Le prix de l’essence examiné sous toutes ses coutures, 1ère partie

En quête d’idées pour le blogue, j’ai choisi, parmi les nombreuses suggestions de mes collègues, d’écrire un article sur le prix de l’essence. Je croyais qu’avec un sujet aussi simple, j’allais pondre un excellent texte en deux temps trois mouvements.  GRAVE ERREUR!! J’aurais dû choisir de traiter de l’incidence des variations du taux de change du dollar américain par rapport au yuan sur les échanges internationaux des pays avancés avec les économies émergentes en période d’austérité budgétaire suite à la crise économique de 2008. Ça aurait été beaucoup plus simple que de m’exprimer à propos du prix de l’essence.

Bon, j’exagère un peu, mais pas tant que ça. Pour savoir si le Ministre des Ressources naturelles et de la Faune a raison de refuser d’imposer un mécanisme de contrôle du prix de l’essence au Québec, je me suis tapé le rapport de 65 pages de la Régie de l’énergie à ce sujet. Et pour comprendre ce rapport, il a fallu que je lise une foule d’autres documents afin de saisir tous les enjeux et de me faire une tête sur la question. Oui, bon, vous allez me dire que c’est ça la job d’un économiste et vous avez parfaitement raison. J’arrête donc de me plaindre et je vais tenter de vous communiquer le fruit de mes recherches et de mes réflexions.

Cela ne se fera pas d’un seul coup, cependant, car le sujet est beaucoup trop vaste et complexe pour en faire le tour en mille cinq cents mots (c’est la longueur maximum des textes que le gestionnaire de notre blogue exige et c’est un vrai ayatollah !). Je vous propose donc une série de textes qui porteront sur le sujet. Je vous parlerai entre autres des composantes du prix de l’essence, de sa volatilité et de la réglementation.

Mais pour commencer en beauté, la question qui tue : pourquoi le prix de l’essence nous fait-il pomper ?

Si le prix de l’essence fait tant parler, c’est, entre autres, parce qu’on en consomme beaucoup et que son prix a augmenté de façon marquée au cours des dernières années. Le litre d’essence ordinaire coûtait autour de 60 cents vers la fin des années 1980. Il est resté dans ces eaux-là jusque vers la fin des années 1990, puis il s’est mis à grimper (Graphique 1).

À Montréal, le prix du litre d’essence, qui se détaillait à 72 cents le litre en 2002, coûte maintenant 1,31$ le litre (moyenne des 11 premiers mois de 2011), presque le double. Après avoir augmenté moins rapidement que le coût de la vie pendant plusieurs années, le prix de l’essence a effectué un tel rattrapage que sur une période de 24 ans, entre 1987 et 2011, sa croissance annuelle moyenne a été deux fois plus forte que celle de l’indice des prix à la consommation du Québec (Tableau 1).

 

Source : Ressources naturelles Canada

Par ailleurs, les consommateurs consacrent une part considérable de leur budget à l’essence. Dans l’indice des prix à la consommation du Québec, la pondération de l’essence s’élève à 6,2 %. Cela signifie que ce produit représente 6,2 % du prix du panier typique de biens et de services des ménages québécois, ce qui n’est pas rien.

Cette pondération a crû au fil du temps parce que le prix de l’essence a augmenté, mais aussi parce que les ménages en consomment davantage. En 1987, il y avait 2,6 millions de véhicules légers immatriculés au Québec; en 2009 il y en avait 77 % de plus, soit 4,6 millions. Il s’agit d’une croissance bien supérieure à celle de la population, qui a porté le nombre de véhicules légers par 1 000 habitants de 388 en 1987, à 587 en 2009[1].

Plusieurs consommateurs, pour ne pas dire la majorité, considèrent l’essence comme un produit de première nécessité. Certes, il y a des alternatives, notamment le transport en commun. Si vous habitez une grande ville où le système de transport en commun est bien développé, comme Montréal, et que vous n’êtes pas chauffeur de taxi (!), l’essence ne fait pas nécessairement partie de la catégorie des biens qui vous sont essentiels. En revanche, si vous habitez une ville de banlieue mal desservie par le transport en commun ou la campagne, c’est autre chose.

Peu importe si les gens ont raison ou tort de considérer l’essence comme un bien essentiel (voyez le beau jeu de mots !), il reste que la demande pour ce produit est plutôt inélastique au prix, puisqu’en dépit de l’augmentation faramineuse de celui-ci au cours des dernières années, sa consommation a augmenté. Vous me direz que c’est parce qu’on a tardé à développer les véhicules hybrides ou électriques ou à améliorer le transport en commun, qu’on a encouragé l’étalement urbain ou que cela prend du temps pour changer les habitudes des consommateurs. Toutes ces raisons sont valables, mais le fait est que l’essence reste encore indispensable à la majorité des déplacements des Québécois et que par conséquent, ceux-ci se sentent victimes des augmentations de prix.

Le prix de l’essence a énormément augmenté en dépit du fait qu’il s’agisse d’un produit homogène. En effet, de l’essence, c’est de l’essence, peu importe qu’elle provienne de chez Esso ou de chez Shell. Et quand un produit est homogène, la concurrence se fait énéralement sur le prix, étant donné qu’elle ne peut pas porter sur la qualité du produit. Le service peut entrer en ligne de compte, mais dans le cas de l’essence, il se ressemble d’une station-service à l’autre, surtout que la majorité des stations d’essence sont maintenant des libre-service.

Si le prix a augmenté malgré cela, c’est que la capacité des détaillants à jouer sur les prix est limitée, comme nous allons le voir dans le prochain article. De fait, pour vous donner un avant-goût, la marge du détaillant, qui ne comprend pas seulement sa marge bénéficiaire, mais également ses coûts d’exploitation (salaires des employés, entretien de la station service, publicité, etc.), ne représente qu’environ 5 % du prix de l’essence à la pompe au Québec.


 


[1] Les transports au Canada, Rapports annuels de 2006 et de 2010, Transports Canada et Rapport annuel de gestion 2002, Société de l’Assurance Automobile du Québec.