LES CONDITIONS DE SUCCÈS DU NOUVEAU CANAL DE PANAMA

Introduction

Le 26 juin dernier, le gouvernement du Panama annonçait en grande pompe l’achèvement des travaux d’agrandissement du canal de Panama. La construction a été longue et difficile, aura duré près de cinq ans avec deux ans de retard, mobilisé 30 000 travailleurs et coûté plus de 5,2 milliards de dollars américains.

Les attentes dans le secteur maritime sont grandes. En effet, cette infrastructure joue un rôle stratégique à l’échelle internationale en permettant de réduire de façon considérable le temps de parcours des navires qui viennent d’Asie pour rejoindre la côte Est de l’Amérique, et vice-versa. La solution de rechange est le contournement du Cap Horn en empruntant le passage de Drake entre la pointe australe de l’Amérique du Sud et l’Antarctique.[1].

La part du canal de Panama dans le trafic mondial de marchandises atteint un peu plus de 4 %. Environ le tiers du trafic entre l’Asie et le Pacifique y transite[2] [3]. Son agrandissement permettra de faire doubler la capacité de transit de 280 à 600 millions de tonnes par année[4].

Le « Boston Consulting Group » et le spécialiste C.H. Robinson prévoient un déplacement des parts de marché du trafic de conteneurs de la côte ouest vers la côte est des États-Unis de l’ordre de 10 % d’ici l’an 2020[5].  D’autres recherches estiment aussi que l’impact de l’agrandissement du canal sera considérable sur les flux des échanges commerciaux de vrac, particulièrement entre l’Asie et l’Amérique.

Toutefois, il existe beaucoup d’incertitudes quant à l’impact réel des travaux d’agrandissement de cet ouvrage. Le commerce international a beaucoup évolué depuis quelques années. Le présent billet décrit trois conditions de marché nécessaires au succès du canal de Panama agrandi

1- Première condition : une évolution favorable du marché

Pour justifier les investissements réalisés à Panama, la demande mondiale en transport maritime devra être plus soutenue. Cette demande a été jusqu’à présent alimentée par la croissance des pays en développement. Or, ceci n’est plus garanti.

À cet égard, le graphique suivant de l’OCDE[6] illustre la convergence prévue des taux de croissance entre les économies développées et celles en voie de développement, d’où est dérivée la progression du transport maritime.

Projection des produits intérieurs bruts

(Taux de croissance annuel en %)

 Source: Johansson et Olaberria, 2014

On constate que la croissance des économies en développement a été historiquement supérieure à celle de l’économie mondiale mais qu’elle tend à converger vers celle des pays développés. De plus, il y aura une atténuation du taux de croissance de l’économie mondiale et, conséquemment, de la demande en transport.

Aussi, l’industrie du transport maritime se retrouve actuellement dans une situation d’offre excédentaire[7]. Les armateurs peinent à rentabiliser des montants investis pour la construction d’immenses navires[8]. Or, leur marge de manœuvre est limitée pour augmenter les droits de passage au niveau nécessaire pour assurer la rentabilité des investissements effectués sur le canal. Une hausse trop importante de la tarification pourrait même compromettre tous les efforts entrepris pour stimuler la demande.

Mentionnons finalement que le nouveau canal de Panama comporte aussi des limites physiques puisque les navires de plus de 13 000 EVP[9] de capacité ne peuvent pas l’emprunter[10]. Or, les plus gros navires nouvellement construits offrent maintenant une capacité de 20 000 conteneurs[11].

2-Deuxième condition : un équilibre des parts de marché à l’avantage de Panama

La deuxième condition a trait au rééquilibrage des parts de marché. L’entrée en fonction du nouveau canal de Panama aura pour effet de redéfinir les parts de marché entre les différentes routes maritimes. Or, la concurrence qui s’est développée entre ces routes au cours des années est très vive.

Le canal de Suez

Le canal de Suez est un compétiteur direct. Depuis les trois dernières années, le canal de Panama aurait perdu de 10 % à 15 % de ses revenus annuels au profit du canal de Suez dont le propriétaire, le gouvernement égyptien, a réduit les tarifs 65% pour certaines routes, dont celle de l’Asie vers la côte est des États-Unis. En plus des tarifs, le canal de Suez est concurrentiel parce qu’il peut servir de plus gros navires, ce qui permet aux armateurs d’utiliser un moins grand nombre de navires en service et de réaliser ainsi d’importantes économies. Ces économies de même que la réduction du temps de congestion compensent pour les coûts supplémentaires liés à la distance pour atteindre l’est de l’Amérique via le canal de Suez.

Le projet du canal du Nicaragua

Le projet du canal du Nicaragua est un autre concurrent potentiel. Le coût de ce projet d’envergure est évalué à plus de 50 milliards de dollars américains. Sa longueur de 280 kilomètres serait plus de trois fois celle du canal de Panama[12]. Plusieurs experts entretiennent de sérieux doutes sur sa rentabilité mais, s’il venait à être réalisé, la concurrence rendrait les deux infrastructures non viables sur le plan commercial. 

