Dans mon premier billet sur le sujet en titre, j’ai rapporté que, selon Statistique Canada, les prix à la consommation étaient 13 % plus bas à Montréal qu’à Toronto en 2012. Un chargé de cours de HEC Montréal, M. Vincent Geloso, vient de contester la validité de ce résultat. Dans un document de recherche récemment publié par le Centre sur la productivité et la prospérité de l’institution, cet auteur rejette l’idée que les prix à la consommation soient plus bas au Québec qu’en Ontario. Il affirme non seulement que le coût de la vie au Québec n’est pas inférieur à celui de l’Ontario, mais qu’« au contraire, il est plus élevé. »
Dans mes deux billets suivants, j’ai présenté et analysé deux des arguments avancés par M. Geloso pour défendre sa thèse. Il en fait valoir finalement un troisième, à savoir que « les Québécois doivent travailler plus longtemps que la plupart des autres Canadiens pour obtenir les biens et services qu’ils consomment. »
Le temps de travail nécessaire pour acquérir un bien ou un service est égal au rapport entre son prix et le salaire horaire. Par exemple, si 100 litres d’essence me coûtent 154 dollars et que je gagne 22 dollars l’heure, j’aurai besoin de travailler sept heures pour me les payer. Plus je dois travailler longtemps pour obtenir un produit, plus mon pouvoir d’achat en rapport avec ce produit est faible.
Dans le but de démontrer que les Québécois doivent travailler plus longtemps pour consommer la même chose que les autres, M. Geloso compare le temps de travail requis pour acquérir 34 produits différents au Québec et en Ontario en 2013. Il se base en même temps sur le fait que les salaires étaient 9 % plus bas au Québec.
Sa démonstration est cependant irrecevable, parce que les 34 produits comparés ne sont pas statistiquement représentatifs de l’ensemble des biens et des services consommés, qui en compte plus de 600 dans l’enquête de Statistique Canada sur les prix à la consommation. Les 34 sont délibérément choisis de façon que, dans la grande majorité des cas (29 sur 34), le temps de travail nécessaire à leur acquisition ait été plus élevé au Québec qu’en Ontario en 2013.
L’auteur exclut a priori de toute considération la quasi-totalité des biens et services qui ont la propriété inverse d’exiger moins de temps de travail au Québec, dont notamment le logement. Dans le cas du locatif, par exemple, M. Geloso a rejeté antérieurement le résultat de Statistique Canada indiquant que les loyers étaient 29 % plus bas à Montréal qu’à Toronto pour des logements de même qualité en 2012. Cela lui fait négliger qu’un Torontois doive travailler en moyenne dix heures de plus par mois qu’un Montréalais pour payer le loyer d’un appartement similaire dans les deux villes.
Conclusion sur l’écart de niveau de vie entre le Québec et l’Ontario
Que tirer de cet exercice ? Statistique Canada estime qu’en moyenne, en 2012, les prix de la consommation privée des ménages étaient 13 % plus bas à Montréal qu’à Toronto. Le document de M. Geloso parrainé par le Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal a récemment contesté cette estimation de l’agence statistique et affirmé qu’elle surestimait l’écart de coût de la vie entre les deux villes.
Mon analyse des arguments avancés par M. Geloso pour soutenir son affirmation fait ressortir trois conclusions :
1) Contrairement à ce qu’affirme M. Geloso, l’écart de 25 à 30 % dans le coût du logement entre Montréal et Toronto estimé par Statistique Canada traduit non pas le fait que les Montréalais occuperaient des logements de moins bonne qualité, mais plutôt le fait que les prix sont vraiment inférieurs à Montréal pour des logements de caractéristiques et de qualités identiques.
2) M. Geloso a raison d’affirmer que les prix subventionnés de l’électricité, de la garde d’enfants et de la scolarité universitaire sous-estiment le vrai coût de ces biens et services pour la société. Mais, pour mesurer le niveau de vie, les volumes réels consommés de ces produits ne peuvent être obtenus qu’en divisant les dépenses de consommation subventionnées par ces prix subventionnés.
3) Il est vrai, comme l’observe M. Geloso, qu’au Québec un certain nombre de biens et de services commandent des prix relativement élevés, au point d’exiger des Québécois qu’ils travaillent plus d’heures qu’en Ontario pour les acquérir. Toutefois, les biens et services donnés en exemple par M. Geloso ne sont pas statistiquement représentatifs de l’ensemble. Ils excluent notamment le logement.
Au sens strict, il faut reconnaître que l’écart des prix à la consommation entre Montréal et Toronto publié par Statistique Canada – 13 % en 2012 – ne peut pas être totalement interprété comme un écart de coût de la vie entre les deux villes. C’est principalement 1) en raison du traitement du logement en propriété, qui est basé sur l’équivalence locative plutôt que sur les débours des propriétaires, et 2) en raison également des impôts plus élevés qui sont nécessaires au financement des produits subventionnés (électricité, garde d’enfants, scolarité universitaire).
Cependant, afin d’obtenir le volume réel des biens et services consommés qui mesure le vrai niveau de vie des ménages, il est parfaitement approprié de diviser leurs dépenses de consommation en dollars par les prix à la consommation estimés par Statistique Canada. Lorsqu’on compare Montréal et Toronto, l’écart de prix de 13 % est celui qu’il faut utiliser à cette fin.
Par ailleurs, lorsqu’on passe d’une comparaison de niveau de vie entre Montréal et Toronto à une comparaison entre l’ensemble du Québec et l’ensemble de l’Ontario, la différence estimative des prix à la consommation pour 2012 est de l’ordre de 8,6 % plutôt que de 13 %. L’écart entre les deux provinces est plus petit que l’écart entre les deux métropoles. Cela s’explique par le fait que les prix de Montréal ne sont que légèrement supérieurs à ceux du reste du Québec, tandis que les prix de Toronto sont nettement plus élevés que ceux du reste de l’Ontario.
Comme les dépenses de consommation par habitant des Québécois en dollars ont été inférieures de 9,6 % à celles des Ontariens en 2012, mais que les prix à la consommation du Québec ont été plus faibles de 8,6 %, il faut conclure qu’en matière de consommation privée le retard du niveau de vie du Québec par rapport à celui de l’Ontario a été de 1,0 %.
( Ce billet est le 4e et dernier d’une série portant la mesure du niveau de vie au Québec et en Ontario. Il fait suite au billet du 9 juillet 2014 Comment se compare le Québec et l’Ontario en niveau de vie ?; à celui du 13 juillet 2014 Le niveau de vie comparé du Québec et de l’Ontario : la qualité du logement importe-t-elle ?; et à celui du 16 juillet 2014 Le niveau de vie comparé du Québec et de l’Ontario : faut-il tenir compte des produits subventionnés ?.)
Une version antérieure de ce billet a été publiée dans L’actualité.