les dépenses d’éducation consolidées de l’administration provinciale et du réseau scolaire selon le Système de gestion financière, de Statistique Canada, de 2004-2005 à 2009-2010. La hausse enregistrée au cours de cette période est de 16 %, ce qui est évidemment très inférieur à la hausse stratosphérique de 42 %, basée sur des chiffres qui ne tiennent pas compte de l’élargissement considérable du périmètre comptable en 2009-2010.

La colonne 2 correspond aux dépenses consolidées publiées par les Comptes publics depuis 2009-2010 et légèrement redressées par le ministère des Finances. La hausse des dépenses de 2009-2010 à 2014-2015 est la même que celle des cinq années précédentes, soit 16 %. En combinant les résultats des colonnes 1 et 2, on obtient 35 % comme hausse cumulative des dépenses d’éducation consolidées de 2004-2005 à 2014-2015. (1,16 x 1,16 = 1,35!)

On constate, au bout du compte, que la progression de 35 % des dépenses d’éducation au Québec depuis 10 ans a été légèrement moins importante que celle de la richesse collective (PIB), que la colonne 3 du tableau chiffre à 38 %, et deux fois moins importante que celle des dépenses provinciales de santé établies à 65 %, selon les estimations de l’Institut canadien de recherche sur la santé (ICIS).

Dépenses dans le domaine de l’éducation selon trois sources, produit intérieur brut (PIB) et dépenses provinciales en santé, Québec, années financières 2004-2005, 2009-2010 et 2014-2015
Année Statistique Canada (SGF)Finances Québec (chiffres redressés)Produit intérieur brut
Somme (milliards $)
2004-2005 15,8271,6
2009-2010 18,417,9315,5
2014-2015 20,9374,4
Augmentation, 2004 à 2014
Cumulatif                      35 %38 %
Moyenne annuelle                      3,1 %3,3 %
Notes: Col. 1: Ces données du Système de gestion financière (SGF), de Statistique Canada (tableau CANSIM 385-0001), regroupent les dépenses d’éducation du gouvernement (Culture et Immigration exclues) et celles du réseau de l’éducation (et d’autres comptes et organismes). Le réseau de l’éducation comprend ici, en plus des commissions scolaires et des cégeps, toutes les universités, et non seulement les constituantes de l’Université du Québec. Col. 2: Ces chiffres redressés par le ministère des Finances du Québec sont ceux de la mission Éducation et Culture après consolidation avec les dépenses du réseau de l’éducation (et d’autres comptes et organismes). Le réseau de l’éducation comprend les commissions scolaires, les cégeps et les constituantes de l’Université du Québec. Col. 3: Il s’agit du PIB du Québec en dollars courants.
Sources: Comptes publics 2004-2005 [vol. 1, p. 22]; Budget 2015-2016 [Le plan économique du Québec, p. A.10]; Statistique Canada [tableaux CANSIM 384-0038 et 385-0001]; ministère des Finances du Québec [feuilles de travail Excel]. 
        

Bref, avec une croissance moyenne de 3,1 % par année depuis 10 ans, le secteur de l’éducation a fait la même chose qu’à peu près tous les autres secteurs de dépenses du secteur public provincial: se tasser pour laisser passer le train de la santé, qui, lui, a filé au rythme de 5,1 % par année.

Note: Ce billet est une version abrégée d’un texte publié le 9 octobre 2015 dans L’actualité.com.