LA COMPÉTITIVITÉ DES VILLES QUÉBÉCOISES ET CANADIENNES SELON FLORIDA

Les connaissances, l’innovation et la créativité sont des déterminants des plus importants de la croissance économique durable et inclusive que nous poursuivons d’ou l’intérêt pour la performance des grandes villes québécoises dans ces domaines.

Selon une publication récente[1] de Richard Florida et Greg Spencer, la compétitivité et le développement économique durable au niveau métropolitain reposent sur le talent, la technologie et la tolérance. Les auteurs y indiquent comment les 147 villes-régions du Canada se situent concernant ces trois variables[2]. Dans le présent blogue, nous examinons leurs observations pour certaines villes québécoises et canadiennes.

La méthodologie

Florida et Spencer ont développé et mis à l’essai une typologie regroupant les personnes en emploi selon leurs tâches :

  • Le groupe des travailleurs créatifs comprend les scientifiques, les technologues, les artistes, les designers, les professionnels des médias et ceux du milieu des affaires et de la gestion, de même que les travailleurs de la santé et de de l’éducation.
  • Les travailleurs manuels comprennent les employés des secteurs de la fabrication, de la construction et des transports.
  • Le groupe des employés des industries de service est le plus grand et celui qui croit le plus rapidement. On y trouve des occupations avec un bas niveau de compétences telles celles dans le domaine de l’alimentation, du travail de bureau et du commerce de détail. Ces emplois sont routiniers, précaires et peu rémunérés.

Florida et Spencer ont conçu un «indice Talent» qui comprend des données sur l’occupation, l’éducation, la part de l’emploi de la classe créative, le % de la population active ayant un diplôme universitaire et le nombre de doctorats par 1000 habitants.

Comme nombre de ténors de la science économique, tels Schumpeter et Robert Solow, Florida et Spencer considèrent également la technologie comme un facteur explicatif important de la richesse et de la croissance. Ils mesurent la compétitivité technologique  par un «indice Technologie» constitué de 4 composantes: les brevets par 10,000 personnes, les investissements en capital de risque et deux mesures de l’emploi dans les industrie de l’information et des communications.

Florida et Spencer soutiennent que les villes tolérantes sont plus réceptives aux nouvelles idées, à l’immigration et peuvent aussi plus facilement attirer et retenir les travailleurs talentueux. Ils ont donc mis au point un «indice Tolérance» qui tient compte du pourcentage des immigrants dans la population et de la concentration de gays et lesbiennes,  d’artistes, de musiciens et d’activités culturelles.

Enfin, les auteurs ont mis au point un «indice Créativité» qui est une agrégation des indices Talent, Technologie et Tolérance.

Les observations

Le tableau qui suit présente quelques-unes des observations découlant du travail effectué par Florida et de Spencer à partir de leur méthodologie. Les chiffres indiquent le rang de la ville-région sur les 147 villes-régions canadiennes.

Rang de quelques villes-régions selon certains critères

 

Profil de la main-d’oeuvre

Indices de créativité

Créateurs

Manuels

Services

TAL

TECH

TOL

CRÉA

Montréal

13

129

 

12

4

3

4

Québec

12

136

9

 

10

10

11

Ottawa/Gatineau

1

146

124

1

3

5

2

Toronto

3

128

121

7

2

2

1

Vancouver

10

131

 

8

5

1

3

Calgary

4

 

132

9

6

 

7

Victoria

8

143

 

6

8

4

6

St. John’s

9

135

  

37

46

 
Halifax

11

142

44

10

13

8

10

Brantford

96

30

97

93

 

53

57

Kitchener/Waterloo 

59

133

43

1

  
Windsor

40

54

103

    
Guelph 

58

141

2

14

 

8

Saguenay

50

68

 

50

46

60

52

Trois-Rivières

36

84

  

53

48

41

Note : Les cases vides du tableau sont attribuables au fait que les données publiées par  Florida et Spencer ne donnent pour chaque critère que les 10 villes-régions de 100 000 habitant et plus arrivant en tête de classement et les 10 autres arrivant en queue.

