La mesure la plus adéquate de l’endettement du Québec – et la plus suivie par les agences de notation et les bailleurs de fonds – est le poids que représente sa dette brute en pourcentage du revenu intérieur (le PIB). La dette brute est la source de la quasi-totalité des charges d’intérêts que le gouvernement doit supporter annuellement. (Il possède quelques actifs financiers, mais ces derniers ne rapportent presque pas d’intérêts.)
Où en est la dette du Québec ?
Où en est la dette du Québec à l’heure actuelle ? Selon le Plan budgétaire présenté par le ministre des Finances Carlos Leitão en juin dernier, elle doit atteindre 207 milliards de dollars en mars 2015. Cela représenterait 55 % du PIB de 2014 du Québec, lequel sera d’environ 377 milliards.
Le Gouvernement du Québec n’a pas besoin de se fixer de nouvel objectif pour la réduction de son endettement. Il en a déjà un. Il est inscrit en toutes lettres dans la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations que l’Assemblée nationale a adoptée en 2006 et amendée en 2010. Cette loi du Québec engage le gouvernement à réduire le poids de sa dette brute au niveau de 45 % du PIB en mars 2026.
En mars 1995, le rapport dette/PIB du Québec avait grimpé à 61 % du PIB. Les efforts de nos dirigeants politiques successifs l’ont fait ensuite diminuer à 50 % du PIB en mars 2009. Depuis cette date, la récession, la faible reprise qui a suivi et le vieillissement démographique ont ralenti la croissance des revenus fiscaux, de sorte que le rapport dette/PIB du Québec a remonté à 55 %.
Cette hausse de 5 unités de pourcentage du poids de la dette n’est pas énorme. En fait, depuis 2009, le rapport dette/PIB a augmenté encore plus chez nos grands partenaires économiques : de 15 unités de pourcentage en Ontario et de 40 unités aux États-Unis (administration fédérale incluse). Cependant, la dette étant plus lourde au Québec au départ, la « petite » hausse de 5 unités enregistrée depuis 2009 ne doit évidemment pas être prise à la légère.
La tâche de réduire la dette ne sera pas facile à accomplir
La voie que les finances québécoises doivent suivre dans les années à venir est donc toute tracée. Il faut d’abord que le rapport dette/PIB cesse d’augmenter d’une année à l’autre, puis diminue progressivement de son niveau actuel de 55 % du PIB à la cible de 45 % que lui fixe la loi pour mars 2026. Nous avons 11 ans pour y parvenir.
Cette tâche ne sera pas facile à accomplir. Car, d’une part, l’économie nord-américaine peine encore à sortir de la récession de 2009. Depuis cette date, inflation déduite, le PIB par habitant n’a crû que de 3 % au Québec et de 2 % aux États-Unis ; en Ontario, il a fait du sur-place. À chaque début d’année depuis 2009, on nous promet une solide reprise, mais en fin d’année on nous informe piteusement que la promesse n’a pas été tenue. Les perspectives économiques à long terme pour le continent ne sont pas non plus mirobolantes.
Et d’autre part, le Québec est frappé plus qu’ailleurs par le vieillissement démographique. Il a de plus en plus de bouches à nourrir, mais de moins en moins de personnes d’âge actif pour produire les revenus nécessaires. La croissance économique ralentit et, avec elle, les revenus fiscaux de l’État. Même si la reprise économique finit par arriver à maturité, la baisse démographique va se poursuivre. À moins d’un miracle, le taux de croissance de notre économie (inflation comprise) oscillera entre 3 % et 3,5 % par année dans l’avenir, plutôt qu’autour de 4,5 % comme dans les belles années de 1998 à 2006.
Le plan financier du gouvernement : dans la bonne direction, mais risqué
Le plan financier proposé par le ministre Leitão en juin dernier engage le Québec dans la bonne direction. S’il est suivi, la dette passera de 207 milliards de dollars en mars 2015 à 217 milliards en mars 2019. Comme le ministre s’attend à ce que le PIB grimpe pendant ce temps à 435 milliards, il se trouve à prévoir que, de son niveau actuel de 55 %, le rapport dette/PIB aura diminué à 50 % en mars 2019. La moitié du chemin entre 55 % et la cible de 45 % aura été parcourue en 4 ans.
Aucun doute que les mesures annoncées dans le budget 2014-2015 pour augmenter les revenus et comprimer les dépenses du gouvernement ont la crédibilité nécessaire pour convaincre l’opinion publique et les bailleurs de fonds de sa détermination à relever le défi de la réduction de la dette. Il faut comprendre que le gouvernement désire agir vite : il veut en finir au plus tôt avec les mauvaises nouvelles afin de se présenter de façon plus positive à l’élection provinciale de 2018.
Mais en agissant de façon trop rapide, il nous fait courir plusieurs risques. Le risque de provoquer une récession en 2016 en retirant tout d’un coup 4 milliards de dollars de l’économie québécoise. (Ce serait évidemment se tirer dans le pied : avec une récession, ou même seulement un ralentissement économique, viendrait…un déficit plus élevé !) Le risque de déclencher une dure confrontation politique avec les secteurs qui ont déjà subi de fortes coupes dans les années récentes parce qu’ils se sont fait écraser par la Santé. Le risque de multiplier les erreurs et dérapages en « fonçant dans le tas » avec des commissions externes d’évaluation auxquelles on donne trois à six mois pour évaluer un budget de 95 milliards de dollars. Et le risque de démoraliser la fonction publique (notamment en l’accusant de mauvaise foi) et de perdre ses meilleurs éléments.
Autrement dit, la précipitation du gouvernement à agir, bien que compréhensible du point de vue de son jeu électoral, pourrait nuire gravement à la croissance économique, à la stabilité sociale et à l’efficacité de l’administration publique. Il y aurait moyen d’adopter un plan financier tout aussi crédible, mais moins risqué, en allongeant sa réalisation sur un horizon plus long. Nous avons tout de même 11 ans pour atteindre notre cible collective d’un rapport dette/PIB de 45 %. Se dépêcher pour parcourir la moitié du chemin en seulement 4 ans n’est pas du tout nécessaire, et c’est risqué. Dans un prochain billet, nous présenterons ce qui pourrait être un plan plus prudent et moins risqué
Ce billet a été sur le Blogue économie de L’ACTUALITÉ le 6 octobre 2014.