EFFETS ÉCONOMIQUES DU PROJET AMÉRICAIN D’AJUSTEMENTS FISCAUX AUX FRONTIÈRES

Le Congrès et le nouveau Président américains sont à mettre au point les modalités d’ajustements fiscaux aux frontières (AFF) qui feraient partie d’un programme plus vaste visant à faire diminuer l’impôt sur les profits des entreprises américaines le faisant passer de 35 % à 20 % pour les corporations et à 25 % pour les autres entreprises. Les AFF feraient en sorte que les entreprises américaines ne pourraient plus déduire leurs importations d’intrants de leur profit imposable. Elles bénéficieraient aussi d’une exemption des revenus provenant de leurs exportations. L’objectif des AFF est donc à la fois d’inciter les entreprises américaines à s’approvisionner davantage aux États-Unis et à accroitre leurs exportations.

Ces changements pourraient avoir pour effet de faire apprécier le dollar américain, mais ils modifieraient aussi les termes d’échange. Ils joueraient différemment selon les entreprises et les secteurs considérés, certains ne pouvant pas modifier la composition de leurs intrants, d’autres ne pouvant pas transmettre à leurs clients les augmentations du prix de leurs intrants importés. Les AFF auraient aussi des effets sur les partenaires commerciaux des États-Unis, dont le Canada. Nous examinons ces derniers effets dans le présent billet à partir des résultats d’une étude[1] publiée récemment par l’Institut C.D. Howe. Les auteurs de l’étude se sont servis d’un modèle d’équilibre général[2] pour simuler les effets macroéconomiques et sectoriels en 2022 de l’entrée en vigueur des AFF en 2017.

Les résultats de la simulation de l’Institut C.D. Howe

 

Aux États-Unis

Conformément aux attentes, les importations baisseraient. Par suite de la hausse du taux de change, les exportations diminueraient également, mais moins que les importations de sorte que, au total, la balance commerciale s’améliorerait. De même, le PIB nominal augmenterait (4,3 %), mais le PIB réel (-1,3 %) et le bien-être diminueraient suite à la perte de compétitivité et à des prix à la consommation plus élevés (+4,7 %). Les salaires réels seraient également en baisse (- 1 %).

Au Canada

Ses exportations aux États-Unis sont constituées largement de matières premières, de matériaux de base et de pièces qui entrent dans les chaines de valeur ajoutée des firmes multinationales américaines. Pour cette raison, les AFF affecteraient beaucoup l’économie canadienne. Les effets de termes d’échange domineraient et globalement on observerait une diminution du PIB réel de près de 1 % et de l’indice des prix d’environ 2 %.

Tableau 1

Variations de quelques indicateurs macroéconomiques au Canada 

PIB en valeur

-3,63 %

PIB réel

-0,87 %

Indice des prix à la consommation

-2,03 %

Consommation

-1,8 %

Dépense publiques

-1,25 %

Investissement

-1,66 %

Exportations réelles

-2,18 %

Importations réelles

– 5,13 %

Termes d’échange

-2,90 %

Salaire réel – main-d’oeuvre peu qualifiée

-0,87 %

Salaire réel – main-d’œuvre qualifiée

-0,86 %

Solde commercial (millions $ U.S)

995

Sur le plan sectoriel, on observe une diminution dans les deux directions du commerce entre le Canada et les États-Unis. Comme le montre le tableau 2, les importations canadiennes provenant des États-Unis diminueraient de façon importante dans nombre de secteurs. De même, les exportations sur le marché américain diminueraient dans la plupart des secteurs.

Tableau 2

Variation de la valeur en $ US du commerce canadien avec les États-Unis dans certains secteurs

(%)

 

Importations

Exportations

Industrie laitière

-16,4

-6,6

Carburants fossiles

-20,1

-8,2

Porc et volaille

-12,3

5,5

Textiles et vêtements

-14,1

5,1

Produits chimiques, caoutchouc et plastiques

-10,1

-10,4

Produits métalliques

-14,8

-21,7

Secteur automobile

-11,8

-8,2

Matériel de transport

-14,6

-21,0

Équipements électroniques

-17,6

-12,6

Machinerie et équipements

-12,9

-18,7

Autres produits manufacturés

-6,0

11,0

Construction

-10,4

-19,8

Transport

-10,8

-10,7

 Ailleurs dans le monde

L’Union européenne et la Chine subiraient des diminutions importantes de bien-être et la production diminuerait dans la majorité des secteurs. Certains secteurs, dont les équipements électroniques et les produits en métal, bénéficieraient de diminutions importantes dans le commerce avec les États-Unis. Les secteurs les plus affectés négativement seraient les équipements de transport, l’automobile et les produits chimiques, le caoutchouc et les plastiques.

Commentaires

Les estimations présentées dans l’étude de l’Institut C.D. Howe sont à parfaire et à compléter pour diverses raisons, dont les suivantes :

  1. Quoique sophistiqué et élaboré, le modèle d’équilibre général utilisé par l’Institut ne tient pas compte des effets des AFF sur les investissements ou sur les prix des exportations qui pourraient modifier les parts de marché.
  2. Sur le plan méthodologique, l’utilisation d’hypothèses peu vraisemblables, dont celle de plein emploi, sur lesquelles reposent les modèles d’équilibre général, est contestée.
  3. On ne peut présumer que les politiques canadiennes ne seraient pas modifiées pour s’adapter au nouveau contexte. De même, il est possible que le Canada et d’autres partenaires commerciaux des États-Unis considèrent le nouveau traitement fiscal des exportations américaines comme une subventions à l’exportation et portent plainte devant les instances d’arbitrage.

D’autres facteurs peuvent également jouer:

  • L’effet stabilisateur de chaines de valeur ajoutée très développée dans plusieurs secteurs,
  • le lobbying des secteurs et des entreprises auprès du Congrès,
  • les tractations politiques,
  • une augmentation des taux d’intérêt par la Réserve fédérale,
  • le retrait des États-Unis du Partenariat transpacifique (PTP),
  • les effets de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne, dont pourraient profiter les économies canadienne et québécoise,
  • des modifications à l’ALÉNA,
  • des négociations dans les domaines du bois d’œuvre et des produits laitiers et dans d’autres secteurs,
  • etc.

Tous ces impondérables font en sorte que les résultats de la simulation de l’Institut peuvent être envisagées comme des indications sur la direction des variations macroéconomiques et sectorielles pouvant résulter de la mise en œuvre des AFF, mais qui demeurent à parfaire et à préciser quant à l’ampleur de ces variations.

 Conclusion

Malgré leurs imperfections et leurs imprécisions, les simulations effectuées par l’Institut sont utiles et elles doivent être vues comme une invitation pressante aux économistes, aux dirigeants d’entreprises et aux responsables politiques à poursuivre les analyses et les réflexions sur un sujet qui nécessitera sans doute des ajustements aux politiques nationales.

 

 


[1] Dan Curiak et J. Xiao, «Aftershocks: Quantifying Economic Impacts of a US Border Adjustment Tax», Institut C.D. Howe, Working Paper, 9 mars 2017. https://www.cdhowe.org/sites/default/files/attachments/research_papers/mixed/Working%20paper%202_2017%20Feb.pdf

[2] Soit le Global Analysis Trade Project V9 pour l’année de base 2011.