L’accès aux marchés prend toute son importance pour un pays qui comme le Canada dépend autant du commerce extérieur pour assurer son développement économique. Rien de surprenant alors à ce qu’il soit partie prenante à diverses initiatives visant à libéraliser les échanges. Le but de ce commentaire est de rappeler les principaux projets d’ouverture des marchés auxquels le Canada est associé ou a été historiquement associé, quitte à aborder plus tard dans d’autres billets des dossiers plus spécifiques en tenant compte de leur évolution.
Une mise en garde s’impose : traiter d’un sujet aussi vaste et complexe en quelques paragraphes oblige à des omissions volontaires, à ignorer des précisions, des nuances, etc.
Les États-Unis
Le «Traité de réciprocité» commerciale entre le Canada et les États-Unis fut abrogé en 1866. En attendant ou en désespérant d’un éventuel retour à la réciprocité, le Canada adopta la «Politique nationale» (1879) qui comportait des obstacles douaniers pour stimuler le développement de son industrie manufacturière à l’abri de la concurrence étrangère.
En attendant un accord de libéralisation des échanges de grande portée, version vingtième siècle de la réciprocité, le Canada et les États-Unis ont conclu deux accords sectoriels de type «managed trade» : «l’Accord sur le partage de la production du matériel de défense», successeur au «Hyde Park Agreement» de 1941, et «l’Accord automobile» qui ont grandement influencé l’investissement et le commerce bilatéral.
En 1989, le rêve pour certains, le cauchemar pour d’autres, devient réalité : l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (ALÉ) entre en vigueur. L’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) viendra se superposer à cet Accord, en 1994, en élargissant au Mexique la zone de libre-échange canado-américaine. Toutefois, les entreprises canadiennes demeurent, encore aujourd’hui, dans l’attente d’un nouvel ensemble de règles en matière de subventions et droits compensateurs et de dumping ainsi que d’un meilleur accès aux marchés publics des États et des municipalités aux États-Unis. Si sur le premier sujet le besoin s’est atténué ces dernières années, sur le deuxième, les marchés publics, la frustration est toujours bien présente. En outre, depuis le 11 septembre 2001, la frontière canado-américaine s’est en quelque sorte épaissie, ajoutant ainsi aux autres difficultés d’accès non résolues par l’ALÉNA.
Le multilatéralisme
En attendant l’avènement du troisième pilier du Système de Bretton Woods, l’Organisation internationale du commerce (OIC), le Canada participa activement aux diverses négociations commerciales multilatérales, tenues sous les auspices du GATT, en vue de libéraliser le commerce mondial. Son attention était toutefois centrée sur l’amélioration de l’accès des produits canadiens au marché américain. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) verra le jour en 1995 à la suite d’une initiative canadienne au cours de l’Uruguay Round (UR). Son rôle est nettement plus vaste que celui du Secrétariat du GATT, mais moindre que celui envisagé à l’origine pour l’OIC. L’ALÉ et l’ALÉNA contribuèrent à élargir la portée des règles commerciales multilatérales au cours de l’UR. Ils servirent d’exemples pour ajouter au commerce des biens, des domaines comme le commerce des services, la propriété intellectuelle et des aspects de l’investissement direct étranger.
En attendant la conclusion de la ronde de Doha… Au fait, y a-t-il encore un quelconque espoir d’en venir à une nouvelle entente multilatérale dans le contexte économique et politique actuel? Le blocage dans ce dossier permet au Canada d’attendre avant d’apporter d’éventuels changements à sa gestion de l’offre dans les domaines des produits laitiers, des œufs et de la volaille. Dans l’un de ses éditoriaux de son édition du 8 septembre, la revue The Economist propose d’abandonner la ronde de Doha et de lui substituer une négociation de moindre ampleur où l’accent serait mis sur les produits manufacturés et les services, ce qui laisserait à part le domaine le plus litigieux, soit l’agriculture. Cette revue suggère de la compléter d’ici décembre 2013 et de la baptiser «Global Recovery Round».
L’Europe
Le Canada avait réussi à faire inclure dans le Traité de l’Atlantique Nord (1949) un engagement à la collaboration économique en plus de la défense militaire. Il y a bien eu à divers moments par la suite des communications politiques et des analyses sur une éventuelle zone de libre-échange de l’Atlantique Nord, mais sans plus. En attendant, le Canada et l’Europe ont tenté, sans succès probant, d’améliorer le cadre de leurs échanges, principalement en matière de normes.
