Dans mon premier billet (billet du 10 juillet 2014) sur le sujet en titre, j’ai rapporté que, selon Statistique Canada, les prix à la consommation étaient 13 % plus bas à Montréal qu’à Toronto en 2012. Un chargé de cours de HEC Montréal, M. Vincent Geloso, vient de contester la validité de ce résultat. Dans un document de recherche récemment publié par le Centre sur la productivité et la prospérité de l’institution, cet auteur rejette l’idée que les prix à la consommation soient plus bas au Québec qu’en Ontario. Il affirme non seulement que le coût de la vie au Québec n’est pas inférieur à celui de l’Ontario, mais qu’« au contraire, il est plus élevé. »
Le premier argument qu’il avance pour soutenir son affirmation est que, « si le coût de la vie au Québec apparaît plus bas dans les statistiques, c’est parce que celles-ci ne considèrent pas la qualité inférieure des biens consommés au Québec par rapport au reste du Canada. » Selon lui, c’est pure illusion que de croire que le coût du logement de 25 à 30 % plus bas à Montréal qu’à Toronto enregistré par Statistique Canada ( voir le tableau du billet du 10 juillet 2014) résulte d’un coût de la vie plus faible dans la métropole québécoise.
À son avis, le coût du logement à Montréal est plus bas non pas parce que des logements qui sont similaires dans les deux villes coûtent moins cher à Montréal qu’à Toronto, mais uniquement parce que les Montréalais sont moins riches que les Torontois et, par conséquent, occupent des logements de moins bonne qualité, donc moins chers.
Cette interprétation des données de Statistique Canada sur l’écart entre les prix à Montréal et à Toronto est incorrecte. L’organisme déploie depuis toujours d’immenses efforts pour éviter que les différences de prix qu’il enregistre et publie puissent être attribuées à des différences de qualité. Un exemple de ces efforts est que, pour parvenir à cette fin dans le cas particulier du logement locatif, il réalise 15 000 lectures de loyers chaque mois sur les 80 000 relevés que comprend l’enquête entière sur les prix à la consommation.
Dans le cas des comparaisons entre villes, Statistique Canada dit chercher à s’assurer que « les produits sélectionnés soient très semblables » et que « les variations des niveaux d’indice entre villes [soient] causées par des écarts de prix pur et non par des différences dans les caractéristiques des biens ou services, telles la taille et/ou la qualité. » Lorsqu’il rapporte un écart de 25 à 30 % entre Montréal et Toronto pour le coût du logement, l’organisme a déjà fait tout ce qu’il a pu pour que la comparaison s’applique à des logements qui ont les mêmes caractéristiques et sont de même qualité dans les deux villes.
M. Geloso n’a pas tort de penser que les Montréalais occupent en moyenne des logements plus modestes que les Torontois. On peut le voir en comparant les résultats publiés par Statistique Canada à ceux de la SCHL pour le loyer du logement locatif. Selon la SCHL, tel que mentionné plus haut, le loyer moyen des appartements à Montréal était de 35 à 40 % plus bas qu’à Toronto en 2012. Selon Statistique Canada, le loyer moyen à Montréal était plutôt 29 % plus bas (toujours selon le tableau du billet du 10 juillet 2014).
La différence de 6 à 11 points entre les deux estimations résulte du fait que la comparaison de la SCHL couvre les différences de loyers entre les appartements de toutes qualités, tandis que celle de Statistique Canada ne porte que sur les différences de loyers entre appartements de caractéristiques et de qualités identiques.
Autrement dit, si le chiffre de Statistique Canada est moins élevé que celui de la SCHL, c’est précisément qu’il se trouve à purger le chiffre de la SCHL du fait que les Montréalais font des choix différents et optent pour des logements plus modestes. En retranchant cet effet, l’organisme statistique se trouve à comparer seulement des logements comparables en qualité. Son estimation d’un écart de loyer de 29 % entre les deux villes est une vraie différence de prix : les Montréalais paient moins cher pour la même chose.
Différences de coût de la vie : deux motifs de prudence
Statistique Canada recommande toutefois la prudence au sujet de l’utilisation de ses estimations pour mesurer les différences de coût de la vie entre les villes. Deux motifs le justifient.
Le premier motif est que « ces indices servent à la comparaison de prix de certains produits sélectionnés seulement et ne sont pas développés pour faire une comparaison exhaustive de tous les produits et services achetés par les consommateurs. »
Il y a une raison simple pour laquelle la liste des produits qui sont assez semblables pour pouvoir faire l’objet d’une comparaison de prix valable entre villes n’est pas exhaustive. C’est que, pour certains couples de villes, le nombre de biens et de services de consommation qui sont de qualités assez semblables pour que leurs prix puissent être comparés peut être assez petit. Cela peut rendre les résultats fragiles. Pensons, par exemple, à une comparaison entre Charlottetown et Régina.
Heureusement, toutefois, ce n’est pas le cas du couple Toronto-Montréal. Ces deux villes géographiquement proches sont les plus grandes du pays. Elles offrent la plus vaste sélection de produits semblables dont les prix peuvent être comparés. Statistique Canada rapporte d’ailleurs avoir procédé à un couplage attentif et particulier des produits des deux métropoles. La comparaison des prix de Montréal et de Toronto est sans contredit la plus fiable de toutes.
Le second motif de prudence est que, selon Statistique Canada, « le concept utilisé pour les indices de prix du logement n’est pas propice aux comparaisons du coût de la vie entre les villes. »
La mise en garde s’applique aux logements en propriété. Dans leur cas, les indices de prix utilisés ne sont pas basés directement sur les débours des propriétaires, comme les frais d’intérêt hypothécaires, les coûts d’entretien et de réparation, les primes d’assurances, les taxes foncières, etc. À la place, Statistique Canada, imitant en cela le Bureau of Labor Statistics américain, utilise le marché de la location pour obtenir une approximation des coûts des services de logement consommés par les propriétaires dans chaque ville.
À long terme, les indices de prix qui résultent de cette méthode dite d’« équivalence locative » retrouvent ceux qui sont basés sur la méthode des « débours des propriétaires ». Par contre, à court terme, les indices de prix qui proviennent de ces deux méthodes peuvent diverger, puisque l’équivalence locative ne représente pas les débours des propriétaires. C’est pourquoi Statistique Canada déconseille d’utiliser ses indices lorsqu’on veut mesurer, comme telles, les différences de pouvoir d’achat ou de coût de la vie des propriétaires entre les villes.
Heureusement encore une fois, Statistique Canada note que la méthode d’équivalence locative employée pour construire ses indices de prix est exactement la même que celle qu’il utilise dans les comptes économiques nationaux pour estimer les dépenses de consommation en dollars pour le logement en propriété.
Ainsi, bien que les indices de prix pour le logement en propriété s’écartent des notions de pouvoir d’achat du dollar de consommation et de coût de la vie, ils sont parfaitement appropriés pour diviser les dépenses de consommation en dollars, puisque celles-ci sont basées sur le même concept d’équivalence locative. Le rapport entre les deux produit ainsi une estimation fiable du volume réel consommé.
En somme, le problème soulevé par M. Geloso dans l’interprétation de l’écart de prix du logement entre Montréal et Toronto rapporté par Statistique Canada est intéressant, mais la solution du problème est… qu’il n’y a pas de problème. Les estimations de Statistique Canada sont fiables et peuvent être utilisées de façon cohérente pour dégonfler les dépenses de consommation en services de logement des comptes économiques provinciaux.
À suivre dans un prochain billet…
Une version antérieure de ce billet a été publiée dans L’actualité.