DEUX ENJEUX INCONTOURNABLES DE LA CAMPAGNE ÉLECTORALE

Les pancartes électorales se sont installées dans notre paysage pour les prochaines semaines. Alors que les autobus de campagne sillonnent les routes québécoises, les chefs de partis tenteront tous de convaincre les électeurs que leurs propositions sont les plus pertinentes et nécessaires pour affronter les nombreux défis qui interpellent le Québec. Si les partis décident des enjeux qu’ils souhaitent aborder (à leurs risques et périls), le prochain gouvernement ne pourra ignorer les plus importants. Nous avons établi deux enjeux incontournables : le déficit de la balance commerciale et la stagnation des salaires de la grande majorité de la population adulte.

Le lourd déficit de la balance commerciale

La situation économique du Québec, passablement morose, s’empire lorsqu’on prend en compte le déficit de la balance commerciale. Le graphique 1 illustre ce que le PIB représenterait si les exportations étaient égales aux importations, c’est-à-dire lorsque la balance commerciale est à l’équilibre et que le produit national brut (la demande intérieure finale) serait au même niveau que le PIB. Le Québec ayant vu ses importations internationales croître plus rapidement que ses exportations, chaque dollar d’importation est littéralement dépensé ou investi à l’extérieur de son territoire, handicapant d’autant sa croissance économique.

Graphique 1 : Évolution du produit intérieur brut et de la demande intérieure finale selon le revenu au Québec, 2007-2013

Source : Institut de la statistique du Québec. Compilation des données par l’auteur.

Le problème se situe au niveau de la balance commerciale internationale, qui est passée d’un solde négatif de 9,5 milliards $ en dollars de 2007 (3 % du PIB), à 28,5 milliards en 2012 (représentant près de 9 % du PIB). Pour les trois premiers trimestres de 2013, le solde négatif de la balance commerciale représentait environ 23 milliards $, en dollars courants. De loin notre principale importation, le pétrole brut représente 60 % de ce déficit, et près de 90 % (19,6 milliards $, dollars de 2013) en incluant l’essence, le diesel, le mazout et le carburant pour réacteur. Les véhicules particuliers (automobiles, camions légers et VUS) représentent le second poste de dépense le plus important, à 9 milliards de $ (plus de 40 % du déficit). Notre déficit commercial handicape sérieusement notre croissance, ce qui rend d’autant plus pertinente la modernisation écologique de notre économie.

Des salaires qui stagnent

Depuis le début des années 1980, les inégalités économiques ont augmenté dans la plupart des pays développés. Bien qu’il n’ait pas connu l’important accroissement des écarts de revenus vécu aux États-Unis et dans le reste du Canada, le Québec n’a pas été épargné. Dans la plupart des cas, l’évolution est sensiblement la même; alors que les revenus du 1 % le plus riche connaissent une accélération rapide de ses revenus, ceux de la grande majorité font du surplace.

De 1982 à 2011, les revenus après impôt des individus compris dans le premier centile ont presque doublé, avec une croissance annuelle moyenne de 2,2 %. En 2011, un revenu avant impôt d’au moins 185 000 $ était nécessaire pour faire partie du premier centile, dont le revenu moyen s’établit à 375 000 $ (263 000 $ après impôt). Ensemble, ce groupe d’environ 60 000 individus a reçu près de 12 % de tous les revenus.

Pour la même période, le revenu après impôt du 90 % le moins riche, soit les contribuables qui en 2011 déclaraient un revenu avant impôt inférieur à 72 000 $, a crû de 0,4 % et sans l’intervention de l’État, il aurait même légèrement reculé. En 2011, le revenu moyen de ce groupe s’établissait à 25 000 $ après impôt. Ensemble, ces 5,6 millions d’individus ont reçu 61 % de tous les revenus soit une proportion nettement inférieure à leur importance dans la population (90 %). Les nombreuses baisses d’impôts des trois dernières décennies permettent d’expliquer pourquoi les revenus après impôts des deux groupes se sont proportionnellement améliorés davantage que leurs revenus marchands. Ces statistiques ne prennent toutefois pas en compte les changements des services publics fournis à la population, ni la hausse des taxes et tarifs, plus régressifs que l’impôt sur le revenu.

Graphique 2 : Évolution des revenus* avant et après impôts du 1 % le plus riche et le 90 % le moins riche au Québec, base 100 en 1982, 1982-2011

Source : Statistique Canada, tableau CANSIM 204-0002. Compilation des données par l’auteur.
* Les revenus ont été ajustés à l’IPC.

Dans la plupart des pays développés, les revenus de la grande majorité des travailleurs ont stagné; leur rapport de force s’est affaibli lors des négociations salariales (individuelles ou collectives), sous l’effet (à différents degrés) de la mondialisation du commerce (augmentation de la concurrence), des nombreuses innovations technologiques (nécessitant moins de travailleurs), du recul de l’État-providence (renforçant la dépendance des revenus des individus au marché du travail), des politiques monétaires priorisant la lutte à l’inflation (parfois au détriment de l’emploi) et de la pression des actionnaires sur les entreprises pour maintenir un niveau élevé de profitabilité à court terme. Parmi les conséquences de ces phénomènes, notons les nombreuses pertes d’emplois du secteur manufacturier (souvent bien payé, mais nécessitant peu de qualifications).

Inversement, les revenus des mieux nantis ont significativement augmenté, notamment à cause des bénéfices que procurent la financiarisation de l’économie et le rapport de force favorable aux dirigeants d’entreprises, aux cadres et à certains professionnels, lors de la négociation de leurs salaires, ce qui peut être une forme d’extraction de rente (sans gains de productivité ou avantage économique en échange).

Étant donné la croissance économique atone et l’état des finances publiques, ces deux enjeux gagnent à se trouver au cœur de la présente campagne électorale.

* Une version semblable de ce billet est parue dans la publication collective : « Élections québécoises : les enjeux économiques en 13 graphiques », Institut de recherche en économie contemporaine, mars 2014. En ligne.