Les choses pourraient cependant changer. Grâce principalement aux efforts conjugués du Forum de gens d’affaires sur le commerce Canada-Europe et du gouvernement du Québec, l’Union européenne (UE) et le Canada ont décidé en 2009 de s’engager dans une nouvelle initiative. Ils mènent depuis des négociations pour en venir d’ici quelques mois à un accord économique et commercial de grande portée qui pourrait éventuellement servir de modèle pour améliorer les échanges économiques entre l’Amérique du Nord et l’Europe, probablement la principale motivation de l’UE pour en venir à un accord avec le Canada. Un objectif plus terre à terre pour le Canada serait, à tout le moins, d’obtenir pour les entreprises canadiennes un accès au marché européen semblable à celui des entreprises d’autres pays ayant des accords commerciaux avec l’UE.
L’Amérique en développement
En attendant la Zone de libre-échange des Amériques, projet qui connut ses meilleures années dans les années 1990 et au début des années 2000, le Canada a des accords bilatéraux, modelés sur l’ALÉNA, et en vigueur, avec le Chili, le Costa Rica, la Colombie et le Pérou, et il en prévoit avec d’autres pays ou groupes de pays de l’hémisphère occidental.
L’Asie-Pacifique
En attendant la zone de libre-échange de l’Asie-Pacifique, comme prévu à la naissance du Forum de coopération Asie-Pacifique (APEC), le Canada a des discussions ou des négociations bilatérales en cours avec la Corée du Sud, le Japon et Singapour. En marge du dernier G20, le Canada a intensifié ses efforts pour être invité à participer aux négociations du Partenariat transpacifique, où plusieurs membres de l’APEC tentent de donner un nouveau souffle au projet de libre-échange, envisagé à l’origine pour l’ensemble des pays limitrophes du Pacifique, en négociant entre eux un projet d’accord. Il vient tout juste, tout comme le Mexique, d’être admis comme partenaire dans ces négociations. Il prend un train déjà bien en marche puisque treize sessions de négociations ont été complétées et qu’une quatorzième est en cours à Leesburg en Virginie : un beau défi à relever pour ses négociateurs. Des partenaires, comme la Nouvelle-Zélande, l’attendent de pied ferme, notamment sur la question de l’accès au marché canadien pour les produits agricoles assujettis à la gestion de l’offre.
Les relations fédérales-provinciales
Le gouvernement fédéral et les provinces ont progressivement développé des moyens de collaboration dans la définition de la politique commerciale canadienne, notamment depuis le Tokyo Round (1973-1979). La conclusion d’un accord formel sur la participation des provinces aux diverses initiatives qui en émanent souffre toutefois d’une trop longue attente.
En conclusion, la politique commerciale canadienne a été marquée par de nombreux projets, de longues périodes d’attente et des réalisations importantes pour qui sait voir les choses dans une perspective de long terme. Beaucoup reste à faire cependant. Certains objectifs de libéralisation peuvent être atteints par des initiatives unilatérales du Canada, d’autres exigent des négociations avec ses partenaires. Plusieurs aimeraient un meilleur ciblage des priorités, mais le Canada préfère ne négliger aucune avenue et saisir les occasions qui se présentent, quitte même à les provoquer. Si les entreprises canadiennes perdent des ventes au profit de leurs concurrentes étrangères sur un marché extérieur en raison de meilleures conditions d’accès pour celles-ci découlant d’accords de libéralisation des échanges, le Canada ne peut juste attendre. Il doit lui aussi obtenir de meilleures conditions d’accès pour ses entreprises. L’absence de progrès dans les négociations multilatérales à l’OMC amène d’ailleurs les pays à conclure des accords bilatéraux ou régionaux. Le Canada ne peut ignorer cette tendance. Un meilleur accès aux marchés ne règle pas comme par magie les problèmes de compétitivité des entreprises canadiennes, mais il en constitue une dimension importante et, surtout, à ne pas négliger.
En attendant d’autres commentaires sur la libéralisation des échanges sur le blog de l’Association, vous pouvez lire la récente analyse de Michael Hart intitulée «Breaking Free : A Post-mercantilist Trade and Productivity Agenda for Canada»*. C’est le point de vue d’un ancien négociateur et d’un expert de longue expérience de la politique commerciale canadienne.
Enfin, la politique commerciale et les initiatives en matière de libre-échange doivent faciliter ce que les humains font depuis bien des millénaires : échanger, avec ses avantages et, parfois, ses inconvénients.
* Hart, Michael. «Breaking Free : A Post-mercantilist Trade and Productivity Agenda for Canada». Institut C.D. Howe, août 2012. 27 pages.