Les différents réseaux d’institutions des secteurs de l’éducation et de la santé-services sociaux représentent une déconcentration du gouvernement; elle réfère à une diffusion de la gestion sur le territoire. Les unités déconcentrées sont en très grande partie financées et contrôlées par une autorité centrale, ici le gouvernement provincial, d’où leur manque d’autonomie.
Les administrateurs de ces réseaux deviennent des intermédiaires entre le gouvernement et le vécu de leur organisation comprenant personnels et usagers. Comment réagissent-ils au présent resserrement budgétaire ? Avant d’analyser la question, une référence anecdotique illustre la situation.
On dépense ce qu’on reçoit
Lors d’un prêt de service au défunt Conseil des universités au début des années soixante-dix, j’étais secrétaire de son comité de financement que présidait Roger Charbonneau, le directeur des HEC de 1962 à 1972. Un jour, il me confia son intention de constituer un comité interne pour étudier pourquoi les dépenses par étudiant étaient relativement faibles dans son institution. La réponse pouvait être formulée selon moi en moins de vingt secondes : des dépenses par étudiant moins élevées proviennent essentiellement de subventions gouvernementales moins généreuses pour son institution, toute augmentation se traduisant par des dépenses unitaires plus élevées.
Que suggère cette anecdote ? Les institutions dépensent ce qu’elles reçoivent. L’important pour l’administrateur est d’ailleurs moins le niveau de son budget mais plutôt sa croissance annuelle. Cette croissance permet de bien lubrifier la machine ou de diminuer les frictions. Un resserrement budgétaire a l’effet inverse : il met du sable dans les engrenages en suscitant des conflits. Les remises en question satisfont rarement toutes les parties.
Réactions des réseaux
Une chronique d’Alain Dubuc sous le titre «Vous sentez-vous démantelés ?» qualifiait d’inapproprié le terme démantelé pour désigner l’impact de la présente rigueur budgétaire : «ce mot qui décrit si mal ce qui se passe.»
Le mal de l’inflation verbale est bien répandu dans la société. La modération n’a plus meilleur goût. Vis-à-vis des réformes proposées, les porte-paroles des réseaux ne montrent pas de retenue dans leurs communications. Contentons-nous d’un seul exemple. Le recteur d’une université a formulé aux nouvelles télévisées la remarque suivante concernant l’impact des restrictions budgétaires : «On met carrément à risque la survie de l’université». Comment peut-on justifier une telle déclaration ?
Les resserrements budgétaires rendent la vie difficile aux dirigeants des réseaux : ils perdent une marge de manœuvre facilitant la paix à l’intérieur de l’institution. Des dispositions des conventions collectives, peu contraignantes en présence d’un budget en croissance, s’apparentent à une forme de camisole de force lors d’une contraction des ressources. C’est le cas pour une disposition concernant un plancher d’emploi.
À ce sujet, il y a déjà plusieurs décennies, j’avais obtenu une manchette dans The Gazette en prédisant correctement des coupures relativement plus importantes à la bibliothèque de mon université parce que les livres n’étaient pas syndiqués.
Les administrateurs sont des intermédiaires entre le gouvernement qui finance et réglemente et les composantes de l’institution. À l’intérieur de l’université, les doyens affrontent une situation similaire : issus d’un corps professoral généralement syndiqué, ils deviennent des mandataires non syndiqués de la haute administration avec une obligation de loyauté même pour des décisions où ils ne sont pas impliqués.
L’allégeance des administrateurs
De quel côté penche la solidarité des dirigeants ? Vers le financier gouvernemental qui restreint le budget provincial au risque de diminuer sa popularité ? Ou plutôt vers les membres de l’institution qui doivent s’ajuster à un environnement plus difficile ? La réponse saute aux yeux : la solidarité va à l’organisation.
Les administrateurs-patrons adoptent alors un langage syndical ou de revendications à l’endroit du gouvernement en recourant à une inflation des mots et en mettant en lumière des situations de crises, réelles ou fictives. L’objectif est de faire mal paraître celui qui finance et ainsi déplacer les restrictions budgétaires vers d’autres secteurs ou vers les poches des contribuables.
Devant cette situation, on peut comprendre la volonté de réformes des ministres des réseaux déconcentrés. Malheureusement, leurs réformes n’éviteront pas les effets de la loi des conséquences inattendues.