DES DONNÉES FORT ATTENDUES SUR LE COMMERCE EXTÉRIEUR

Le 16 janvier dernier, l’OMC et l’OCDE ont annoncé la disponibilité d’une nouvelle banque de données sur les flux de commerce mesurés par la valeur ajoutée pour 1995-2007 et l’an 2009.[1] Cette banque de données qui sera mise à jour permet d’aller au delà des analyses précédentes de l’Université Purdue (Who Produces for Whom in the World), du Conference Board du Canada (Adding Value to Trade Measurement- An Introduction to Value-Added Trade, décembre 2011), de Statistique Canada et du MDEIE  (Impact économique des exportations québécoises, 2005-2007) . Tâche monumentale, la nouvelle banque de données a été constituée à l’aide de 10 tableaux entrée-sortie et de données sur les flux de commerce de 58 pays. Elle couvre près de 95% du commerce mondial.

Une vision plus précise des flux commerciaux et de leurs effets sur les revenus et l’emploi

Les  spécialistes du commerce international et des politiques de développement économique attendent depuis longtemps des données mesurées par la valeur ajoutée [2][3]. Des données sur la spécialisation dans divers segments de la chaîne de valeur ajoutée sont essentielles pour faire une juste appréciation des forces, faiblesses et tendances des économies nationales et de leur performance dans le commerce extérieur. Les données conventionnelles mesurent la valeur des biens et services chaque fois qu’ils traversent une frontière alors que les mêmes composantes peuvent passer plusieurs fois la frontière selon la nature de la chaîne de valeur ajoutée. Il peut en résulter des doubles comptages d’une grande variété de produits  entrant dans la production finale des biens ou services importés ou exportés. Il est alors impossible de déterminer l’importance exacte des revenus et des emplois créés par les exportations. Les nouvelles statistiques évitent cet écueil en soustrayant les importations  de la valeur brute des exportations du dernier pays expéditeur d’un produit ou d’un pays.

La mesure des exportations selon la valeur ajoutée consiste, à titre d’exemple, à soustraire la valeur des pièces d’avion importées des États-Unis qui sont incorporées dans des avions assemblés au Québec et exportés aux États-Unis ou ailleurs dans le monde. De même, ces données retranchent de la valeur totale des exportations canadiennes de téléphones Blackberry les composantes électroniques canadiennes qui ont d’abord été exportées vers le Mexique pour ensuite être rapatriées et incorporées dans l’assemblage final des téléphones dont certains sont exportés.

La segmentation technologique et institutionnelle, la standardisation des tâches, les coûts de transport et de gestion, et la taille des marchés sont parmi les facteurs qui expliquent  la localisation des activités de valeur ajoutée, l’externalisation et la mondialisation ainsi que le rapatriement récents de certaines production vers les États-Unis.

Des observations différentes sur les flux du commerce international

À cause des doubles comptages, les données conventionnelles donnent lieu à un estimé trop élevé des flux de commerce. Aussi, les nouvelles données reposant sur la valeur ajoutée conduisent-elles à des observations sensiblement différentes. Quelques exemples:

  • L’économie canadienne apparait moins dépendante du commerce international;
  • Nos relations commerciales avec les États-Unis sont moins importantes, et celles avec l’Europe et le Japon le sont davantage;
  • Le déficit  des États-Unis avec le Canada entre 1995 et 2007 aurait été de 80 milliards de US $ plutôt que de 100 milliards de US $;
  • Le déficit des États-Unis avec la Chine durant cette même période aurait été de 170 milliards de US $ plutôt que de 230 milliards de US $, ce qui change les analyses concernant l’effet du le taux de change du yuan sur le commerce entre ces deux pays;
  • La structure des exportations mondiales était la suivante en termes de valeur ajoutée en 2008: secteur primaire 18%, secteur manufacturier 37% et secteur des services 45%; cette répartition est très différente de celle obtenue à partir des données conventionnelles (primaire 12%, services 23%, manufacturier 65%); ces nouvelles données reflètent notamment une importance beaucoup plus grande des services et leur forte intégration en amont et en aval dans le processus manufacturier.

Des stratégies industrielles et commerciales à ajuster

Ces nouvelles données basées sur la valeur ajoutée dans le commerce extérieur pourraient conduire à réviser les orientations et les priorités des stratégies québécoise ou canadienne en matière de développement industriel, de développement régional, de commerce international et d’investissement étranger. Une attention plus grande pourrait être accordée aux services, aux activités à haute valeur ajoutée et aux processus de relocalisation d’entreprises nationales et étrangères.

Les nouvelles analyses maintenant disponibles pour 2009 indiquent par exemple :

a) que le rapport valeur ajoutée/exportations est relié positivement aux dotations de ressources naturelles et à la taille des pays; la Russie, le Brésil et l’Australie sont les trois premiers pays selon ce rapport, les États-Unis sont 8e  et le Canada 15e ;

b)  que le rapport valeur ajoutée des services/ exportations place les États-Unis au 13e rang et le Canada au 32e rang;

c) que le même rapport valeur ajoutée des services/exportations du Canada était de 36%; ce rapport est de 26% dans le domaine de l’alimentation; de 25% dans le domaine de l’automobile et de 18% dans le secteur minier;

d)  que 1,3% des importations d’intrants intermédiaires se traduisent par des réexportations de valeur ajoutée canadienne (le rapport équivalent est de 7% en Chine et de 4,5% au États-Unis).

En conclusion, les données sur la valeur ajoutée rendent plus évidents les liens entre les importations et les exportations, de même que l’importance des services et des biens intermédiaires dans performance des pays à l’exportation. Ils fournissent aussi des matériaux prometteurs pour la révision des politiques et des stratégies de développement économique.


 


[1] H. SCATHE, Trade in Tasks and Global Value Chains, Stylized Facts and Implications (http://w1p.fr/91355 ), et  PAUL SCHREYER, OCDE-WTO Trade in Value Added Database (http://w1p.fr/91356 ) WTO Trade Data Day, 16 janvier 2013.

[2] Mes anciens collègues du Comité Conseil du Statisticien en Chef et du Comité des données sur le commerce international de Statistique Canada se souviendront de nos discussions d’il y a une quinzaine d’années  sur la nécessité de produire de telles données.

[3] En plus des documents cités dans le présent article, le lecteur intéressé au concept de la valeur ajoutée dans les exportations pourra consulter mon article intitulé «Le Commerce vertical et la compétitivité» paru le 30 avril sur Libres Échanges (http://w1p.fr/92201) et  la 4e édition de mon «Manuel de commerce International» publié aux Presses de l’Université du Québec en collaboration avec E. Nyahoho. L’ouvrage présente les concepts de valeur ajoutée, les causes de l’externalisation de la production au pays ou à l’étranger, et des données sur ces phénomènes.