LE CANADA SE DIRIGE-T-IL VERS LA DÉFLATION?

L’un des succès du Canada depuis pratiquement une génération, c’est la modération de la progression des prix. Depuis 1992, en variation annuelle moyenne, la hausse de l’indice des prix à la consommation (IPC) est demeurée en-deça de 3,0 %. Cela tranche nettement par rapport au début des années 1980 où l’inflation était à plus de 10,0 %; un sommet a d’ailleurs été atteint en 1981 : 12,5 %.

Toutefois, dans le contexte actuel de faible croissance de l’activité économique et des prix, il suffirait de peu pour que le succès sur le plan de la lutte contre l’inflation se transforme en péril de la déflation. L’halloween, c’est le 31 octobre,  penserez-vous. Vous pourriez aussi ajouter que les autorités politiques et monétaires voudront, bien évidemment, éviter tout scénario de catastrophe qui  s’apparenterait à de la déflation.

D’accord, mais, prenons le temps d’examiner l’évolution de quelques indicateurs :

  • Après s’être accélérée au début de 2011, la progression des prix à la consommation s’est nettement atténuée depuis. Sur 12 mois, en novembre et en décembre derniers, les prix n’ont augmenté que de 0,8 %. Sur une base mensuelle désaisonnalisée, l’IPC a légèrement fléchi en novembre (-0,2 %) et en décembre (-0,1 %), et il est revenu à son niveau d’avril dernier (121,9).
  • L’indice des prix des produits industriels bouge peu depuis quelques mois, et il n’a augmenté que de 0,2 % entre décembre 2011 et décembre 2012.
  • Le déflateur du PIB (indice des prix des biens et services produits au Canada) a stagné au premier trimestre de l’an dernier, il a légèrement diminué au deuxième, mais il a augmenté au troisième.
  • Au cours des derniers mois, les rendements moyens des obligations négociables du gouvernement canadien sont nettement en-deça de la moyenne des dix dernières années, quelle que soit l’échéance. L’écart de rendement en fonction de l’échéance était, en janvier dernier, inférieur à la moyenne des dix dernières années, sauf l’écart entre les obligations de 5 à 10 ans et celles de plus de dix ans. Les marchés financiers n’anticipent donc pas une résurgence de l’inflation à court ou moyen terme.
  • Se basant sur divers indicateurs, la Banque du Canada estime, dans son «Rapport sur la politique monétaire» de janvier dernier, qu’il y a eu «…une hausse des capacités excédentaires au cours du second semestre de 2012.» (page  22). Elle indique aussi que «Les hausses de la rémunération du travail ont été globalement modérées» (page 24).

Rien de ce qui précède ne peut nous amener à conclure que le Canada se dirige vers une période de déflation. Ce sont plutôt des signaux de désinflation ou de stabilité des prix, et ce, même si la politique monétaire canadienne est clairement expansionniste. Il y a bel et bien faible inflation, sans risques qu’elle s’accélère bientôt. En outre, au cours de la récession de fin 2008-début 2009, les prix ont temporairement baissé sans pour autant que l’on se retrouve en situation de déflation.

Pour que ce mal s’installe et se propage, il faut que les consommateurs et les entreprises anticipent des baisses généralisées et prolongées des prix et des coûts, et retardent leurs décisions d’achats et d’investissement pour  bénéficier de ces diminutions plus tard. L’économie canadienne n’en est pas là.

Quel pourrait être l’élément qui pourrait changer la donne et alimenter le spectre de la déflation?

La revue The Economist  du 12 janvier dernier (pages 61 et 62) nous signale que le prix des maisons est surévalué au Canada. Le ratio prix d’achat sur prix de location indique une surévaluation de 78 %, alors qu’en tenant compte du revenu disponible par personne, elle serait de 34 %. Dans son rapport sur l’économie canadienne publié le 14 février sur son site Internet, le Fonds monétaire international (FMI) va dans le même sens. Ses experts estiment que le ratio prix des maisons sur prix de location est 60 % au-dessus de sa moyenne historique, et que le ratio prix sur revenu est à presque 40 % au-dessus sa moyenne de long terme. Se basant sur une analyse économétrique, ils  avancent que le prix des maisons était, au troisième trimestre de 2012, de 10 % à 15 % au-dessus du niveau auquel on devrait s’attendre en tenant compte des «fondamentaux» de l’économie canadienne.

Advenant une correction importante des prix sur le marché de l’habitation, les consommateurs pourraient se retrouver avec des emprunts hypothécaires plus élevés que la valeur de leurs maisons. Pourraient s’ensuivre des réactions sur les marchés qui, à la limite, pourraient se comparer à ce que les États-Unis ont connu en 2008 et 2009.

Certains pourraient rétorquer que la chute du prix des maisons aux États-Unis n’a pas entrainé de baisse généralisée et durable des prix. C’est vrai, mais cela a été évité grâce, notamment, à des mesures exceptionnelles d’assouplissement quantitatif ainsi qu’à un plan coûteux de sauvetage des institutions financières.

La Banque du Canada et bien d’autres ont mis en garde les Canadiens quant aux conséquences d’un niveau élevé d’endettement advenant une hausse des taux d’intérêt. Ce discours ne devrait-il pas aussi inclure la menace et les conséquences d’une baisse du prix de leurs résidences? C’est probablement un sujet tabou que les dirigeants de la banque centrale se gardent d’aborder en public, surtout si cela doit les amener à parler de la possibilité de déflation et  à imprimer de la monnaie pour la contrer.

La Banque a remisé son épouvantail d’une hausse éventuelle des taux d’intérêt dans son communiqué du 23 janvier dernier en indiquant qu’une réduction de la détente monétaire «…est moins éminente que prévu auparavant.» Devra-t-elle, elle aussi, recourir bientôt à des moyens non traditionnels de politique monétaire pour atténuer ou éviter les perturbations qu’entrainerait une correction importante du prix des maisons?

Par ailleurs, la prolongation du programme fédéral de financement des projets d’infrastructures est évoquée pour contrer le ralentissement de la croissance. Le Ministre des Finances sera vraisemblablement intéressé à prendre connaissance de toute autre mesure que les experts, le public ou ses fonctionnaires pourraient lui proposer à cet égard, tout en continuant de se présenter en bon gardien de l’assainissement des finances publiques. La stimulation de la croissance ne passera pas cependant  par des mesures visant à favoriser la construction résidentielle, sauf peut-être la rénovation, puisque le gouvernement fédéral a déjà choisi d’imposer des limites au crédit facile dans ce domaine pour éviter le gonflement d’une bulle.

En conclusion, la correction du marché de l’habitation au Canada est, pour l’instant, bien engagée : les mises en chantier et les ventes de logements existants diminuent depuis quelques mois sans conséquence importante et immédiate sur les prix, sauf dans des marchés spécifiques comme celui de Vancouver. Les prix ont normalement tendance à se corriger avec un certain délai. Mais, que nous réserve l’avenir? Le FMI, lui, dans sa revue de l’économie canadienne, va jusqu’à décrire un scénario comme il les aime, soit celui d’un atterrissage en douceur sur quelques années.

Quant à la déflation, les Canadiens nés après la dépression du début des années 1930 ne l’ont pas connu. Son occurrence est cependant loin d’être une hypothèse farfelue comme en témoigne bien l’expérience du Japon depuis plusieurs années. Sur le plan politique, l’adage «Mieux vaut prévenir que guérir» est toujours d’actualité.

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