À Québec, certaines personnes du milieu politique et des gens d’affaires s’impatientaient dernièrement de ne pouvoir obtenir un engagement du gouvernement fédéral concernant le financement du projet de « réseau structurant de transport en commun ». Selon ce qui est prévu, les gouvernements supérieurs assureraient l’essentiel du financement. Sur les quelque 3,3 milliards de $ que coûterait le projet, le gouvernement du Québec contribuerait à hauteur de 1,8 milliard de $, Ottawa 1,2 milliard de $ et la Ville de Québec 300 millions de $.
Un problème qui a suscité tout un débat politique prend sa source d’une mésentente technique sur un critère du volet « transport en commun » du programme fédéral d’infrastructures. Ce critère stipule que l’aide doit être attribuée en fonction de l’achalandage du réseau. Ceci fait en sorte que les sommes actuellement disponibles dans ce volet du programme seraient insuffisantes pour assurer la portion de financement demandée au fédéral.
Le gouvernement Legault met de la pression sur Ottawa pour modifier ce critère afin que l’aide fédérale provienne en totalité du volet destiné au transport en commun. Ottawa propose plutôt de compléter la partie manquante dans le volet pour les infrastructures vertes. Faute de modifier ce critère, il y aurait là un enjeu pour les prochaines élections fédérales à Québec, selon certains.
Il est tentant pour les politiciens de planifier un projet de la plus grande envergure possible
Mentionnons d’emblée que l’empressement des intervenants locaux est en partie légitime parce que l’administration de la Ville de Québec ne paiera qu’un montant minime par rapport au coût total de la construction de ce réseau. Quelle ville se priverait ainsi d’une cagnotte de quelque 3 milliards de $. Cela dit, en raison du fait que ce sont les gouvernements supérieurs qui financent la presque totalité de la construction du projet, il est aussi tentant d’en profiter pour planifier un projet qui soit de la plus grande envergure possible, au-delà d’une taille optimale, en oubliant que cela pourrait avoir un impact à la hausse sur les coûts de son exploitation. À cet égard, le critère voulant qu’on attribue la subvention selon l’achalandage n’est pas insensé dans la mesure où il permettrait d’éviter que le projet soit surdimensionné par rapport à la taille de son marché.
Peu de choses ont été dites sur le financement de l’exploitation du réseau
Il y a là un réel danger parce que très peu de choses ont encore été dites sur les moyens de financement de la mise en service ou d’exploitation du réseau. Il s’agit d’une question fort importante qui devrait préoccuper les citoyens de Québec puisqu’ils devront assumer eux-mêmes cet aspect du financement du réseau.
Il faut savoir que les grandes infrastructures de transport en commun ne sont rentables dans aucun pays du monde (si on s’en tient à un strict cadre financier et qu’on néglige la réduction des coûts externes liés à la congestion et à l’environnement). Il subsiste toujours une portion déficitaire pour le financement de l’exploitation qui doit être assumée par des sources externes aux revenus de billetterie. Cette portion est d’autant plus élevée lorsqu’un projet est surdimensionné par rapport à la taille de son marché.
Afin d’assurer le financement de l’exploitation du réseau structurant, les gouvernements pourraient décider d’ajouter une taxe sur l’essence comme Montréal le fait depuis longtemps. Et les arguments pour choisir une taxe spécifique sont connus : le coût relatif d’utiliser une voiture individuelle est ainsi augmenté, créant un incitatif supplémentaire à utiliser le transport collectif. Ceci n’est donc pas impossible et ce type de scénario est aussi loin d’être improbable. En fait, trois villes au Canada imposent une telle taxe : Vancouver, Victoria et Montréal, avec des taux respectifs de 17,0 cents[1], 5,5 cents et 3,0 cents le litre. L’impact sur les prix à la pompe est considérable comme l’indique le tableau qui suit. À titre de comparaison, par exemple, pour la journée du 5 avril dernier, l’essence était 31 % plus chère à Vancouver qu’à Québec, 17 % plus chère à Victoria et 6,5 % plus chère à Montréal. On voit donc une majoration importante dans le prix de l’essence chez les villes qui ont décidé de financer en partie le transport en commun par une telle taxe.
De plus, cette taxe tend aussi à augmenter avec le temps. Dans le cas de Montréal, alors qu’elle était initialement de 1 cent du litre en 2003, sur une période de plus de dix ans, elle a par la suite été augmentée à 1,5 cent et à 3 cents du litre. Et il est possible qu’elle augmente encore. La Commission de Transport de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) suggérait récemment d’accroître de 3 à 6 cents le litre la taxe pour le transport en commun.
Conclusion
L’idée générale n’est pas de s’opposer aux bons projets de transport en commun, bien au contraire. Toutefois, l’analyse de rentabilité du projet devrait tenir compte des coûts et des bénéfices sociaux, par exemple de son impact sur la diminution de la congestion routière et sur l’environnement, mais aussi des différents moyens de financer son exploitation, une part qui sera assumée par la population locale.
Mais l’empressement des politiciens locaux et du milieu des affaires pour boucler le financement de la construction du projet avant les élections fédérales amène un risque réel. Les gouvernements supérieurs assumeront la presque totalité de la facture de la construction du projet, mais on ne spécifie aucunement quelles seront les sources de financement de l’exploitation qui seront assumées par la population locale.
Quant à savoir si les investissements massifs en transport en commun et l’imposition d’une taxe spécifique sur l’essence ont effectivement contribué à diminuer la congestion routière à Montréal, à Vancouver et Victoria, une analyse exhaustive serait nécessaire.
[1] Devrait augmenter à 18,5 cents ce printemps.
NOTE : Une version du présent billet a été publiée dans le journal Le Soleil.
Prix du carburant au détail le 5 avril 2019 selon les principales villes canadiennes
Ville |
Ordinaire |
Taxes (fédéral, prov. et municipales) |
Marges du négociant (%) |
Edmonton |
1,19 |
,354 |
2,6 |
Vancouver |
1,63 |
,54 |
11,6 |
Victoria |
1,54 |
,462 |
8,6 |
Winnipeg |
1,27 |
,35 |
9,0 |
Saint-Jean |
1,27 |
,47 |
8,6 |
Halifax |
1,25 |
,42 |
11,0 |
Toronto |
1,25 |
,43 |
9,3 |
Montréal |
1,32 |
,49 |
5,8 |
Québec |
1,24 |
,45 |
2,3 |