À compter de 1846, le Royaume-Uni est devenu libre-échangiste. Les colonies britanniques de l’Amérique du Nord ont alors perdu leur accès préférentiel à ce marché. Pour compenser, le gouvernement britannique a négocié pour ses colonies un accès préférentiel pour leurs ressources au marché des États-Unis. Le Traité de réciprocité commerciale qui en a découlé n’aura toutefois été en vigueur qu’une dizaine d’années (1855 à 1866).
En unifiant ces colonies en un pays, la Confédération est venue, entre autres, établir les bases du marché commun canadien et de sa politique commerciale. Un nouveau marché était ainsi créé. Les droits de douane, principal obstacle artificiel au commerce à l’époque, y ont été prohibés dans le commerce interprovincial. En outre, faute de pouvoir rétablir la réciprocité commerciale entre le Canada et les États-Unis, le gouvernement fédéral adopta, à compter des années 1870, diverses mesures qui en sont venues à constituer sa «Politique nationale».
Cette politique comportait, entre autres, une augmentation importante des droits de douane sur les importations de produits manufacturés pour favoriser le développement au Canada d’industries productrices de biens de consommation et de biens d’équipement pour les besoins du marché intérieur. Elle mettait aussi l’accent sur les infrastructures portuaires et ferroviaires ainsi que sur le peuplement de l’Ouest canadien en encourageant l’immigration. Cette politique façonnera le développement économique du Canada pendant des générations.
Avec le temps, pour diverses raisons, les gouvernements ont aussi adopté des mesures qui en sont venues à constituer des entraves internes à la libre circulation des biens, des services ou des personnes. Néanmoins, il est relativement moins contraignant pour les entreprises de transiger d’une province à l’autre qu’avec l’étranger[1].
Le mur tarifaire de la Politique nationale s’est toutefois graduellement érodé à partir de la deuxième moitié du vingtième siècle. Ont notamment contribué à cette érosion les résultats des négociations commerciales multilatérales tenues sous l’égide de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (maintenant partie intégrante des Accords de l’Organisation mondiale du commerce), et l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, devenu l’Accord de libre-échange nord-américain. Le recours à des obstacles non-tarifaires au commerce a aussi été encadré par ces divers accords.
Ces accords internationaux ont suscité des négociations visant à améliorer l’union économique au Canada, ce qui a donné naissance à l’Accord sur le commerce intérieur (1995). L’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne ainsi que le cent cinquantième anniversaire du Canada ont amené les gouvernements fédéral, des provinces et des territoires à aller plus avant en concluant l’Accord de libre-échange canadien (2017) qui entrera en vigueur le premier juillet.
Bien qu’il y ait eu des progrès notables, l’union économique au Canada demeure une œuvre inachevée à certains égards. Les efforts subséquents de libéralisation des échanges internes pourraient toutefois recevoir un coup de pouce de la Cour suprême. En effet, la Cour a accepté d’entendre la cause d’un résident du Nouveau-Brunswick qui a acheté de la bière au Québec pour consommation dans sa province, ce qui y est considéré illégal. La Cour a ainsi la possibilité de donner une interprétation moderne de la prohibition des droits de douane dans le commerce intérieur. Son jugement pourrait donc contribuer à faire tomber des obstacles aux échanges internes.
Bien des politiques, stratégies ou mesures peuvent aujourd’hui avoir des conséquences similaires à la Politique nationale même si elles n’y sont pas explicitement associées. Pensons à la gestion de l’offre de certains produits agricoles, aux restrictions à l’exportation de billes de bois, aux restrictions à la propriété étrangère de banques, de services de télécommunications ou de compagnies de transport aérien, aux restrictions au contenu étranger chez les diffuseurs à la télévision et à la radio, à l’exclusion de la santé, de la culture ou de l’éducation des engagements du Canada dans le cadre des accords commerciaux auxquels il adhère. Les programmes récents et à venir d’amélioration des infrastructures peuvent aussi être associés à l’idée d’une politique nationale visant à améliorer les échanges tant à l’interne qu’à l’externe, bien qu’ils n’aient pas la saveur protectionniste des exemples précédents.
Ainsi, le Canada, gouvernements fédéral et des provinces, continue de concilier l’ouverture aux échanges et la protection de certaines activités de la concurrence ou de la propriété étrangères dépendant des besoins de son économie et de ses priorités sur le plan du développement socio-économique.
Enfin, rappelons que la libéralisation des échanges internationaux du Canada et l’amélioration de l’union économique canadienne étaient partie intégrante des recommandations de la Commission royale sur l’union économique et les perspectives de développement du Canada, dont le rapport final a été publié en septembre 1985. Comme quoi ce ne sont pas tous les rapports qui sont destinés à la «tablette».
[1] À titre d’illustration, les exportations de biens et services du Québec vers le reste du Canada, un marché de 27 millions de personnes, ont atteint 72,3 milliards de dollars en 2016, soit près de 2 700$ par habitant. Celles vers l’étranger, un marché de 7,3 milliards de personnes, ont totalisé 108,5 milliards de dollars, soit près de 15$ par habitant.