Dans mon blogue précédent sur le prix de l’essence, nous avons parlé de la réglementation et de l’étude de la Régie de l’énergie selon laquelle le contrôle du prix de l’essence parviendrait peut-être à réduire sa volatilité et les écarts de prix entre les villes. Il est cependant important de souligner que la réglementation n’empêcherait pas le prix de l’essence de fluctuer, car le gouvernement n’a pas de contrôle sur le prix du pétrole brut, qui est déterminé sur le marché mondial, ni sur le prix du produit raffiné qui est fixé sur le marché nord-américain. Il ne peut contrôler que les taxes et la marge de détail. Les taxes, qui constituent 37 % du prix de l’essence au Québec, sont responsables du coût élevé du litre d’essence, mais pas de ses fluctuations. Reste la marge de détail, qui ne représente que 5 % du prix total.
Pour savoir quelle importance accorder à la réglementation, il vaut la peine de comparer le prix de l’essence au Québec à celui qui prévaut dans l’ensemble du Canada, et ailleurs dans le monde.
1. Comparaison avec les autres provinces canadiennes
En examinant le graphique 1, qui montre le prix de l’essence dans les plus grandes villes des provinces canadiennes, on constate que c’est Vancouver qui remporte la palme du prix le plus élevé, suivi de Montréal. On ne sera pas surpris de constater que c’est à Calgary que le prix est le plus faible.
Si le prix est plus élevé à Montréal que dans la plupart des autres grandes villes canadiennes, c’est principalement à cause des taxes, dont la part dans le prix total du litre d’essence est la plus élevée de toutes, soit 38 %. En revanche, la marge de détail était plus faible à Montréal que partout ailleurs en 2010, ne représentant que 5 % du prix total. Dans les autres grandes villes canadiennes, la marge de détail s’élevait en moyenne à 7 % du prix total, atteignant jusqu’à 10 % à Régina.
Donc, si l’essence coût plus cher au Québec que dans le reste du Canada, c’est en bonne partie à cause des taxes. Examinons maintenant le prix de l’essence ailleurs dans le monde.
2. Comparaison avec d’autres pays industrialisés
«Quand on se regarde on se désole, mais quand on se compare on se console!» La formule s’applique bien au montant de taxes sur l’essence que l’on paie en moyenne au Canada par rapport à ce que les consommateurs déboursent dans les autres pays industrialisés. Selon les données de l’Agence internationale de l’énergie, à part les Américains, les consommateurs étrangers paient beaucoup plus de taxes que les Canadiens sur le litre d’essence.
Comme le montre le Graphique 2, les prix hors taxes varient somme toute de façon plutôt limitée d’un pays à l’autre, ce qui n’est pas le cas de la part des taxes dans le prix total, qui varie d’un maigre 11 % aux États-Unis à 60 % au Royaume-Uni ! Au Canada, cette part s’élève à 30 %, ce qui est peu par rapport à celle des pays européens et du Japon. Et même si au Québec elle atteint 37 % en moyenne, elle reste faible sur une base internationale.
3. Le prix de l’essence et les changements climatiques
Il y a une autre taxe sur l’essence dont nous n’avons pas parlé, c’est la taxe sur le carbone que le gouvernement du Québec a imposé aux distributeurs d’énergie en 2007. En fait, elle ne s’applique pas seulement à l’essence. Elle est imposée aux raffineurs et aux importateurs d’énergie, à l’exclusion des distributeurs indépendants. Le taux et la méthode de calcul de la redevance annuelle sont établis en fonction des émissions de dioxyde de carbone (CO2) générées par la combustion des énergies fossiles, d’où son titre de taxe ou de redevance sur le carbone.
