Avec Paul Krugman et Joseph Stiglitz, Jeffrey Sachs compte parmi les économistes les plus connus de la gauche progressiste américaine. Spécialiste du développement international, il a agi comme conseiller auprès de plusieurs pays en développement afin de les guider dans leurs politiques macroéconomiques et structurelles. Dans un livre récent [1], ce professeur de l’université Columbia applique son expertise à l’endroit de son propre pays qu’il considère aux prises avec des problèmes structurels très inquiétants. De fait, son livre constitue une critique tous azimuts des mœurs politiques américaines et de leurs conséquences pour la prospérité du pays et de ses citoyens.
C’est un livre assez peu technique. Le ton général est celui des lettres à l’éditeur que l’on retrouve dans les journaux. Sachs renoue avec la tradition de Smith, Mill ou Keynes en produisant un essai qui emprunte aux sciences morales et politiques davantage qu’à la science économique pure et dure. Sachs y fait même référence à un manifeste pour une éthique économique mondiale publié par un groupe de sages, dont le théologien dissident Hans Küng. Pour eux, l’être humain devrait être l’étalon éthique pour chaque geste économique (181). Le système politico-économique serait-il à l’aube d’une renaissance humaniste ? On peut toujours l’espérer.
Ce livre est très «daté» puisqu’il comporte des critiques très précises des actions et de l’inaction des deux premières années du gouvernement Obama. En fait, Sachs considère qu’Obama a largement trahi les espoirs qu’il avait suscités en étant trop à la remorque de Wall Street et du grand capital. Ce qui fait qu’il a produit un régime d’assurance santé très minimal qui servira surtout à enrichir les compagnies d’assurance. Le président américain n’a pas réussi davantage à empêcher les financiers de poursuivre leurs pratiques éhontées de salaires et de bonis faramineux malgré leurs pratiques douteuses et en dépit de la morosité de l’économie.
Sachs prend acte aussi du fait, irrémédiable à son avis, que les États-Unis ont perdu leur suprématie économique. Cela peut exacerber la frustration des classes moyennes mais il n’y aura pas de retour en arrière. De toute façon, il faut se réjouir que d’autres pays puissent connaitre la prospérité. Il n’hésite par ailleurs à reconnaitre que certains de ces pays, surtout les pays scandinaves et le Canada, s’en tirent mieux que les États-Unis malgré une fiscalité plus élevée et un PIB per capita inférieur.
Selon lui, le PIB per capita plus élevé aux États-Unis (qu’en Europe) provient de ce que les Américains sont confrontés à des couts de services de santé plus élevés, de plus longues heures de travail, de plus longs déplacements pour le travail, de plus grandes dépenses militaires et les revenus excessivement élevés d’une minorité. Il note également que les différences de PIB per capita remontent à bien avant les réductions d’impôt des années 1980 : en 1913, les États-Unis étaient 52% plus riches que l’Europe…tout comme en 1998. Cet écart de richesse s’explique essentiellement par la dotation naturelle (espace aménageable et ressources) plus importante des Etats-Unis (225).
Sachs est favorable à un système de péréquation qui assure un minimum de services sociaux et éducatifs et un niveau comparable de fiscalité entre les gouvernements subnationaux de façon à éviter que tous les nécessiteux se retrouvent en un endroit (là où les programmes sociaux sont les plus avantageux) et les riches en un autre (là où la fiscalité est la plus basse)(228).
Le titre du livre fait référence à une citation attribuée à un ancien juge de la Cour suprême des États-Unis, Wendel Holmes. Celui-ci aurait déclaré que les impôts et les taxes représentaient le prix à payer pour la civilisation. Sachs se désole que tant de ses concitoyens demeurent fermés à cette évidence.
[1] The Price of Civilization – Economics and Ethics after the Fall, 2011, Random House, 324 p.