Entrepreneuriat québécois: une stratégie fort opportune

Les Québécois n’ont pas la fibre entrepreneuriale aussi développée que celles des autres Canadiens. C’est ce qui ressort d’un sondage mené par la Fondation de l’entrepreneurship en 2010 . Le Québec est la province qui comptait le moins de propriétaires d’entreprise l’an passé et où les intentions d’en démarrer une étaient les plus faibles. Par ailleurs, le taux de survie des entreprises créées au Québec est inférieur à la moyenne canadienne. Et avec le vieillissement de la population, le Québec fera bientôt face à un grave problème de relève, car le nombre d’entrepreneurs qui se retireront sera bien plus grand que l’entrée de nouveaux.

Les raisons pour lesquelles les Québécois font preuve de moins de dynamisme entrepreneurial que les autres Canadiens ne sont pas claires. La Fondation de l’entrepreneurship a interrogé ceux qui démarrent des entreprises sur les obstacles auxquels ils font face. Il ressort que le plus important est d’ordre financier (manque de fonds). Elle a également questionné ceux qui ont l’intention de démarrer une entreprise sur leur motivation, et la principale est le désir d’avoir plus d’indépendance et de liberté. Pour savoir ce qui empêche les individus de se lancer en affaires, cependant, il aurait fallu interroger ceux qui ne sont pas entrepreneurs et qui n’ont pas l’intention de le devenir sur les raisons de leur choix.

Devant l’absence de réponse claire, on peut émettre des hypothèses. Celle qui est la plus souvent avancée, c’est que l’entrepreneuriat serait moins valorisé au Québec qu’ailleurs au Canada. L’homme d’affaires qui a réussi n’aurait pas la cote auprès des Québécois. Vraiment ? Peut-être, mais la fierté des Québécois pour leurs concitoyens qui ont réussi comme entrepreneur – quand j’étudiais dans les années 1980, c’était Bombardier qu’on donnait ad nauseam en exemple, aujourd’hui c’est le Cirque du Soleil – me fait douter de cette hypothèse. Il peut y avoir une foule d’autre raisons, dont le manque de savoir-faire, le fardeau de la réglementation, l’insuffisance de soutien, etc.

Quoi qu’il en soit des raisons de la faible performance du Québec en matière d’entrepreneuriat relativement aux autres provinces, le gouvernement vient de publier sa stratégie en la matière – dont je vais vous résumer les grandes lignes – et il n’a pas pris de chance en développant une stratégie de l’entrepreneuriat qui ratisse large .

La stratégie québécoise de l’entrepreneuriat dévoilée il y a quelques jours par le Ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation s’intitule Foncez! tout le Québec vous admire, ce qui annonce d’emblée que le gouvernement veut redorer l’image de l’entrepreneur. Dans les faits, cependant, il ne s’agit que du premier volet d’une stratégie qui en comporte cinq :

1. La valorisation des entrepreneurs

Pour valoriser l’entrepreneuriat, le gouvernement compte sur des initiatives comme le Concours québécois en entrepreneuriat (qui existe depuis 1998), des campagnes de promotion de l’entrepreneuriat, accompagnées d’émissions de télévision qui mettront en vedette des entrepreneurs potentiels ou réels, des prix et des bourses récompensant des entrepreneurs prometteurs ou des étudiants qui mettent sur pied des projets d’entreprise.

2. La promotion des valeurs entrepreneuriales à travers le système d’éducation

La promotion de l’entrepreneuriat à travers le système d’éducation consistera à renforcer ou à élargir certaines stratégies qui existent déjà, tels que le Défi de l’entrepreneuriat jeunesse, mis en place en 2004, qui a pour objectif de développer l’esprit d’entrepreneuriat du primaire jusqu’à l’université, et à en développer de nouvelles s’adressant tant aux enseignants qu’aux étudiants. Davantage de ressources seront investies dans les Centres d’entrepreneurs universitaires pour les aider à stimuler le goût des affaires chez les jeunes, notamment par le jeu et les médias sociaux.

3. Le soutien à la création, à la croissance et au transfert des entreprises

Le soutien à la création, à la croissance et au transfert des entreprises passera par le renforcement de mesures d’accompagnement des entrepreneurs aux différentes étapes de la vie de leur entreprise (incluant le transfert d’entreprise), le soutien des clientèles particulières (femmes, jeunes, communautés culturelles, etc.) et la promotion du développement du modèle coopératif. Il se fera également par un accroissement de l’accès des entrepreneurs potentiels ou actuels au financement.

