LA FISCALITÉ EST-ELLE NEUTRE PAR RAPPORT AU SEXE ?

La réponse simple à la question en titre est « oui », puisque les règles fiscales s’appliquent à tous les contribuables de la même manière, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme. Mais, pour qui s’intéresse aux questions d’égalité entre les femmes et les hommes, la réponse est plus complexe.

Dans un cahier de recherche que nous venons de faire paraitre avec mes collègues Suzie St-Cerny et Carole Vincent, nous proposons une discussion des enjeux liés à l’équité du régime fiscal sous l’angle des inégalités entre les sexes.

La prémisse de l’étude est que les taxes et impôts ont forcément un impact différencié selon le sexe, puisque les hommes et les femmes jouent des rôles différents et ont des comportements de travail, de consommation et d’épargne différents.

Malgré les progrès remarquables des femmes en matière de scolarisation et d’accès au marché du travail, dans les faits, des inégalités importantes persistent. Lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes exige de développer des outils pour mieux apprécier leur importance, et, ainsi, mieux informer l’élaboration des politiques publiques, y compris les politiques en matière d’impôt.

Le régime fiscal peut jouer un rôle dans la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes. Il peut aider à transformer la répartition traditionnelle des rôles, source d’iniquités entre les sexes, et favoriser l’autonomie économique des femmes et l’égalité avec les hommes. Au-delà des critères habituels d’équité et d’efficacité, un régime fiscal satisferait au critère d’équité entre les sexes s’il était conçu de façon à réduire les incitatifs qui tendent à perpétuer les inégalités entre les sexes.

En 2013, les femmes représentaient 51 % de tous les contribuables québécois, elles détenaient 41,6 % du revenu total et payaient 37,1 % des impôts sur le revenu des particuliers. Comme les femmes ont en moyenne des revenus inférieurs à ceux des hommes, elles paient donc une moins grande part des impôts sur le revenu. En ce sens, la progressivité du système d’impôt québécois constitue un avantage pour les femmes.

L’originalité de notre démarche est de proposer une analyse différenciée selon le sexe du régime d’impôt québécois en comparant l’utilisation que font les hommes et les femmes de 25 mesures fiscales. Pour réaliser nos analyses, nous utilisons les données des statistiques fiscales québécoises et canadiennes pour l’année 2013, soit les données les plus récentes.

Nos résultats montrent qu’il est utile et tout à fait pertinent d’appliquer l’analyse différenciée selon le sexe au régime fiscal. Certaines mesures sont plus utilisées par les hommes, d’autres par les femmes.

Les mesures fiscales plus favorables aux hommes sont celles qui ont un lien avec l’emploi ou avec l’accumulation de richesse et le traitement fiscal préférentiel consenti à diverses formes d’actifs, ce qui contribue à creuser les inégalités.

Prenons le cas de la déduction pour dépenses d’emploi. Même si les hommes représentent 49 % de l’ensemble des contribuables, ils représentent 63 % de ceux qui se sont prévalus d’une déduction pour dépenses reliées à l’emploi dont peuvent se prévaloir certains travailleurs, notamment les personnes de métier. En outre, l’écart est encore plus important lorsqu’on examine la valeur monétaire de la déduction. Les hommes accaparent 78 % des 587 millions $ réclamés en déduction pour dépenses d’emploi. Ce résultat n’est pas étonnant compte tenu de la surreprésentation des hommes dans les métiers susceptibles de donner droit à ce genre de déduction.

Inversement, les mesures fiscales qui sont fortement favorables aux femmes sont celles qui ciblent les personnes en situation de vulnérabilité et les mesures qui visent à reconnaître les coûts associés à la présence d’enfants.

Un exemple de mesures fiscales ciblant les personnes en situation de vulnérabilité est le crédit pour maintien à domicile des aînés, accordés pour certaines dépenses des personnes de 70 ans et plus. Les femmes représentent 65 % des contribuables qui ont réclamé un crédit pour maintien à domicile des aînés, et elles reçoivent 69 % des 331 millions $ versés en crédit pour maintien à domicile. Cela s’explique par le fait que leurs revenus sont en moyenne plus faibles, et donc comme le crédit est fonction du revenu, les femmes ont droit à un montant plus élevé. Aussi, cela reflète la plus grande longévité des femmes : les femmes sont en effet surreprésentées dans le groupe d’âge des personnes visées par le crédit pour maintien à domicile, soit les personnes de 70 ans et plus.

En ce qui concerne les mesures qui visent à reconnaître les coûts associés à la présence d’enfants, elles sont souvent versées aux femmes. Elles améliorent certainement leur autonomie financière et contribuent à corriger les iniquités existantes. Par contre, elles contribuent aussi à reproduire un modèle traditionnel de répartition des responsabilités au sein des ménages.

Bien qu’il s’agisse d’une première étape, la présente étude contribue à une meilleure compréhension du rôle que la fiscalité peut et pourrait jouer pour lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes.