FAUT-IL PRIORISER LES INÉGALITÉS OU LA PAUVRETÉ?

Certains confondent la réduction des inégalités et la réduction de la pauvreté. Au Québec, où une loi sur l’élimination de la pauvreté a été adoptée à l’unanimité en 2002 par l’Assemblée nationale, la réduction de la pauvreté est censée être une priorité. Pourtant, malgré d’importants efforts, la pauvreté existe toujours : près d’un ménage québécois sur dix se situe sous le taux de faibles revenus – moins de 50 % du revenu médian[i]. Parmi les familles monoparentales, cette proportion grimpe à un ménage sur quatre.

Si la lutte contre la pauvreté, qui est un objectif noble largement endossé par la population, est une chose, réduire les inégalités en est une autre.  Mais les deux restent intimement liés. En effet, ces deux enjeux résultent le plus souvent des mêmes facteurs et les inégalités alimentent la pauvreté; si votre chaloupe prend l’eau, la vider au fur et à mesure ne réglera pas le problème.

Il existe une forte corrélation entre le niveau de pauvreté et des inégalités de revenus dans les pays développés. Il y a aussi une forte corrélation entre le niveau d’inégalités et la part des revenus captée par le 1 % le plus riche, comme l’illustre le graphique ci-dessous.

La distinction entre pays anglophones et non anglophones est utile étant donné le plus grand recours des premiers aux mécanismes de marché et la moins grande place qu’y occupe l’État dans la réduction des inégalités[ii].

De plus, notons que les pays anglo-saxons (États-Unis, Canada, Royaume-Uni, etc.) ne ciblent que la pauvreté sans s’attaquer aux inégalités. Pourtant, ils ne parviennent à réduire ni l’un ni l’autre puisqu’ils ont les niveaux d’inégalité et de pauvreté les plus élevés parmi les pays développés[iii].

Il est à noter que le Québec se distingue des pays anglophones au sein duquel se situe le Canada. C’est ce que reflète l’évolution du 1% le plus riche au Québec et dans les pays anglo-saxons, comme l’illustre la figure ci-dessous[iv].

 

La réduction de la pauvreté doit passer par la réduction des inégalités, ce qui veut dire s’attaquer également à la stagnation des revenus de la classe moyenne et à la croissance importante des revenus élevés. À peine sorti  d’une situation de pauvreté, il sera plus difficile de reprendre pied lorsque la classe moyenne dans laquelle on atterrit est précaire et offre peu d’opportunités d’amélioration de ses conditions de vie. D’ailleurs, les pays plus inégalitaires ont tendance à avoir une classe moyenne plus petite[v]. Bref, mieux vaut miser sur une plus grande égalité au profit de tous.

Note : Le présent billet a également été publié sur le blogue de l’Institut du Nouveau Monde.


[i]                 Statistique Canada, « Taux de faible revenu selon le type de famille, ensemble du Québec, 2008-2012 », adapté par l’Institut de la statistique du Québec.

[ii] Bruno Amable, « Les spécificités nationales du capitalisme », Cahiers français, n° 349, 2009, p. 57-62.

[iii]                Selon les données les plus récentes du Luxembourg Income Study Cross-Country Database (LIS). Bien que les données ne soient accessibles qu’aux chercheurs, on peut trouver les données sur la pauvreté à la page 74 de ce document, ainsi que les données sur les inégalités dans ce texte.

[iv] Cette figure est issue d’un livre à paraitre prochainement aux Presses de l’Université de Montréal

[v]                Régis Bigot, Patricia Croutte, Jörg Müller et Guillaume Osier, « Pas de classes moyennes sans redistribution sociale et fiscale ? », dans Consommation et modes de vie, CRÉDOC, no 249, 2012.