LE FINANCEMENT UNIVERSITAIRE, LA COURSE AUX ÉTUDIANTS ET LA DÉPRÉCIATION DES PROGRAMMES

Le récent décès de James Buchanan, détenteur du prix Nobel d’économique de 1986 et les discussions reliées au Sommet sur l’enseignement supérieur m’ont incité à relire le livre dont il y est le co-auteur, Academia in Anarchy: An Economic Diagnosis. Ce livre, publié en 1970, visait à une analyse économique du ‘chaos universitaire’ des années soixante.

L’idée principale de ce livre est la suivante:

L’enseignement universitaire, lorsqu’il est examiné à travers les yeux des économistes, implique des caractéristiques d’une industrie unique. C’est parce que : (1) ceux qui consomment son produit ne l’achètent pas, (2) ceux qui le produisent ne le vendent pas, (3) et ceux qui financent ne le contrôlent pas. Est-il surprenant que les processus ordonnés qui semblent caractériser les relations commerciales standards semblent se rompre dans les universités?  (Buchanan et Devletoglou 1970 : 8).

Dans une recension du livre, Harry Johnson exprimait la même idée d’une autre façon :

Les auteurs ont quelques mots acerbes sur la ‘démocratie du corps professoral’, comme la liberté de ces personnes, qui ne mangent pas la nourriture et ne paient pas l’addition, de commander le dîner par un vote majoritaire. (Johnson 1971 : 203)

Comment peut-on alors expliquer le phénomène majeur des études universitaires au cours des dernières décennies, soit la détérioration des études de premier cycle qui concerne la masse des étudiants? La taille des classes s’est accrue, le recours à des pigistes aussi et le résultat est une réduction du temps d’étude et une inflation des notes. L’étudiant à plein temps est aujourd’hui à temps partiel à l’université. Un  facteur important d’explication de cette détérioration origine de la méthode de financement public de l’université, généralement basé  sur le nombre d’étudiants.

Ceux qui financent ne le contrôlent pas’

Selon Buchanan et Devletoglou, une caractéristique de l’enseignement universitaire est la suivante : ‘ceux qui financent ne le contrôlent pas’. Pourtant, il existe en langue anglaise une expression qui a plein de sens : He who  pays the piper calls the tune (Celui qui paie a bien le droit de choisir). Pourquoi n’est-ce pas le cas dans les universités malgré l’importance du financement public?

Ces deux auteurs en fournissent au moins partiellement la réponse qui mérite d’être reprise malgré la longueur de l’extrait, les économistes ayant tendance à ignorer les origines des institutions :

L’Église, l’État et l’Université

Les institutions peuvent toujours être partiellement expliquées par leurs origines historiques, et nous avons mentionné plusieurs fois les sources médiévales de la structure universitaire. Une caractéristique importante de l’organisation académique moderne et les attitudes modernes envers les établissements d’enseignement supérieur peuvent être attribuées à la lutte intense entre l’Église et l’État. Les universités étaient des armes de la puissance de l’Église, et donc elles étaient tenues à l’extérieur du domaine des compétences de l’État ou du gouvernement. Cela signifiait que les universités étaient soumises à la loi canonique et non à la loi de l’État.

Cet héritage s’étend à l’ère moderne lorsque le financement des universités a été pris en charge par l’État. Malgré le changement dans le soutien économique de l’enseignement supérieur, la tradition d’indépendance du contrôle politique a été vigoureusement maintenue. Implicite dans les attitudes à l’égard des universités a été l’idée que ces institutions ne devaient être responsables que devant leurs propres lois, dérivées de l’interne et aussi appliquées de l’interne. En fait, on peut dire sans exagération que l’université est devenue, dans le monde moderne, l’équivalent le plus proche de l’Église du Moyen Age. Son enceinte est sacro-sainte, et le contribuable victime est placé dans une position semblable à celle de ce pauvre homme qui a sacrifié son pain à l’appui de la magnificence de l’Église officielle des siècles passés. Cette indépendance vénérée de l’université du contrôle politique a atteint des limites absurdes lors de certains troubles récents. La véhémence avec laquelle les étudiants contestataires s’objectent à un simple exercice du pouvoir policier de l’État sur ​​les campus universitaires d’État, et le soutien obtenu de la communauté au sens large, témoignent de la vigueur persistante du mythe concernant les ‘droits’ de l’université d’agir en conformité avec son propre droit ‘moral’.(Buchanan et Devletoglou  1970 : 73-74)

