LA PRÉCISION DES DONNÉES

Ma connaissance limitée de la théorie statistique ne m’empêche pas de m’inquiéter sur un sujet important qui suscite pourtant peu d’intérêt: la précision des données. Quotidiennement, nous sommes envahis de chiffres sans se questionner sur leur précision ou leur valeur. Il s’agit ici de donner quelques exemples des difficultés reliées aux données sur les taux de chômage, les variations des prix et de la productivité et enfin sur la dispersion des revenus réels.

Les variations du taux de chômage à Québec

Durant ma carrière, j’ai eu plusieurs communications avec des journalistes de Québec sur les variations mensuelles du taux de chômage de la région métropolitaine de recensement de cette région. J’ai ici une très mauvaise performance n’ayant réussi qu’une seule fois à convaincre mes interlocuteurs que les changements mensuels publiés n’étaient que très rarement statistiquement significatifs.

Pour la région métropolitaine de Québec, Statistique Canada indique à chaque publication de l’Enquête sur la population active que l’écart-type de la variation mensuelle du taux de chômage est de 0,3 pour cent. En d’autres termes, pour plus de 2/3 (68%) des donnés publiées, l’écart négatif ou positif peut atteindre 0,3 point de pourcentage, et dépasser ce seuil pour le tiers restant. Cela revient à dire que l’annonce récente à l’effet que le taux de chômage en octobre était le même qu’en septembre, soit 4,8 pour cent, est très incertaine. En effet, compte tenu de l’écart-type,  il aurait été plus exact d’affirmer qu’il y avait deux chances sur trois que le taux de septembre et celui d’octobre se situent tous les deux quelque part entre 4,5 et 5,1%. Avec un tel degré d’imprécision, y a-t-il vraiment lieu de faire des manchettes avec les variations mensuelles du taux de chômage?

Les calculs des variations des prix et de la productivité

Il y a un sujet qui a peu intéressé les économistes : la précision des séries chronologiques, qui sont pourtant omniprésentes dans la discussion politique et scientifique. Les données sur l’évolution des volumes de production, de consommation et de revenu proviennent de valeurs monétaires corrigées des variations de prix. Or, les indices de prix disponibles sont imprécis.

Dans son rapport final de décembre 1996, un comité-conseil de cinq économistes mis sur pied par le Congrès américain concluait : «La moyenne de nos estimations du biais global de l’indice des prix à la consommation est de 1,1 unité de pourcentage par année avec un écart entre 0,8 et 1,6 unité de pourcentage.» L’indice surestimerait l’inflation, et par conséquent, sous-estimerait la croissance du revenu réel.

Les difficultés de bien mesurer l’évolution générale des prix se sont accrues avec  l’expansion des services dans l’économie : c’est un monde de l’intangible. Pour affronter ce problème, l’évolution du prix de l’output de plusieurs secteurs, comme l’éducation et la santé, est jugée identique à l’évolution du prix de l’input, la main d’œuvre. Cela revient à supposer qu’il y a une complète absence d’augmentation de la productivité de la part de la main d’œuvre employée dans ces secteurs.

L’hypothèse ne serait toutefois pas si irréaliste selon une récente étude de l’évolution de la productivité de l’ensemble des facteurs de production du secteur public au Royaume-Uni. Cette étude, qui essaie  de tenir compte des variations de la qualité, conclut: « La productivité totale des services publics est restée globalement stable entre 1997 et 2010, avec un taux de croissance annuel moyen de 0,0 pour cent.» (Pope 2013 :1) La figure qui suit illustre le phénomène.

La production totale des services publics, les intrants et les estimations de la productivité, Royaume-Uni, 1997-2010

Source : Pope (2013: 4)

Les mesures de dispersion des revenus

La majorité des études sur la dispersion des revenus ne tient pas compte des importantes variations du coût de la vie sur le territoire étudié. Cela ne peut que biaiser les mesures utilisées pour mesurer la dispersion des revenus réels.

Un exemple illustrant les variations du coût de la vie sur le territoire canadien est donné par les indices comparatifs entre les villes des prix des biens et services à la consommation pour octobre 2011. L’indice 100 est la moyenne des onze villes impliquées, soit celle qui est la plus populeuse de chaque province et Ottawa. Pour l’ensemble des biens et services, le coût de la vie est le plus bas à Charlottetown, Montréal et Winnipeg avec un indice de 93 tandis que le maximum est à Toronto avec 107,  suivi de Vancouver avec 105. La différence du coût de la vie de Toronto par rapport à Montréal serait donc de 15 pour cent.

Conclusion

Ce blogue a simplement voulu mettre en lumière une question généralement négligée, en incluant aussi les économistes, soit celle de la précision des données. Ainsi le changement estimé de l’emploi au Québec entre deux mois  implique un écart-type de 15 400 emplois. Cela complique l’interprétation des données dans toutes les directions.

En rédigeant ce blogue, je me suis rappelé que, lors du début de mes études graduées, l’un des premiers livres que j’ai achetés était la deuxième édition du livre d’Oskar Morgenstern, On the Accuracy of Economic Observations, publié il y a déjà un demi-siècle. Une version électronique française est disponible gratuitement.