Inondations, tornades, prix des maisons et primes d’assurance : comment améliorer les rôles des secteurs privé et public ?

Introduction

Est-il nécessaire d’en demeurer au financement des dépenses découlant des inondations et tornades par des coupures budgétaires additionnelles telles celles que l’on vient de nous annoncer? Y a-t-il des changements à effectuer dans les politiques et pratiques privées et publiques pour faire face à de tels événements dont certains sont récurrents dans certaines régions et probables dans d’autres et ce, dans un contexte où les réactions individuelles, institutionnelles et gouvernementales sont souvent contre-intuitives?

Le Québec dispose de trois programmes dans le cadre de la Loi sur la sécurité publique pour aider au financement lors de sinistres, pour aider dans la disponibilité de besoins de première nécessité et pour réagir lors de l’imminence de mouvements de sol. Le 11 mai on a annoncé de l’aide de 20.00$ par jour par personne jusqu’à concurrence de 150,000$ pour les résidents d’une résidence principale dans les zones inondées.

Dans le cas des inondations du printemps en Montérégie, le 18 août dernier un décret autorisait la reconstruction en zone inondable 2-20 selon certaines conditions dont la perte de 50% de la valeur des propriétés, l’immunisation des résidences par des constructions sur pilotis ou par des solages imperméable. Les maires de plusieurs des municipalités touchées voudraient étendre les programmes aux résidences secondaires, d’où la difficulté d’en arriver à un régime efficace, équitable et acceptable pour tous les citoyens touchés directement ou indirectement, dont les contribuables, par de telles catastrophes naturelles.

Les municipalités étant habilitées à émettre des permis de construction, on a établi un Centre de coordination Québec-Municipalités et observé les efforts de la Croix-Rouge, de l’Armée canadienne, ainsi que des corvées de bénévoles. Toutes ces initiatives étaient bienvenues mais pas nécessairement bien coordonnées et ce, du fait de plans de gestion des plaines inondables (responsabilité des municipalités) de valeur inégale.

Les polices d’assurance privées varient beaucoup d’un assureur à l’autre pour réparer le préjudice subi lors de catastrophes dites de «force majeure». Les délais et les interprétations varient quand il s’agit d’établir la réalité, le moment, l’intensité et le niveau des catastrophes et de fixer les remboursements à verser.

Est- il possible de concevoir des politiques et programmes publics et privés efficaces et équitables pour traiter des catastrophes naturelles qui nous affligent? Examinons les écrits pouvant éclairer une telle démarche.

Que nous indiquent les écrits sur le risque et l’incertitude?

Des écrits à la frontière de la psychologie et de l’économique et d’autres en sciences de la décision et en gestion du risque examinent les réactions individuelles, institutionnelles et sociétales lors d’événements catastrophiques dont les inondations et les tornades. Ces écrits font état de certains raisonnements répandus dont les suivants :

1) Les individus et entreprises sont prêts a dépenser des sommes plus considérables lorsqu’il s’agit d’événements ayant des effets sérieux et coûteux tels une grave récession, une catastrophe écologique, une attaque terroriste, quelle que soit la probabilité que de tels événements se reproduisent.

2) On n’apprend pas des désastres subis et on répète les mêmes erreurs, soit de construire dans des zones inondables ou sujettes à des tremblements de terre.

3) On se sent moins menacé par des événements qui se produiraient loin
dans le futur.

4) Les écrits portent à conclure que les individus et la société modifient leurs anticipations d’événements extrêmes de façon non scientifique et biaisée, et non selon les modèles théoriques rationnels.

5) Les réactions individuelles, institutionnelles et sociétales sont prévisibles et différentes selon qu’il s’agisse, d’une part, d’événements qui : a) ont déjà eu lieu ou b) n’ont jamais eu lieu, et, d’autre part, selon que ceux-ci c) ne sont pas anticipés ou d) sont reconnus comme étant possibles. Il existe donc quatre cas possibles selon la combinaison des deux groupes de possibilités.

On ne devrait se soucier des risques concernant des événements de type b et c (ex. : une voiture faisant irruption dans le salon, la crise financière de 2008), que si leurs conséquences sont sérieuses. Les écrits indiquent que les individus ont tendance à surestimer la probabilité que de tels événements se produisent dans un avenir prochain.

Les risques ne s’étant pas produits mais étant vus comme possible, soit les types b et d (ex. : une crise cardiaque), n’appellent pas les mêmes réactions que ceux ayant déjà eu lieu et étant considérés comme possible, soit les types a et d ( ex. : un accident de voiture, une inondation, une tornade). Dans ces cas (a et d), les individus ont tendance à sous-estimer la probabilité que l’évènement se produise.