Le financement par étudiant

À l’exception des collèges et universités privés des États-Unis, les universités reçoivent directement des gouvernements une part considérable de leurs revenus. Ces subventions sont généralement globales pour conserver l’autonomie décisionnelle des établissements. La répartition des subventions entre ces derniers est basée de façon prépondérante sur l’effectif des étudiants en équivalence au temps plein pondérés par le champ des disciplines et par le niveau de formation. À l’intérieur des institutions, la répartition des ressources et des budgets se fait en grande partie sur la base du nombre des crédits-étudiants.

En Ontario, le financement universitaire à l’aide du nombre d’étudiants pondérés existe depuis les années soixante. Au Québec, l’implantation générale de cette méthode de financement est récente, remontant au début des années 2000. Auparavant, le mode de financement était hybride avec une importante composante historique, soit une subvention gouvernementale globale basée sur celle de l’année précédente avec des ajustements variables selon les époques.

La course aux étudiants

La répartition des subventions aux institutions sur la base de l’effectif étudiant et celle des budgets entre les unités d’une même institution en fonction des crédits-étudiants provoquent une course au nombre d’étudiants avec la présence de différentes voies pour obtenir un diplôme.

Pourquoi cette course aux étudiants ne se traduirait-elle pas par une course à la qualité pour accroître l’attrait des études ? Cela n’a pas lieu pour au moins deux raisons. La formation universitaire est premièrement un bien d’expérience, un bien demandant de l’avoir consommé pour en connaître la valeur. Si on prend l’exemple d’un étudiant débutant un programme en science économique, comment peut-il faire un choix approprié avec si peu d’information? La qualité de sa formation dépendra aussi de son effort.

Une deuxième raison, tout probablement plus importante, ne permettant pas à la course aux étudiants de se traduire à une course à la qualité, est la clientèle visée. Il s’agit en effet d’attirer une clientèle marginale ou en périphérie qui est moins intéressée et disposée vers l’aspect académique  des programmes et une bonne formation. En somme, c’est une course à attirer une  clientèle moins motivée.

Conclusion

Le financement gouvernemental des universités et celui des unités à l’intérieur des institutions favorisent la dépréciation des programmes pour accroître la clientèle. Cette situation continuera pour au moins deux raisons.

Premièrement, dans les mesures de succès des subventions aux universités, les taux relatifs de fréquentation universitaire ont une grande pondération. L’exemple suivant le montre : il y a plusieurs années, les universités Queen’s et Western avaient exprimé leurs intentions de limiter leurs effectifs étudiants à l’exemple des universités et collèges privés américains comme Harvard, Princeton ou Amherst College, institutions qui se classent au sommet des palmarès des programmes de premier cycle. Le gouvernement ontarien exprima un refus avec une menace de les pénaliser. Elles rentrèrent dans les rangs.

De plus, toute réforme qui limite la course aux étudiants sera perçue comme une entrave à l’autonomie universitaire qui a ses défenseurs bien établis.

BIBLIOGRAPHIE

Buchanan, J. M. et N. E. Devletoglou. 1970, Academia in Anarchy: An Economic Diagnosis, New York NY: Basic Books.

Johnson, H. G. 1971 (Jan.-Feb.). “Book Review: Academia in Anarchy”, Journal of Political Economy, 79:1, p. 203-205.