4. La simplification et la réduction du fardeau administratif

Pour simplifier et alléger le fardeau administratif, le gouvernement compte améliorer sa prestation de services électroniques et offrir aux entrepreneurs une porte d’entrée unique aux services gouvernementaux offerts sur le Web ou par téléphone. En ce qui concerne la simplification réglementaire et administrative, le gouvernement attend les recommandations du comité constitué en majorité de représentants d’associations d’affaires, d’entreprises et du monde syndical, mis sur pied à cet effet en janvier 2011.

5. Le renforcement et la concertation des différents intervenants dans toutes les localités et les régions

Au chapitre du renforcement et de la concertation des différents intervenants dans les localités et les régions, le gouvernement compte sur les Centres locaux de développement (CLD) dont le financement est assuré par le gouvernement et les Municipalités régionales de comtés (MRC). Le gouvernement renouvellera son partenariat avec les MRC afin de renforcer l’action des CLD dans leur mandat d’accompagnement des entrepreneurs potentiels ou en activité.

 Cette stratégie a des objectifs que le gouvernement qualifie de réalistes, soit l’arrivée de 50 000 nouveaux propriétaires d’entreprises d’ici 2020, plutôt que les 30 000 projetés (ce qui parviendrait à contrer la pénurie anticipée d’entrepreneurs), la hausse de 140 000 individus de plus que prévu ayant l’intention de démarrer une entreprise au cours de cette période, l’amélioration de 15 % du taux de survie après un an des entreprises de cinq employés ou plus et un taux de transferts d’entreprises réussis, après trois ans, de 75 %.

L’avenir nous dira ce qu’il en est. Ce qui est bien, c’est que le gouvernement a l’intention de mesurer l’effet de ses interventions dans chaque région en 2014, en fonction des résultats et actions concrètes que la stratégie prévoit. Il pourrait alors réajuster le tir afin d’atteindre les objectifs visés pour 2020. Trop souvent les gouvernements développent des stratégies sans se soucier d’en mesurer les résultats. Espérons qu’il ne s’agit pas seulement d’un vœu pieux et que le gouvernement fera ce qu’il promet en 2014.

Pour mener à bien sa stratégie d’entrepreneuriat, le gouvernement ajoutera 104 millions de dollars de mesures budgétaires sur la période 2011-2014, et 147,7 millions de dollars à différents fonds de financement des entreprises, pour un total de 251,7 millions de dollars. Fait à noter, le communiqué de presse annonçait des investissements supplémentaires de « quelque 450 millions de dollars au cours des trois prochaines années », mais se gardait bien de préciser que près de 200 de ces millions proviendraient de partenaires privés. Dur, dur pour un gouvernement de ne pas annoncer de gros chiffres.

Parmi toutes les mesures de cette stratégie de l’entrepreneuriat, il en est une sur laquelle le gouvernement n’a pas beaucoup insisté dans son document et qui me semble très importante: celle qui consiste à réduire le fardeau administratif des entreprises. D’après un sondage de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) mené en 2009, à la question « Quels sont les principaux défis liés à la gestion de votre entreprise ? », les règlements gouvernementaux et les formalités administratives arrivaient en premier lieu (55,1 % des répondants), devant la difficulté de trouver de nouveaux clients et marchés (52,4 %) . Certes, c’est le propre des entrepreneurs de trouver que la réglementation est excessive, mais combinée à une autre étude de la FCEI qui montrait que les PME québécoises ont un plus lourd fardeau à supporter au niveau de la réglementation que les autres provinces canadiennes (et dans ce cas, l’association n’a pas intérêt à plaindre davantage les entreprises québécoises que les autres), il s’agit d’un résultat qui me semble révéler un réel problème.

Le gouvernement attend les recommandations du groupe de travail sur la simplification réglementaire et administrative, un comité qui travaille sous la responsabilité de M. Michel Audet (Ministre des finances de 2005 à 2007). Pour ma part, j’ai bien hâte de voir les recommandations de ce comité, qui pourraient faciliter grandement la vie des entrepreneurs et, partant, encourager l’entrepreneuriat. Et ce qui est assez ironique, c’est que de toutes les initiatives de la stratégie québécoise de l’entrepreneurship que le gouvernement vient d’annoncer, c’est la seule qui ne coûtera rien! Ça ne prend pas nécessairement des millions pour améliorer les choses…