Le Québec a été la première province canadienne à imposer une telle taxe. La Colombie-Britannique a suivi en 2008, avec une taxe plus élevée que celle du Québec : 2,34 cents le litre en 2008, qui doit augmenter graduellement jusqu’à 7,2 cents le litre en 2012, contre seulement 0,8 cent le litre au Québec. Cependant, alors qu’au Québec les revenus de la taxe sur le carbone (200 millions de dollars par année) sont entièrement consacrés au financement des activités de lutte contre les changements climatiques, la taxe sur le carbone de la Colombie-Britannique est accompagnée de baisses d’impôts pour les consommateurs et les entreprises visant à en neutraliser l’effet sur leurs revenus. C’est une taxe semblable à celle que Stéphane Dion proposait dans son programme électoral en 2008, en fait.
La Colombie-Britannique s’est inspirée de la Suède, qui a été parmi les premiers pays européens, avec le Danemark, la Finlande et la Slovénie, à instaurer une taxe sur le carbone, au début des années 1990. La Suède a réussi à réduire de 9 % ses émissions de gaz à effet de serre (GES) depuis ce temps, sans pour autant compromettre sa croissance économique. Une partie des revenus de la taxe a permis au gouvernement suédois d’accorder des crédits d’impôt pour isoler sa maison ou utiliser des énergies renouvelables. Le Danemark, lui, a consacré 20 % des revenus de sa taxe à l’amélioration de la productivité énergétique des entreprises. Il a non seulement réussi à réduire substantiellement ses émissions de gaz à effet de serre, son industrie est maintenant parmi les plus énergiquement efficaces au monde. Et du point de vue des inégalités de revenus, c’est une taxe très efficace, car ce sont les plus riches qui sont les plus pénalisés puisqu’ils consomment plus d’énergie, en particulier plus d’essence.
Pour réduire ses émissions de GES, le Québec doit absolument réduire sa consommation de pétrole et d’essence, car le transport est le secteur qui en produit le plus : 39 % des émissions totales au Québec, comme le montre le graphique ci-dessous. Ces données datent un peu, mais je ne crois pas que la distribution ait beaucoup changé depuis ce temps.
Comme le mentionne le gouvernement du Canada lui-même sur le site du Ministère des Ressources naturelles Canada, les Canadiens doivent absolument diminuer leur consommation de carburants s’ils désirent réduire les émissions GES. C’est que le Canada est parmi les pays qui consomment le plus d’énergie par année et cela s’explique principalement par notre grande dépendance à l’automobile. De fait, nous affichons les taux de possession de voitures parmi les plus élevés au monde, dixit le gouvernement fédéral, qui vient de se retirer du protocole de Kyoto, en passant.
Conclusion
J’ai appris beaucoup sur le prix de l’essence en écrivant cette série d’articles, car je dois dire que j’étais plutôt ignorante à ce sujet quand je l’ai commencé. Au bout du compte, je me rends compte que malgré la hausse du prix du pétrole brut au cours des dernières années, malgré les grandes fluctuations du prix à la pompe d’une journée à l’autre, malgré la teneur élevée des taxes, le prix du litre d’essence au Québec n’est pas beaucoup plus élevé qu’ailleurs au Canada et beaucoup moins cher qu’ailleurs dans le monde, exception faite des États-Unis. Et je me demande, en fin de compte, s’il ne devrait pas l’être davantage.
J’ai en effet l’impression que nous n’avons pas atteint le seuil à partir duquel les Québécois vont changer leurs habitudes en réduisant substantiellement leurs déplacements automobiles, en utilisant davantage le transport en commun ou en envisageant l’achat d’un véhicule électrique ou hybride. Car ils ont beau pester contre le prix élevé de l’essence et ses fluctuations, leur consommation continue à augmenter.
Bref, je pense que la question que l’on devrait se poser, ce n’est pas tant faut-il réglementer ou non le prix de l’essence, mais de combien devrait-on augmenter les taxes ? Là, je sens qu’il y en a qui ne m’aimeront pas ! J’entends déjà les critiques : augmenter les taxes, est-ce que c’est la seule solution que les économistes ont à proposer ? C’est vrai que nous payons beaucoup de taxes, mais ce ne sont pas toujours des taxes judicieuses. Une taxe sur le carbone, en revanche c’est une taxe sur la pollution. Or, comme l’écrivait le Prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz, dans un article à propos du rapport Stern sur le réchauffement climatique : « Cela a beaucoup plus de sens de taxer les choses qui sont mauvaises, comme la pollution, que les choses qui sont bonnes, comme le travail et l’épargne »[1].
