IL FAUT POURSUIVRE ET ÉLARGIR LA RÉFLEXION SUR L’ACCEPTABILITÉ SOCIALE

Au Québec, l’acceptabilité sociale est devenue une condition nécessaire pour la réalisation des grands projets d’investissements ou pour l’élaboration de politiques publiques.  Elle est même exigée par plusieurs instances gouvernementales dont le rôle est justement d’évaluer des projets de grande envergure. Qui s’intéresse à cette question y trouvera une abondante littérature, notamment en ce qui concerne les différentes approches et méthodes.[1]

Toutefois, au Québec, des conditions sont imposées aux entreprises dans un contexte où l’encadrement légal et réglementaire des projets est déjà très contraignant et où la part des investissements privés du Québec dans l’ensemble canadien est historiquement plus basse que celle de son PIB et de sa population.

Alors, dans la mesure où des exigences trop contraignantes pourraient nuire à l’investissement, nous devons nous questionner sur la pertinence d’en imposer encore plus aux entreprises, sur notre degré d’ouverture à la réalisation de grands projets, sur la suffisance de nos efforts et sur nos biais dans la promotion des grands projets d’investissements.

Un concept encore flou

 Il y a consensus dans la littérature économique sur le fait que le concept d’acceptabilité sociale est flou et qu’il n’en existe aucune définition officielle dans aucune loi. Peu d’intervenants, que ce soit les gouvernements, les entreprises, les associations ou les citoyens, s’entendent sur une définition claire, commune et balisée.[2]

En raison de ce flou, il est souvent impossible de concilier les intérêts des promoteurs et ceux des différents groupes d’intérêt ou de citoyens. Fondamentalement, les divergences s’inscrivent autour du droit des promoteurs de réaliser ou non un projet sous différents degrés d’approbation, et du droit des citoyens de le refuser ou de l’accepter à des conditions spécifiques.

Pour certains[3], l’imprécision incite à l’utilisation de concepts différents et suscite l’arbitraire en faisant entorse au principe de la primauté du droit et en minant la confiance des entreprises envers les institutions qui encadrent la réalisation des projets d’infrastructures[4]. La notion est parfois limitée et réduite, et certains aspects importants sont escamotés au profit d’un certain populisme et, de façon générale, du politique. Par exemple, le milieu des affaires dénonce le manque de considération des dimensions économiques au profit de la visibilité médiatique des quelques groupes défendant différentes causes.

L’intérêt supérieur de la nation

 Une des conséquences du poids accordé à  la notion d’acceptabilité sociale est qu’on oublie de faire valoir en contrepartie la notion non moins importante d’ « intérêt supérieur de la nation». 

La notion « d’intérêt supérieur de la nation » est ancienne puisqu’elle remonte aux philosophes grecs (Platon, Aristote). Elle a fait l’objet de discussions politiques en France à l’époque de Charles de Gaulle, et aux États-Unis, à celle de John F. Kennedy. Elle est aussi utilisée par le Canada depuis quelques décennies pour l’examen d’investissements directs étrangers. Pourtant, elle est ignorée au Québec.

Elle se décline comme suit : la nation n’est pas un agrégat d’individus où le tout se résume à la somme des parties. L’État doit assumer des responsabilités à un niveau supérieur qui est plus large que celle des individus qui composent la nation. Il doit viser à défendre le bien commun, ce qui justifie son intervention.

Dans le cas des projets d’infrastructure, l’intérêt supérieur ou l’avantage du projet pour la nation est trop souvent mis au second plan ou mal expliqué pour des raisons diverses. Il reste difficile d’évaluer la supériorité des avantages nationaux d’un projet vis-à-vis les inconvénients subis par les intervenants locaux. Les projets qui ont une portée nationale sont souvent mal reçus par la population parce qu’on n’en perçoit que des inconvénients sur le plan local et qu’on oublie les avantages au plan national. Le  syndrome du « pas dans ma cour » l’emporte au détriment d’un bénéfice net plus global. Le débat sur l’acceptabilité sociale reste alors toujours biaisé et tend à favoriser l’opposition des groupes locaux.

Ceci a souvent été le cas dans le secteur énergétique pour des projets d’exploitation ou de transport. La déclaration récente du premier ministre du Québec le démontre quand il a affirmé que le projet Énergie-Est ne peut se réaliser au Québec parce qu’il n’y a pas d’acceptabilité sociale. Par une telle affirmation, il ne semble pas avoir considéré les bénéfices que ce projet pourrait apporter tant sur le plan canadien que pour le Québec.

Il n’est d’ailleurs pas le seul à penser ainsi. Son prédécesseur, Philippe Couillard, a déjà affirmé (toujours au sujet des hydrocarbures) que l’acceptabilité sociale prime sur tous les règlements et les lois en vigueur ou à venir. « Je pense que si la population de la Gaspésie ne veut pas voir d’hydrocarbures dans la région, on aura rapidement la conclusion qu’il n’y a pas d’acceptabilité sociale » [5] avait-il déclaré. Mais alors, où est donc l’intérêt national ?  N’aurait-on produit et vendu du pétrole que pour le bénéfice des gens de la Gaspésie ? 

OÙ EN SOMMES-NOUS?

L’ancien ministre des Ressources naturelles, monsieur Pierre Arcand, a mis en œuvre en 2014 un chantier sur l’acceptabilité sociale[6]. Un « livre vert » a été publié à cet effet, et des consultations ont eu lieu au printemps 2016 dans le cadre des travaux de la Commission de l’agriculture et des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles. Des orientations ont par ailleurs été rendues publiques en 2017 visant notamment la transparence, le partage des bénéfices aux communautés locales et le renforcement de la capacité d’analyse des retombées économiques[7].

Il reste à voir si le nouveau gouvernement poursuivra cette démarche et s’il est prêt à en faire un dossier engageant l’ensemble du conseil des ministres et non pas seulement le ministre des Ressources naturelles. Nous sommes à une croisée de chemin en ce qui a trait à l’acceptabilité sociale des projets d’investissement majeurs au Québec. Peut-être serait-il temps de réamorcer un processus de consultation plus large et plus orienté vers le rôle de l’État et la défense du bien commun.  L’exercice en vaudrait sûrement la peine

 


[1] CPEQ, Conseil patronal de l’environnement du Québec, Les facteurs de l’acceptabilité sociale, https://www.cpeq.org/fr/guides/acceptabilite-sociale-des-projets/ii-les-facteurs-dacceptabilite-sociale.

[2] Pierre Batelier, Acceptabilité sociale, Cartographie d’une notion et de ses usages, Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté, UQAM, 2015

[3] Youri Chassin, les dérives de l’acceptabilité sociale, Institut Économique de Montréal, https://www.iedm.org/sites/default/files/pub_files/note0217_fr.pdf .

[4] Association pétrolière et gazière du Québec, mémoire présenté aux consultations particulières et auditions publiques de la CAPERN dans le dans le cadre de l’étude du Livre vert intitulé « Orientations du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles en matière d’acceptabilité sociale », mars 2016.

[5] Pas de projet d’hydrocarbures sans l’acceptabilité sociale dit Philippe Couillard

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1057994/projet-hydrocarbures-acceptabilite-sociale-philippe-couillard .

[6] Le ministre Arcand dévoile les orientations du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles en matière d’acceptabilité socialehttps://mern.gouv.qc.ca/24012017-acceptabilite-sociale/

[7] Orientations du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles en matière d’acceptabilité sociale

https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/energie-ressources-naturelles/publications-adm/acceptabilite-sociale/AS-orientations-MERN.pdf?1544634443 .