Comme chacun sait, 2017 marque le 150e anniversaire de l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB), soit la loi qui est à l’origine de la fédération canadienne. Par le fait même, cet anniversaire est aussi celui de la création de la province de Québec. Jusque-là, le territoire du Québec avait fait partie successivement de la Nouvelle-France, du Bas-Canada et du Canada-Uni.
La fédération du Canada-Uni, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse visait notamment des objectifs économiques, soit la constitution d’un marché suffisamment grand pour écouler la production des trois colonies. La création de ce marché commun n’était que la première étape d’un plan qui comprenait aussi la jonction avec l’Île-du-Prince-Édouard et la Colombie-Britannique, et le peuplement des Territoires du Nord-Ouest[1] grâce à l’immigration, deux objectifs qui rendaient nécessaire la construction d’un chemin de fer d’un océan à l’autre. L’instauration de tarifs douaniers suffisamment élevés pour protéger l’industrie canadienne naissante constituait un autre élément essentiel de ce qu’on a qualifié de « Politique nationale ».
Un siècle et demi plus tard, des obstacles freinent toujours la libre circulation de certains biens et services d’une province à l’autre. L’union économique canadienne peut malgré tout être qualifiée de réussite si l’on considère que le Canada fait partie du club sélect des pays développés et que les Canadiens jouissent d’un des niveaux de vie les plus élevés au monde.
Il reste que la croissance et le développement de l’économie ont varié d’une province à l’autre au cours des 150 dernières années. Qu’en est-il à cet égard de la province de Québec ?
Bien sûr, on ne saura jamais comment aurait évolué l’économie québécoise, si le Québec était devenu un État américain comme le souhaitait Louis-Joseph Papineau à l’époque du Bas-Canada. Cependant, il est certain que, jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, l’union canadienne a beaucoup profité à la belle province, notamment parce que Montréal agissait comme métropole du pays en voie de construction. Ce statut avantageux de Montréal tenait à ce que la bourgeoisie d’affaires canadienne y était concentrée et que son port était le mieux situé tant pour l’accueil des immigrants que pour le commerce avec le reste du monde. L’essor de Montréal a rejailli sur l’ensemble du Québec où s’est installée une bonne partie de l’industrie manufacturière canadienne : aliments et boissons, textile, vêtements, meubles, matériel de transport, industrie chimique et pétrochimique, matériel électrique, etc. Le Québec a aussi profité du rattachement du Canada à l’Empire britannique et aux préférences commerciales qui en découlaient. Ainsi, la réputation du cheddar québécois, au premier rang des exportations du Québec à une certaine époque, doit beaucoup au marché du Royaume-Uni qui en était friand. De même, le matériel de transport qui est aujourd’hui un fleuron de l’économie québécoise doit beaucoup à la participation du Canada à l’effort de guerre de l’Empire britannique. Des entreprises telles que Vickers, Canadair et Marine Industrie ont crû en bonne partie sous l’impulsion des contrats militaires.
La période d’après-guerre a constitué un réveil brutal. D’abord, Montréal a perdu sa prééminence à mesure que le centre de gravité de l’économie canadienne se déplaçait vers l’ouest. Ce mouvement a été facilité par l’ouverture de la Voie maritime du Saint-Laurent qui permettait aux navires de gros tonnage d’atteindre les Grands Lacs et par le Pacte automobile conclu avec les États-Unis qui avantageait l’Ontario étant donné sa proximité de Détroit, ainsi que par l’établissement de la ligne Borden qui favorisait le développement de l’industrie pétrochimique ontarienne. Par la suite, les protections douanières ont été progressivement démantelées à la suite de la participation du Canada à plusieurs rondes de négociations commerciales sous les auspices de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce. L’effet a été désastreux pour les entreprises québécoises produisant des biens de consommation tels les chaussures, les vêtements, les meubles et les électroménagers.
Un premier constat est donc que les bénéfices du régime fédéral pour le Québec ont varié selon les époques. Il reste que pendant près d’un siècle ce régime a favorisé une diversification et un développement de l’économie québécoise qui subsistent dans une large mesure aujourd’hui.