Les décisions des citoyens ayant subi les inondations récentes le long du Lac Champlain et de la rivière Richelieu reflèteraient cette perception d’un événement de type a et d, d’où plus de construction et de rénovations dans des zones inondables et des diminutions des prix demandés pour les maisons moindres que ce que l’on pourrait anticiper. L’aide publique accordée pour les rénovations est venue accentuer ces effets.

Les travaux indiquent que les compagnies d’assurance augmentent les primes d’assurance suite a de tels événements, comme elles le font (lorsque cela est possible) suite a des saisons caractérisées par un nombre plus considérable d’ouragans et de tornades.

 Des travaux ont été effectués sur les changements de prix des maisons situées dans des zones inondables aux 100 années par rapport à celles situées dans des zones inondables aux 500 ans suite aux inondations des fleuves Missouri et Mississippi en 1993. Les résultats contre-intuitifs de ces travaux indiquent que les prix des premières n’ont pas diminué alors que ceux des maisons dans les zones inondables aux 500 ans ont diminué de 2 à 5 % qu’elles aient été inondées ou non.

Quel rôle pour les public secteurs public et privé?

Il est indiqué de tenir compte des comportements décrits plus haut dans la mise au point des politiques publiques efficaces et équitables qui visent de tels événements ou le risque et l’incertitude sont omniprésents.

Une des questions importantes est celle concernant la nature et le financement des assurances appropriées contre les inondations, les tornades, etc.…. Certains travaux, dont ceux du prix Nobel d’économie K. Arrow, suggèrent que la police d’assurance indiquée en est une où l’on rembourse 100% des coûts encourus au delà d’un certain déductible. Mais les individus préfèrent largement des polices d’assurance ayant des déductibles assez bas malgré le fait que les tarifs pour ces polices sont plus élevés pour ‘’ couvrir’’ le frais administratifs et de capital des compagnies d’assurance.

Nombre de travaux indiquent que les individus n’investissent pas assez dans les polices d’assurance contre les désastres naturels, même quand ces polices sont subventionnées, en présumant que les gouvernements viendront les dépanner.

Deux chercheurs dans le domaine, H. Kunreuther et Mark Pauly, ont présenté un projet intéressant. Selon eux :

…le gouvernement établirait des restrictions de zonage pour empêcher les gens de s’établir dans des endroits comportant des risques élevés, et obligerait les personnes localisées dans les régions à risque à acheter des polices d’assurance, des subventions étant accordées aux personnes dont les revenus ne permettraient pas de payer les primes, celles –ci ayant été établies selon des analyses de risque actuarielles pour minimiser les distorsions de prix qui en découlent.

En plus des effets directs sur les inondés, les catastrophes naturelles en ont aussi sur des tiers, dont les fournisseurs de biens et services et les contribuables. Cette réalité empêche de songer à une solution entièrement privée au problème.

Pourquoi les gouvernements ne géreraient-ils pas les dépenses qu’ils encourent lors de catastrophes naturelles selon des principes conventionnels d’assurance plutôt que de recourir aux fonds généraux, à l’emprunt, à des fonds d’urgence ou à des coupures dans les budgets de divers ministères comme nous venons de l’observer au Québec ? On pourrait établir un programme public de réassurance pour aider à rembourser une partie des primes. L’aide aux propriétaires actuels de zones inondées devrait cependant venir du fond général du gouvernement et non du niveau des primes d’assurance. Les individus et entreprises qui déménageraient ultérieurement vers les zones désignées devraient eux payer l’ensemble des primes établies. L’achat de polices d’assurance privées pourrait être obligatoire dans les zones désignées et celles-ci devraient être rattachées à la propriété pour assurer contre le déclin de la valeur des propriétés. Le renouvellement et l’application de codes de construction appropriés (la Hollande encourage la construction de structures flottantes), la mise à jour des infrastructures pour protéger contre les inondations, l’harmonisation et l’amélioration par les provinces, les municipalités ou les régions touchées de plans préétablis pour faire face aux catastrophes sont aussi des éléments que l’on pourrait envisager.

Le changement climatique en cours incite une majorité des experts en la matière à anticiper des catastrophes plus nombreuses que par le passé d’où la pertinence pour nos gouvernements de se doter d’une politique et d’instruments explicites pour faire face à l’augmentation du risque et de l’incertitude de ces événements. Ces événements exposeront en effet les personnes et les entreprises à des primes d’assurance accrues et à la diminution de la valeur des propriétés dans les zones touchées. Le renouvellement des politiques publiques et des pratiques privées n’est pas une mince tâche. Osons espérer que quelques unes des idées évoquées ci-haut pourront aider à faire face à ce défi.