Depuis plusieurs années, différents groupes demandent au gouvernement de moduler les droits de scolarité en fonction des coûts de formation. C’est le cas, par exemple, des auteurs d’un texte publié par le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO)[1]. L’Association des étudiants et étudiantes en sciences économiques de l’Université de Montréal s’est aussi prononcée en faveur d’une telle réforme. En effet, diverses recherches économiques nous indiquent qu’il serait socialement plus efficace d’abandonner le système actuel de fixation uniforme des droits de scolarité.
Lorsqu’un étudiant choisit une formation à coûts élevés, il est logique de lui exiger des droits de scolarité plus élevés, puisque plus de ressources doivent être allouées pour sa formation. Que ce soit par des installations spécifiques au programme, par un plus grand ratio professeurs/élèves ou encore à cause d’équipements quelconques, ces éléments font en sorte que certaines formations génèrent plus de coûts. En exigeant une contribution additionnelle aux étudiants de ces secteurs, un meilleur signal de prix leur est transmis, ce qui les incite à prendre une décision optimale quant au choix de leur formation.
Avec le système actuel de fixation uniforme des droits de scolarité, les étudiants de programmes à faibles coûts se retrouvent à subventionner implicitement ceux qui ont des formations plus coûteuses. Comment justifier cette iniquité entre secteurs?
De plus, les administrations universitaires demandent constamment au gouvernement une plus grande enveloppe budgétaire. La modulation des droits de scolarité permettrait d’injecter un montant substantiel dans le réseau universitaire, sans en exiger davantage aux contribuables qui subventionnent déjà l’éducation supérieure.
Les détracteurs d’une telle réforme avancent que l’éducation procure d’énormes externalités positives pour la société et que, par conséquent, les contribuables devraient assumer la majeure partie, voire la totalité, des coûts de formation des étudiants. De plus, certains prétendent qu’il y aurait un problème d’accessibilité dû à l’augmentation des droits de scolarité des étudiants de programmes à formations coûteuses. Qu’en est-il vraiment?
Tout d’abord, il est tout à fait correct d’affirmer que l’éducation procure des bénéfices à la société. Lorsque les agents économiques, par exemple les travailleurs, augmentent leurs investissements en capital humain, ici par l’éducation, ils deviennent plus productifs et leurs collègues aussi. Pensez simplement à un ingénieur dans une usine qui conçoit un nouvel outil permettant à ses collègues ouvriers de générer plus d’extrants en moins de temps et à un coût inférieur. De surcroît, l’éducation apporte nombre de bénéfices de nature autre qu’économique. Par exemple, des individus plus éduqués sont souvent associés à un civisme supérieur, ce qui pousse indirectement le taux de criminalité vers le bas. Ceux-ci sont aussi plus enclins à participer aux débats publics et à contribuer à la démocratie.
Toutefois, le fait que l’éducation procure des externalités positives n’implique pas forcément que la société devrait défrayer l’entièreté ou une grande partie des coûts de formation des étudiants. Il ne faut surtout pas oublier la proportion des bénéfices totaux qui échoit à l’étudiant et qui est donc d’ordre privé.
Des économistes ont évalué que les bénéfices privés représentent au moins 60 % des bénéfices totaux[2]. Ainsi, lorsque l’étudiant choisit d’investir dans sa formation, il accapare la majorité des gains associés à son éducation. Comment pourrions-nous alors justifier que la société paie plus de 40 % des coûts de formation? Si la science économique avance qu’un individu rationnel ne prendra généralement pas une décision où son bénéfice marginal est inférieur à son coût marginal, pourquoi ce principe des plus logiques ne tiendrait-il pas aussi pour la société?
La modulation des droits de scolarité viendrait atténuer ce problème en faisant payer à l’étudiant une proportion socialement plus équitable de ses coûts de formation.
Les professeurs Poitevin et Castro ont estimé que, grâce à une telle réforme, près de 90 millions $ pourraient être ajoutés en aide financière aux étudiants grâce aux sommes plus importantes récoltées en droits de scolarité[3]. Les étudiants issus de milieux moins nantis désirant entreprendre une formation à coûts élevés comme l’optométrie et la médecine dentaire pourraient ainsi avoir accès à plus de prêts et bourses. En plus de cet avantage, environ 40 % des étudiants verraient leurs droits de scolarité diminuer.
Il est faux qu’il existe, au Québec, un problème majeur d’accès aux études supérieures et qu’une telle modulation empirerait la situation. Le taux de fréquentation universitaire de notre province est parmi les plus élevés au Canada et les droits de scolarité représentent actuellement une portion très faible des revenus des universités, contrairement à d’autres provinces comme l’Ontario. Autrement dit, la contribution des étudiants est présentement très faible.
Il y a quelques années, une étude menée par Statistique Canada révélait que les contraintes financières n’expliquaient que 12 % de l’écart entre le taux de fréquentation universitaire des étudiants issus de milieux moins favorisés et celui des étudiants de ménages mieux nantis[4]. Les aptitudes intellectuelles et l’environnement social de l’étudiant auraient des impacts bien plus importants sur sa décision de poursuivre son cheminement académique que l’aspect financier.
Il m’apparaît donc patent qu’une réforme doit être instaurée afin de corriger cette situation inéquitable et socialement inefficace. La modulation des droits de scolarité en fonction des coûts de formation permettrait ainsi d’atteindre un équilibre optimal tout en préservant l’accessibilité aux études supérieures via une aide financière accrue.
Note de l’équipe éditoriale de Libres Échanges :
Dans une lettre publiée dans l’édition du 5 novembre dernier du journal Le Devoir, monsieur Ouellette a présenté l’approche aux frais de scolarité exposée dans le présent billet au nom de l’Association des étudiants en science économique de l’Université de Montréal dont il est le président. D’autres présidents d’associations étudiantes ont exprimé une position différente dans un texte collectif publié dans l’édition du 12 novembre 2018 du même journal.
[1] Michel Poitevin et Rui Castro, Le Québec économique 7 : Éducation et capital humain, chapitre 6, 24 janvier 2018
[2] Notamment, Michel Poitevin et Rui Castro, op.cit.
[3] Idem.
[4] Marc Frénette, Statistique Canada, Pourquoi les jeunes provenant de familles à plus faible revenu sont-ils moins susceptibles de fréquenter l’université? février 2007.