LE TEMPS EST VENU DE PARLER DE CONCILIATION TRAVAIL-RETRAITE

Suite à une série d’entrevues données à la radio de Radio-Canada le 12 février dernier, j’ai dû rassembler quelques idées sur la question du maintien au travail des personnes « âgées ». Premièrement,  il convient de rappeler que l’introduction aux entrevues faisait part du fait que 7 millions de Canadiens prendraient leur retraite au cours de 20 prochaines années, ce qui n’est pas une mince affaire. Dans le contexte de pénuries anticipées et d’une menace à la croissance économique, il convenait donc de se poser la question de savoir si on devait et si on pouvait maintenir les personnes âgées à l’emploi face au problème du vieillissement démographique.

Le problème

Ma réponse à cette question a été la suivante : oui, nous devrons maintenir les personnes âgées à l’emploi principalement pour des raisons de finances publiques : 1) le vieillissement démographique signifie tout d’abord une baisse des revenus pour les gouvernements : les personnes qui prennent leur retraite amènent moins d’impôt aux gouvernements parce que leurs revenus diminuent; 2) les dépenses des gouvernements augmentent en raison des dépenses de santé et cela, d’autant plus qu’heureusement l’espérance de vie a fait d’importants progrès et que ces progrès sont appelés à se poursuivre dans les prochaines années; 3) pour les gouvernements comme pour les individus, lorsque les revenus diminuent et que les dépenses augmentent, cela signifie un déficit (déficit structurel dans le langage des économistes) qui signifie des emprunts et donc une hausse de la dette. Et finalement qui dit hausse de la dette dit hausse des paiements d’intérêt et donc moins de services pour les mêmes impôts puis, éventuellement, une hausse des impôts pour notamment les gens qui ne sont pas à la retraite.

Ces prévisions ne sont pas des prévisions d’économistes, mais des prévisions démographiques, ce sont donc des prévisions certaines et elles se réaliseront si rien n’est fait.

Les solutions

Heureusement toutefois, il y a des solutions à ce problème. Nous en comptons de trois types : 1) une hausse de la productivité : il faut donc continuer à miser sur l’innovation, la recherche et le développement et l’émancipation du capital humain; 2) l’immigration qui est un apport net à la production, à la création de richesse et aux revenus de l’État; 3) la hausse de la participation au marché du travail. Il reste encore de la place pour la hausse des taux d’activité des femmes, si on se compare aux pays qui affichent les taux les plus élevés pour ce groupe de la population (Scandinavie notamment), mais notre propos ici s’adresse à celui des personnes de 55 ans et plus.

Pour revenir à notre profession d’économiste toutefois, il est important de dire que les économistes privilégient des solutions ou des mesures incitatives à des mesures coercitives. Le fait de repousser l’âge légal de la retraite (droit à des prestations de sécurité de la vieillesse) s’apparente davantage à cet égard au deuxième type (coercitif) plutôt qu’au premier type (incitatif) de mesure. Mais qu’entend-on au juste par mesures incitatives?

Des mesures incitatives

Il existe toute une gamme de mesures incitatives. On peut tout d’abord parler de mesures fiscales telles des crédits d’impôt ou le relèvement de l’exemption de base pour les personnes de 65 ans et plus qui demeurent sur le marché du travail.

Au niveau des entreprises, on peut songer à la formation qui peut prendre deux formes. Les gouvernements peuvent encourager les entreprises à former les travailleurs plus âgés pour leur permettre d’entreprendre une deuxième carrière au sein de l’entreprise. En effet,  une fois passés les six mois de vacances suivant la prise de retraite, ceux-ci peuvent se montrer intéressés à relever de nouveaux défis plutôt que de rester inactifs ou d’être contraints à rester dans des activités qui présentent moins de nouveautés et qu’ils ont de plus en plus de difficultés à assumer. Mais, les entreprises peuvent être aussi encouragées à développer le transfert des connaissances des travailleurs plus expérimentés vers les plus jeunes. Une mise à pied trop brusque des travailleurs expérimentés peut d’ailleurs réduire la productivité si les nouveaux entrants ne sont pas mis au courant des « secrets » de la profession et des politiques internes de gestion au quotidien. Il vaut donc mieux construire des ponts entre les générations et faciliter les transitions.

Évidemment, tous ces programmes de transition ont avantage à s’effectuer dans le cadre de la plus grande souplesse; souplesse quant au lieu de travail ou d’études, souplesse  des horaires, des jours travaillés par semaine et des congés dûment planifiés. C’est ce qu’on appelle des mesures de conciliation travail-retraite[1].

Finalement, le régime de pension du Canada ou le régime des rentes du Québec peuvent être renforcés, comme c’est le cas actuellement en offrant aux personnes de 65 ans et plus de continuer de cotiser et d’accumuler des droits accrus. À l’heure actuelle une personne qui travaillerait jusqu’à 70 ans pourrait bénéficier d’une prestation bonifiée de 42 %.

Bien entendu, et le point est important à souligner, toutes ces bonifications tant en termes de réduction de cotisations ou de crédits d’impôt doivent être rentables pour l’ensemble de la collectivité et il ne s’agit pas de faire de nouveaux cadeaux à une génération déjà considérée comme étant avantagée par rapport aux autres générations. De même que toute bonification apportée à des régimes de rentes doit s’avérer viable sur le plan actuariel.

L’information

Les entreprises et les travailleurs ont un rôle actif à jouer en matière d’adaptation aux nouvelles réalités démographiques et ils l’assumeront pour autant que le rapport bénéfices/coûts de ces initiatives leur soit favorable. Le problème toutefois est qu’ils ne sont pas nécessairement au courant de tous les enjeux de la question et qu’il y a des retombées pour l’ensemble de la collectivité qu’ils risquent de ne pas prendre en compte. Le gouvernement doit alors assumer les fonctions qui lui reviennent soit a) les sensibiliser à la question; b) former des comités qui permettront de l’éclairer sur les interventions les plus appropriées et rallient les principaux agents concernés (travailleurs et employeurs); c) les informer des programmes mis à leur disposition et de leurs avantages.

Conclusion

En résumé, nous avons pu voir que le phénomène du vieillissement démographique engendrait des problèmes de déficits structurels, de dette puis éventuellement de hausse des impôts mais qu’il y avait des solutions, dont la prise de mesures incitatives pour le maintien des personnes âgées sur le marché du travail. Mesures incitatives qui pouvaient être d’une grande variété : formation, souplesse dans l’aménagement du travail, amendements aux régimes de rente et information.

Les gouvernements prendront-ils les mesures qu’il convient de prendre dans les circonstances que nous avons décrites en introduction. Il est à parier que ce sera le cas dès qu’ils pourront y voir une façon de mieux boucler leurs budgets à moyen terme.

Bibliographie.

– Rapport Demers préparé pour le gouvernement du Québec, publié le 21 septembre 2011. http://www.mess.gouv.qc.ca/grands-dossiers/travailleurs-experimentes.asp

– Chambre de commerce du Canada (2011), Encourager les aînés à continuer de travailler.

– Jean-Michel Cousineau, « La retraite après 65 ans, qu’en pensez-vous? publié le 6 janvier 2012 sur Libres Échanges.

[1] Un programme public de formation pourrait aussi  aider les travailleurs à la retraite à cheminer vers une autre carrière en dehors de leur ancienne entreprise ou à s’établir à son propre compte.