Un a fait état d’une véritable révolution du virtuel qui affecte de larges pans de l’économie et qui menace à la fois les entreprises agissant à titre d’intermédiaires entre offreurs et demandeurs, et les emplois consistant en la manipulation d’informations simples. Cette révolution interpelle aussi les gouvernements et les administrations publiques de façon importante et multiple.
D’abord, les gouvernements font face à des demandes pressantes de protection de la part des groupes menacés par la concurrence du commerce virtuel. Ces demandes sont légitimes et compréhensibles et il est tentant pour les gouvernements d’y donner suite compte tenu des nombreux emplois en jeu. Cependant, pour plusieurs analystes[1], les gouvernements ne doivent pas faire davantage que d’aider les entrepreneurs et les travailleurs affectés à se recycler. Selon eux, on n’arrête pas une révolution en marche, surtout quand celle-ci représente un potentiel de productivité, d’innovation et de croissance qui est une véritable bouée de sauvetage pour une économie mondiale durement éprouvée pour la grande récession des dernières années. Il faut voir la révolution du virtuel comme un processus schumpeterien de destruction créatrice. Un tel processus crée des gagnants et des perdants mais au total il y a création nette de richesse et de bien-être.
Les gouvernements sont aussi confrontés au défi de collecter les impôts et les taxes applicables aux transactions commerciales conclues sur Internet. Les risques d’évasion fiscale sont particulièrement grands quand ces transactions portent sur des services plutôt que sur des biens tangibles, ou quand le vendeur est un individu ou une petite entreprise plutôt qu’une grande corporation bien connue des administrations fiscales. Ils augmentent encore quand ce vendeur réside à l’étranger et échappe ainsi à la juridiction des agences fiscales. Or, les impôts et les taxes peuvent faire une grande différence dans le prix payé par la clientèle. S’ils réussissent à échapper aux obligations fiscales, les sites étrangers sont alors en bonne position pour éliminer les concurrents locaux qui eux n’ont d’autre choix que de s’y conformer. Aussi, les gouvernements doivent absolument réussir à placer sur un même pied tous les fournisseurs, qu’ils soient en mode virtuel ou conventionnel. Sinon, ils pourraient devoir abandonner le champ des taxes à la consommation compte tenu de leurs effets dévastateurs sur les entreprises nationales.
Enfin, la révolution du virtuel force les gouvernements à s’interroger sur leurs interventions visant à corriger les imperfections du marché au moyen de règlementations, de campagnes publicitaires, de subsides ou de taxes et droits sélectifs. Selon les cas, ces interventions visent à fixer les prix, à déterminer les quantités offertes, à protéger les consommateurs ou les tierces parties, etc. Or, l’essor de l’information et des transactions en ligne soulève des doutes sur l’utilité de maintenir toutes les règlementations ou les autres mesures visant à protéger le public alors que celui-ci dispose maintenant de moyens lui permettant souvent d’assumer lui-même plus aisément et plus efficacement cette protection.
Un éditorial récent du magazine The Economist illustre bien cette question de l’utilité de certaines règlementations à l’ère de l’économie virtuelle. Il le fait à partir d’un cas particulièrement sensible, celui des travailleuses et des travailleurs du sexe. Le magazine note que le «plus vieux métier du monde» a été lui aussi profondément transformé par l’apparition des téléphones intelligents et par les nombreux sites et applications permettant aux prostitué(e)s d’obtenir une meilleure rémunération pour leurs services tout en encourant des dangers moindres. Même le voisinage en profite étant donné la disparition des maisons closes, des quartiers chauds et de la sollicitation dans la rue. Les seuls perdants sont les souteneurs et les tenancières de bordels :
[…] everyone else should cheer. Sex arranged online and sold from an apartment or hotel is less bothersome for third parties than are brothels or red-light districts. Above all, the web will do more to make prostitution safer than any law has ever done. Pimps are less likely to be abusive if prostitutes have an alternative route to market. Specialist sites will enable buyers and sellers to assess risks more accurately. [2]
Le réputé magazine condamne d’ailleurs les intentions du gouvernement canadien de bannir la publicité des services sexuels. Cela nuira au développement des sites et applications permettant aux prostitué(e)s d’assurer leur santé et leur sécurité en vérifiant les antécédents de leurs clients.
Les élus et les fonctionnaires ne doivent quand même pas trop s’inquiéter. Internet en peut remplacer le gouvernement dans toutes ses fonctions. De fait, les bouleversements introduits par la révolution virtuelle sur différents marchés sont autant de cas d’espèce qui doivent chacun être évalués séparément quant à la nécessité d’une action gouvernementale. Chose certaine, les règlementations visant à prévenir des positions de marché dominantes gardent leur pertinence. Si jamais toutes les ventes de livres devaient passer par Amazon, toutes les réservations d’hébergement touristique par Airbnb et tous les appels de taxi par Uber, il n’est pas sûr que les consommateurs et les petits fournisseurs y trouveraient encore leur compte. Plus que jamais, les gouvernements sont confrontés au défi de trouver le juste équilibre entre trop et pas assez d’intervention.
En somme, non seulement la révolution du virtuel a-t-elle des effets importants dans une grande variété de secteurs d’activité et menace-t-elle de nombreux emplois mais elle soulève aussi d’importantes questions de politique publique.
Mais elle oblige aussi à revoir certaines notions de base de la science économique. C’est ce que nous verrons dans un prochain billet.
[1] Voir notamment SUNDARARAJAN, Arun, Trusting the «Sharing Economy» to Regulate Itself, New York Times, blogue Economix, 3 mars 2014, et THE ECONOMIST, Remove the roadblocks, 26 avril 2014.
[2] The Economist, A personal choice, 9 août 2014, p9. http://econ.st/1pNU4GM