Le Québec a déjà fait un pas dans la bonne direction lorsqu’il a instauré sa redevance sur le carbone en 2007, mais il devrait aller plus loin en s’inspirant des expériences des pays européens qui ont réussi à rendre les entreprises et les consommateurs plus responsables dans leur consommation d’énergie, dont l’essence, tout en évitant d’accentuer les inégalités sociales. Permettez-moi, en passant, de vous informer du fait que le Comité des politique publiques de l’Association des économistes québécois a transmis un mémoire au Ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs en septembre dernier, en réponse à la publication du projet de règlement sur un système de plafonnement et d’échange des droits d’émission de gaz à effet de serre[2]. Dans ce mémoire, le Comité des politique publiques de l’ASDEQ recommandait au gouvernement de procéder à un examen plus approfondi des différentes options possibles pour réduire les gaz à effet de serre, incluant l’adoption d’une taxe sur le carbone.
C’est ici que s’achève cette série d’articles sur le prix de l’essence. Finalement, je pense que mon titre était prétentieux, car je n’ai pas tout dit à propos du prix de l’essence, loin de là. Pour ceux qui sont intéressés à en savoir davantage, vous trouverez ci-dessous la liste des références que j’ai consultées. À la prochaine !
Références
- Avis sur les écarts de prix de vente et des marges de commercialisation de l’essence entre Montréal et Québec, Régie de l’énergie du Québec, R-3710-2009, 14 décembre 2009.
- Crawford, Todd (2011), Le secteur canadien du raffinage pétrolier : Un contributeur important face à des défis mondiaux, Le Conference Board du Canada, Octobre 2011.
- Info Carburant, Comprendre les différents aspects du marché de l’essence au Canada et les facteurs économiques qui influencent les prix, Revue annuelle 2010, Ressources naturelles Canada, 2011.
- Carranza, Juan Esteban, Robert Clark et Jean-François Houde, The effects of price controls : Evidence from Quebec’s Retail Gasoline Market, Centre sur la productivité et la prospérité, HEC Montréal, décembre 2011.
- Le Québec et les changements climatiques : Un défi pour l’avenir, Plan d’action 2006-2012, Ministère des Ressources naturelles et de la Faune, Gouvernement du Québe, juin 2008.
- Les marchés pétroliers : comprendre leur fonctionnement, Institut canadien des produits pétroliers, 2007.
- Les transports au Canada 2011 Addenda, Transport Canada, TP 15147F, 2011.
- Loi favorisant la transparence dans la vente de l’essence et du carburant diésel, Mémoire remis par CAA – Québec, décembre 2007.
- Maintenir la concurrence et protéger les consommateurs, Document d’analyse sur le
- Fonctionnement du marché pétrolier, Association québécoise des indépendants du pétrole, juillet 2010.
- National Retail Petroleum Site Census 2010, MJ Ervin & Associates, The Kent Group, 30 avril 2011.
- Rapport à la ministre des Ressources naturelles et de la Faune du Québec : Rapport sur différents mécanismes de contrôle des prix des produits pétroliers et sur la pertinence d’adopter de telles mesures au Québec, Régie de l’énergie du Québec, juillet 2011.
Sites internet consultés :
- Office national de l’énergie : http://www.neb.gc.ca/clf-nsi/rcmmn/hm-fra.html
- Ressources naturelles Canada : http://www.rncan.gc.ca/accueil
- CAA – Québec : http://www.caaquebec.com/Accueil/?lang=fr
- Institut canadien des produits pétroliers : http://www.cppi.ca/homef.html
- Agence internationale de l’énergie : http://www.iea.org/about/indexfr.asp
[2] Voir : http://w1p.fr/44843