Le Québec a aussi profité de ce que la fédération canadienne constitue une sorte d’assurance collective. Quand l’économie de certaines parties du pays connaît des difficultés, le gouvernement fédéral vient à la rescousse avec des programmes de transfert de richesse. Le plus connu de ces programmes est la péréquation. Celle-ci vise à assurer une certaine égalisation des services rendus par les gouvernements dans les grands champs des politiques nationales de la santé et de l’éducation, en augmentant les capacités budgétaires des gouvernements provinciaux. Cependant, son importance ne doit pas être exagérée. Ainsi, l’économiste Luc Godbout fait observer que près de la moitié de la péréquation que reçoit le Québec est financée à même les impôts et les taxes qui y sont prélevés de sorte que, au net, le Québec recevait l’équivalent de 943 dollars par habitant en péréquation en 2012-2013, soit moins que quatre autres provinces[2]. De plus, au cours des prochaines années, l’écart entre les unes et les autres devrait s’atténuer avec la baisse des recettes pétrolières.
Les bénéficiaires des secours fédéraux ont changé selon les époques. Ainsi, pendant longtemps les provinces des Prairies ont largement compté sur l’aide fédérale[3] et Terre-Neuve s’est jointe au Canada à la demande insistante de l’Angleterre qui ne pouvait plus soutenir cette colonie impécunieuse.
Sous d’autres angles, l’appartenance à la fédération présente des avantages et des inconvénients qui se compensent plus ou moins. Ainsi, le Québec réalise des économies en partageant avec les autres provinces le coût de certains services publics tels la Cour suprême, la Défense nationale et les Affaires étrangères. En contrepartie, le régime fédéral fait en sorte que les Québécois doivent payer en double les services de ministères (ex. Finances, Revenu), d’organismes (Banque de développement du Canada et Investissement Québec) et d’institutions (Chambre des Communes et Assemblée nationale).
Un régime fédéral comporte aussi des inconvénients dans un pays aussi étendu et diversifié que le Canada. Il est en fait la juxtaposition d’économies régionales très différenciées et sans beaucoup de liens naturels entre elles. Une conséquence de cette hétérogénéité est qu’il est difficile d’avoir des politiques nationales qui profitent à l’ensemble des provinces et ne nuisent à aucune. Par exemple, la récession de 1982, très durement ressentie au Québec, a été exacerbée par une politique monétaire restrictive destinée à contrôler la surchauffe de l’économie torontoise. Plus récemment, la compétitivité des entreprises québécoises a été fortement réduite, et de façon précipitée, par la hausse rapide de la valeur du dollar canadien, gonflée par les exportations de pétrole de l’Alberta et de la Saskatchewan.
Parfois les dilemmes sont très explicites et le gouvernement fédéral doit procéder à des arbitrages qui ne sont pas toujours en faveur du Québec :
- Accorder une aide financière à l’avionnerie (Québec) ou à l’automobile (Ontario)?
- Protéger la gestion de l’offre (Québec) ou les exportations de bœuf (Alberta)?
- Faire construire des frégates par MIL Davie (Lévis) ou par Irving Shipbuilding (St-Johns)?
Une autre difficulté inhérente au régime fédéral tient à ce que les politiques économiques sont partagées entre deux ordres de gouvernement. Cette division est un moindre mal quand Québec et Ottawa poursuivent les mêmes objectifs, mais ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, après la Deuxième Guerre, le gouvernement fédéral était fermement résolu à appliquer des politiques keynésiennes commandant une présence importante de l’État, mais le gouvernement de Maurice Duplessis demeurait très attaché à la prépondérance du secteur privé, à l’équilibre budgétaire et à un endettement minimal. De même, dans les années 1960 et 1970, Ottawa cherchait à endiguer les investissements étrangers alors que Québec les considérait comme essentiels pour la modernisation de l’économie. Plus récemment, les gouvernements Harper et Charest d’abord puis Trudeau et Couillard par la suite ont poursuivi des objectifs opposés en matière de relance conjoncturelle et d’équilibre budgétaire.
Bref, le bilan économique des 150 années de la province de Québec, comme membre de la fédération canadienne, se prête difficilement à un jugement catégorique. Les gains et les pertes s’entremêlent au fil des époques et d’un enjeu à l’autre.
Référence :
Jean-Pierre Furlong, Les 150 ans du marché commun canadien.
[1] Qui comprenait alors ce qui allait devenir les provinces des Prairies.
[2] La principale bénéficiaire était l’Île-du-Prince-Édouard avec 2378 $ par habitant.
[3] L’Alberta est la seule province canadienne à avoir déjà fait défaut face à ses créanciers.