Robert J. Shiller examine dans «Narrative Economics»* comment les perceptions et les croyances populaires se répandent, deviennent contagieuses et en viennent à influencer les choix économiques des citoyens ainsi que, ultimement, les décisions des gens d’affaires quant à l’embauche de travailleurs et à leurs investissements.
Shiller étudie cette dimension de l’économie depuis bien des années. Il estime que ses collègues économistes devraient, eux aussi, y donner de l’importance dans leurs analyses. La compréhension de la contagion des histoires et de leurs conséquences doit, selon lui, s’ajouter à l’examen des phénomènes et des politiques économiques. Il estime que les économistes doivent fouiller ce sujet, le documenter, l’analyser et l’expliquer. Il indique qu’il s’agit là d’un complément utile aux analyses à partir de modèles. Il avance même que les économistes peuvent faire progresser leur science en développant et en incorporant dans leurs travaux «… the art of narrative economics.» (page xv)
Ce Prix Nobel d’économie en 2013 donne plusieurs exemples de croyances populaires qui se sont imposées et qui ont influencé la perception de certains sujets en économie ainsi que les comportements des gens. Il s’attarde notamment :
- aux paniques et, à l’opposé, aux excès de confiance;
- à la frugalité et à la consommation ostentatoire;
- à l’étalon-or et au bimétallisme;
- aux machines, à l’automatisation, à l’intelligence artificielle et à leurs effets perçus ou anticipés sur l’emploi;
- aux bulles spéculatives dans les marchés boursier et immobilier;
- aux boycotts, aux profiteurs et aux entreprises malveillantes;
- aux syndicats et à leur influence présumée sur les salaires et les prix, et
- au Bitcoin.
Il explique comment les opinions se développent, ainsi que leurs récurrences et leurs mutations. Il utilise des outils de recherche par mots-clés, comme Proquest News and Newspaper et Google Ngrams. Les modèles mathématiques mis au point par les épidémiologistes lui servent pour mesurer le degré de propagation des idées reçues. Il en génère de nombreux graphiques illustrant particulièrement bien ses propos.
Ses analyses abondent en référence aux phases d’expansion et de récession du cycle économique. Il signale comment les convictions qui se propagent en viennent à accentuer l’ampleur et la durée de ces phases, tout comme l’adoption de comportements frugaux ou les excès de confiance.
La dernière partie de son livre est consacrée à un programme de travail pour rendre encore plus efficace et pertinente l’analyse des idées reçues et leurs conséquences sur le plan économique. Des moteurs de recherche toujours plus perfectionnés grâce à l’intelligence artificielle, des sondages ciblés des opinions et des groupes de discussion sur des thèmes précis font partie de ce qu’il propose pour développer le potentiel des «Narratives» en économie.
Par ailleurs, on en vient à se demander pourquoi Shiller consacre des dizaines de pages de son livre à justifier l’à-propos de son approche. L’évidence découlant des démonstrations d’un spécialiste de grande notoriété ne devrait-elle pas suffire? La réponse tient vraisemblablement à la nature du sujet traité et à son originalité, du moins par rapport aux façons de faire traditionnelles des économistes.
En conclusion, Shiller propose dans son livre un cadre d’analyse différent de ce à quoi nous sommes habitués. Il ne rejette rien de ce qui existe. Il ajoute plutôt une dimension à la compréhension des comportements et de l’économie. Cet ouvrage s’avère aussi une source de renseignements de qualité exceptionnelle sur l’économie des quelque cent cinquante dernières années.
*Shiller, Robert J. «Narrative Economics – How Stories Go Viral & Drive Major Economic Events». Princeton University Press, 2019. 300 pages, en excluant la préface, les notes, les références et l’index.