LE PRIX MONDIAL DU PÉTROLE ET L’INDUSTRIE PÉTROLIÈRE QUÉBÉCOISE

            Le refus du président Obama d’autoriser l’oléoduc Keystone XL qui transporterait un million de barils de pétrole par jour de l’Alberta au Golfe du Mexique  accentue l’intérêt pour le projet Énergie-est qui lui vise à acheminer quotidiennement  un peu plus de un million de barils de la province albertaine jusqu’à Saint John au Nouveau Brunswick. Le fondement économique de tous les projets  d’oléoducs  ayant l’Alberta comme point de départ est l’écart des prix du pétrole entre cette région et celui à l’échelle mondiale. Cet écart est présentement de l’ordre de 10.00$/baril pour un prix de 60.00$. Le prix mondial du pétrole continue d’être une variable-clé influençant le développement des infrastructures reliées à l’industrie pétrolière au Québec. Ce texte vise à rappeler les principales manifestations de cette relation depuis la seconde guerre mondiale.

La ligne Borden

Lors de la découverte de pétrole au puits Leduc foré près d’Edmonton en 1947, l’essor de cette industrie au Canada fut compromis par un tarif douanier imposé par les États-Unis qui diminuait d’autant le prix reçu par les producteurs canadiens. Pour contrer les effets négatifs de cette politique américaine protectionniste, le gouvernement fédéral créa en 1961 la ligne Borden qui correspondait à la rivière des Outaouais et qui divisa le Canada en deux régions pour l’approvisionnement en pétrole brut : l’Ouest  de la ligne Borden serait desservi par le pétrole albertain et l’Est aurait accès au pétrole importé. Ce fut l’âge d’or des industries montréalaises du raffinage et de la pétrochimie qui pouvaient acheter le pétrole brut à des prix inférieurs à ceux de l’Ouest du Canada et des États-Unis. L’alimentation en pétrole était fournie à l’année longue par trois oléoducs en provenance de Portland, Maine, et aussi par navire lorsque le fleuve Saint-Laurent était libre des glaces.

Les crises pétrolières de 1973 et de 1979

            En 1973, les pays membres de l’OPEP limitèrent leur production de pétrole; le prix de cette énergie s’en trouva quadruplé et cette hausse créa un choc à l’ensemble de l’économie mondiale. Pour protéger son économie, le gouvernement fédéral instaura un prix interne du pétrole à un niveau inférieur au prix mondial : il subventionna les importations des raffineries de l’Est et taxa les exportations du pétrole albertain. Pour accroître l’autonomie pétrolière du Canada et pour réduire la facture croissante des subventions aux importations des raffineries de l’Est, le gouvernement fédéral supporta l’extension de l’oléoduc de Sarnia à Montréal dont les opérations débutèrent en 1976. C’est ainsi que le pétrole albertain alimenta les raffineries montréalaises. Le deuxième choc pétrolier en 1979 doubla le prix qui atteignit 100$/baril exprimé en dollar d’aujourd’hui. Par le Programme Énergétique National (P.E.N.) de 1980, le gouvernement fédéral tenta de réduire la demande des produits pétroliers; le gaz naturel pénétra davantage le marché du chauffage des résidences et des édifices à l’ouest de la rivière des Outaouais alors que ce rôle fut joué au Québec par l’électricité dont la production connaissait un bond spectaculaire avec la mise en service des centrales de la Baie James qui s’échelonna de 1979 à 1986. Le prix du pétrole s’effondra en 1985 et le P.E.N. fut retiré par le gouvernement récemment élu de M. Mulroney.

          Les crises pétrolières des années soixante-dix ont donné lieu à l’intégration du marché mondial du pétrole et les raffineries montréalaises ont ainsi perdu leur avantage de prix plus faibles que ceux appliqués à l’Ouest du Québec et aux États-Unis. Après avoir alimenté en partie les raffineries montréalaises, l’oléoduc Sarnia-Montréal cessa d’opérer pendant quelques années pour ensuite être réactivé et acheminer, de Montréal à Sarnia, du pétrole provenant du marché de l’Atlantique. Le projet d’inversion d’Enbridge qui est supposé entrer en opération à la fin de 2015, vise à rétablir, 39 ans plus tard, la direction originale du flux de pétrole, c’est-à-dire de l’Alberta vers Montréal. L’écart de prix du pétrole entre l’Alberta et le reste du monde constitue le fondement économique de ce projet ainsi que de tous les autres projets d’oléoduc qui ont été proposés au cours des dernières années : Keystone XL vers le Golfe du Mexique, Northern Gateway vers la Colombie-Britannique et Énergie Est vers la côte de l’Atlantique.

            Ce ne sont pas la décision du gouvernement fédéral de nationaliser une des six raffineries montréalaises en vue de créer Pétro Canada et la mise en service des centrales hydroélectriques à la Baie James au début des années quatre-vingt qui ont causé le profond déclin des industries du raffinage et de la pétrochimie à Montréal, mais bien l’évolution du prix mondial du pétrole brut qui a rendu caduque la ligne Borden.

Conclusion

           Il y a déjà une longue histoire qui lie, d’une part, le fleuve Saint-Laurent et ses rives et, d’autre part, l’industrie pétrolière et ses infrastructures de transport et de raffinage. Cette histoire, comme les débats actuels entourant les projets d’oléoducs, est fortement influencée par l’évolution du prix du pétrole brut qui dépend  du marché mondial.