LE PRIX DE L’ESSENCE EXAMINÉ SOUS TOUTES SES COUTURES, 3E PARTIE

Quand on sait que le prix de l’essence dépend du prix du brut, de la marge des raffineurs et de celle des détaillants et des taxes, on comprend mieux qu’il puisse fluctuer d’une semaine à l’autre. Néanmoins, les fluctuations sont souvent soudaines et très importantes et les écarts de prix d’une région à l’autre semblent parfois injustifiés.

1.   Les fluctuations du prix de détail

Commençons d’abord par discuter des fluctuations de prix d’une journée à l’autre, parce que ce sont surtout celles-ci qui exaspèrent les consommateurs. Ces derniers ont parfois l’impression qu’il y a collusion chez les détaillants quand surviennent des hausses de prix soudaines, beaucoup plus fréquentes que les baisses d’ailleurs, qui sont plus graduelles. Est-ce vraiment le cas ?

Pour expliquer ce phénomène, la Régie de l’énergie avance l’explication suivante : l’essence étant un produit homogène (celle qui est vendue par Shell n’est pas différente de celle qui est vendue par Esso), la concurrence est essentiellement basée sur son prix[1]. Lorsque le coût d’acquisition de l’essence augmente, il arrive souvent que les détaillants attendent avant d’augmenter leur prix, acceptant par conséquent de réduire leur marge commerciale, afin de conserver leur clientèle. Il s’ensuit que lorsque l’ajustement se produit, ce qui finit par arriver tôt ou tard, il s’opère un rattrapage qui se traduit par une forte augmentation des prix.

Pour ma part, cette explication me semble crédible. Selon une étude de la Banque du Canada sur la manière dont les entreprises établissent leurs prix de vente, les modifications apportées aux prix par les concurrents constituent la principale motivation des entreprises en matière d’ajustement des prix[2]. Par ailleurs, il me semble vraisemblable qu’un détaillant hésitera davantage à être le premier à hausser ses prix qu’à être le premier à les réduire, ce qui expliquerait que les hausses du prix soient plus abruptes, et les baisses plus graduelles.

2.   Les écarts de prix entre les régions

Les prix varient substantiellement d’une ville à l’autre et les écarts paraissent souvent injustifiables. C’est du moins ce que le CAA – Québec, qui joue le rôle de chien de garde en matière du prix de l’essence au Québec, déplore fréquemment. En effet, ce ne sont pas tant les fluctuations du prix de détail de l’essence que cet organisme dénonce – bien au contraire elle les explique en détail sur son site[3] – mais ce qu’elle appelle les « illogismes » dans les prix qui prévalent dans certaines régions par rapport à ce qui constituerait, selon elle, les « prix réalistes ».

En 2009, le Ministère des Ressources naturelles et de la Faune a demandé à la Régie de l’énergie d’analyser les écarts entre les prix de l’essence à Québec et à Montréal, qui paraissaient inexplicables. Le Ministère avait relevé que le prix de l’essence à Québec était à l’occasion supérieur au prix affiché à Montréal, et cela en dépit du fait que le prix dans la métropole comprenait une taxe supplémentaire de 1,5 cent le litre versée à l’Agence métropolitaine de transport (qui est passée à 3 cents le litre depuis). Par ailleurs, à ce moment-là, les marges des détaillants de Québec avaient été supérieures à celles des détaillants de Montréal, en moyenne, au cours des 18 derniers mois.

Après un examen détaillé des marchés de l’essence à Québec et à Montréal, la Régie a conclu que les écarts de prix pouvaient s’expliquer par le fait que les stations-services du Grand Montréal avaient un plus grand volume annuel de ventes d’essence que celles du Grand Québec, ce qui leur permettaient d’avoir des marges de commercialisation plus faibles. En effet, les coûts fixes représentant une très large part du prix de détail de l’essence, qui comprend les coûts fixes, les coûts variables et la marge bénéficiaire, plus les volumes sont élevés, moins les marges doivent être élevées pour assurer la rentabilité de la station-service.

En comparant les marges des détaillants de différentes régions de la province, CAA-Québec affirme souvent, comme elle l’a fait récemment dans son Bilan 2010, que le prix de l’essence dans certains marchés ne répond pas à la loi de l’offre et de la demande. Ainsi, le fait que les marges au détail à Québec et à Montréal aient été supérieures à  celles de plusieurs régions moins populeuses du Québec en 2010 serait contraire, selon elle, à ce que les consommateurs sont en droit de s’attendre dans ce type de grands marchés où la compétition est plus féroce[4]. Il s’agit d’un raisonnement biaisé, dans la mesure où il ne tient compte que d’un seul côté de l’équation, l’offre. Il est vrai que s’il y a davantage d’entreprises qui offrent le même produit dans la ville X que dans la ville Y, le prix du produit devrait être plus faible dans X que dans Y, mais cela à la condition que la demande soit la même dans les deux villes. Si la demande est plus élevée dans X que dans Y, l’argument ne tient pas.

Par ailleurs, pour comparer les marges des détaillants, il ne suffit pas de considérer l’offre et la demande auxquels ils font face, il faut prendre en compte d’autres éléments comme les différences entre les volumes de ventes des stations-services, ainsi que nous l’avons vu dans la section consacrée à la marge du détaillant dans le blogue portant sur les composantes du prix de l’essence : une station service qui est également un dépanneur ou qui offre un service de lave-auto ou de restauration a généralement des coûts d’exploitation par volume de vente d’essence inférieurs à ceux d’une station service qui n’offre que de l’essence.

En dénonçant les écarts de prix entre différentes villes, CAA-Québec exagère parfois. Cela dit, l’organisme met parfois le doigt sur des situations étonnantes qui méritent d’être analysées de plus près et sa vigilance rend certainement la vie plus difficile aux détaillants qui auraient des idées croches. Loin de moi, donc, l’idée de critiquer outre mesure cette entreprise à but non lucratif qui nous est somme toute très utile.

Pour éviter les fluctuations du prix de l’essence et les écarts entre les prix d’une ville à l’autre, faudrait-il réglementer le prix de l’essence au Québec ? Est-ce qu’une réglementation permettrait aux consommateurs québécois de payer un prix plus « juste » ? Le gouvernement s’est posé la question et a demandé à la Régie de l’énergie d’y répondre, ce qu’elle a fait en examinant l’expérience des provinces de l’Atlantique, où le prix de l’essence est contrôlé. Devinez de quoi nous allons parler dans mon prochain blogue ? À bientôt.


 


[1] Avis sur les écarts de prix de ventes et des marges de commercialisation de l’essence entre Montréal et Québec, Régie de l’énergie du Québec, R-3710-2009, pages 13-14.

[2] D. Amirault, Caroline Kwan and Gordon Wilkinson (2006), Survey of Price-Setting Behaviour of Canadian Companies, Bank of Canada, Working Paper 2006-35.