Conformément aux travaux antérieurs de Jane Jacobs selon lesquels les grandes villes sont privilégiées comme lieux pour l’innovation et la croissance économique, le tableau montre que pour les indices de créativité, ce sont les plus grandes villes qui obtiennent les meilleurs résultats:

  • En regard de l’indice Talent (TAL), Ottawa-Gatineau est en haut de la liste grâce à l’administration publique, aux universités et au secteur de haute technologie.
  • Selon l’indice Technologie (TECH), Ottawa-Gatineau se classe au 3ième rang derrière Kitchener-Waterloo et Toronto. Montréal arrive en 4ième place et Québec apparait en 10ième position.
  • Selon l’indice Tolérance (TOL), Vancouver est 1ère, Toronto 2ième, Montréal 3ième, Ottawa-Gatineau 5ième et Québec 10ième.
  • Toronto arrive 1ière selon l’indice agrégatif Créativité (CRÉA) alors qu’Ottawa-Gatineau se classe 2ième, Vancouver 3ième, Montréal 4ième et Québec 11ième.

Le coefficient de corrélation (R2) est de 0.407 entre les indices Talent et Technologie et la relation est positive entre eux. Ottawa-Gatineau et Montréal sont au dessus de la ligne de régression, une indication que ces villes profitent de d’autres variables explicatives de leur compétitivité.

Le coefficient de corrélation est de 0.571 entre les indice Talent et Tolérance. Toronto, Vancouver et Montréal ont un score élevé selon l’indice de tolérance mais sont sous la ligne de tendance en ce qui concerne le talent.

Le coefficient de corrélation est de 0.489 entre les indices de Technologie et de Tolérance. Montréal et Ottawa-Gatineau sont au-dessus de la ligne de régression, résultat reposant sur leur bonne performance selon l’indice Technologie plutôt que celle selon leur indice Tolérance.

Il faut aussi noter que les grandes villes métropolitaines où l’on trouve un fort pourcentage de «créateurs» ont tendance à avoir un pourcentage plus bas d’emplois de service.

Recommandations

Selon Florida et Spencer, les gouvernements doivent mettre au point une stratégie de développement économique tenant compte des facteurs talent, technologie et tolérance.

Ils estiment aussi qu’il faut augmenter les investissements dans les grandes villes canadiennes pour augmenter le bien-être et assurer une croissance économique durable. Les grandes villes se situent en effet au centre des flux de connaissance et d’idées qui sont si importants pour les industries telles les logiciels, la finance, la biotechnologie, le design, les médias.

Ils suggèrent en outre d’augmenter la densité des villes, de favoriser le transport public, de favoriser la construction de logements à prix modiques près des centres-villes pour les jeunes travailleurs et les familles, et de faire des efforts pour augmenter la productivité et la créativité des emplois dans les services.

Ils notent enfin la faiblesse des villes dans le système politique canadien. À cet égard, ils proposent un nouveau fédéralisme qui attribuerait plus des pouvoirs de taxation, de dépense et de contrôle aux villes.

Conclusion

L’étude de Florida et Spencer permet de mieux connaitre les forces et les faiblesses relatives des villes québécoises et canadiennes. Jumelée aux renseignements sur les grappes industrielles dont nous avons fait état dans un blogue précédent[3], elle fournit des éléments utiles pour améliorer les politiques de développement économique.


[1] Richard FLORIDA et Greg SPENCER, Canada’s Urban Competitiveness Agenda, Completing the Transition from a Resource to a Knowledge Economy, Martin Prosperity Institute, Toronto, le 2 novembre 2015.

[2] Les données utilisées pour le calcul de ces indicateurs proviennent de nombre de sources. Les lecteurs intéressés à en savoir davantage sur la méthodologie de Florida et Spencer peuvent consulter les annexes de leur étude (p. 40 à 42). Les données pour les 3 variables composant l’indice Talent proviennent du National Household Survey de 2011. Les données pour les 4 variables de l’indice Technologie sont une moyenne  pour les années 2005-2014 provenant du United States Patent and Trademark Office pour les brevets et du Thomson-Reuters pour le capital de risque moyen des années 2005, 2010 et 2013. Les données pour calculer les quotients de localisation sont tirées du National Household Survey de 2011. Les 3 indices utilisés pour calculer l’indice de tolérance  sont tirés du National Household Survey de 2011.

[3]P.P.PROULX, Les grappes industrielles face à la mondialisation, blogue Libres Échanges, le 16 novembre 2015.