Le passage du nord-ouest

Une route maritime saisonnière empruntant l’Arctique pourrait voir le jour entre l’Asie et la côte est des États-Unis d’ici 2030[13]. Cette route serait définitivement plus courte que celles de Panama et de Suez et permettrait donc des économies appréciables. De plus, il n’existerait aucune limite à la taille d’un navire circulant sur cette route[14].

Distance entre les ports selon la route maritime

(kilomètres)

 

Itinéraire

Londres/

Yokohama

New York/

Yokohama

Hambourg/

Vancouver

Panama

23 300

18 560

17 310

Suez et Malacca

21 200

25 120

29 880

Cap Horn

32 289

31 639

27 200

Passage du Nord-Ouest

15 930

15 220

14 970

Source : Frederic Lasserre, « Fonte des glaces arctiques dans le passage du nord-ouest : quel avenir pour la souveraineté canadienne? », Options Politiques, novembre 2004, p.57.

 Ce projet est sérieux et réaliste mais il ne se concrétiserait pas avant plusieurs années. De toutes les routes, elle est celle qui apporterait le plus de possibilités pour les ports canadiens. Elle serait plus compétitive que les canaux de Panama et de Suez puisqu’elle réunit en une seule route les avantages de ces derniers.

La concurrence des routes terrestres

Le coût du volume unitaire de transport par train est généralement supérieur à celui du secteur maritime mais, avec le temps, les lignes ferroviaires sont devenues de plus en plus compétitives de sorte que les ponts terrestres peuvent maintenant concurrencer les voies maritimes[15].

D’immenses quantités de marchandises en provenance d’Asie sont débarquées aux ports de Los Angeles et de Vancouver dans le but d’être réacheminées par train vers les marchés respectifs. La compétitivité des ports des côtes ouest américaine et canadienne dépend beaucoup de leurs liens intermodaux qui permettent plus d’efficacité pour rejoindre les marchés de destination.

3- Troisième condition : un positionnement favorable à l’évolution des échanges commerciaux

Parallèlement à la mondialisation, la cartographie des échanges commerciaux a beaucoup évolué. Les routes utilisées ont été modifiées avec le temps. Cependant, l’évolution future des flux de commerce demeure difficilement prévisible.

Selon l’OCDE, les échanges entre les États-Unis et l’Asie iront en s’intensifiant en raison de l’industrialisation asiatique et de l’augmentation du pouvoir d’achat. Les exportations des pays asiatiques pourraient augmenter de 17 % à 28 % d’ici 2030, alors qu’il y aurait un affaiblissement de 28 % à 20 % pour la zone euro. Cette évolution devrait être à l’avantage du canal de Panama puisqu’elle indique que le transport sur le Pacifique sera plus important que celui sur l’Atlantique.

Mais, ce sont surtout les ports du golfe du Mexique, de la côte sud-est américaine et des Caraïbes qui profiteront de cette croissance. Pour ce qui est de la proportion du trafic provenant de la côte est canadienne, elle restera marginale, soit tout au plus 1 % ou 2 %[16].

L’acheminement de plus gros navires pourrait amener une plus grande concentration portuaire, ainsi que le développement de ports de transbordement dans les Caraïbes[17] qui se situent à la croisée des routes entre les deux Amériques et entre l’Amérique et l’Asie, d’une part, et entre l’Amérique et l’Europe, d’autre part. Les plus gros navires nécessitent plus d’espace, plus d’équipement spécialisé, plus de hauteur et de tirant d’eau, et plus de main-d’œuvre spécialisée. Or, toutes les administrations portuaires ne sont pas nécessairement disposées à recevoir de tels navires, d’où une plus grande concentration de l’offre portuaire pouvant les accueillir[18].

Les États-Unis pourraient tirer un avantage à l’exportation de certains produits agricoles et énergétiques à partir des sites portuaires du Golfe du Mexique. L’exportation de gaz naturel, de propane, de charbon et de pétrole liquide vers l’Asie, notamment la Chine et le Japon, serait ainsi appelée à croître en raison de l’agrandissement du canal de Panama.

Conclusions

L’impact qu’aura le canal de Panama élargi sur le transport maritime reste incertain. Plusieurs facteurs joueront dans l’avenir, notamment la croissance de l’économie mondiale, le haut niveau de concurrence entre les différentes routes ainsi que l’évolution des flux de commerce à l’échelle mondiale.

De façon générale, il aura peu d’impact sur le trafic dans l’est du Canada.

Note: Louis Bellemare est éditeur du site Le nouveau monde maritime.

[1] Planetoscope, http://www.planetoscope.com/Mobilite/1709-navires-qui-transitent-par-le-canal-de-panama.html

[2]The Panama Canal Expands,  https://www.bloomberg.com/view/articles/2016-06-14/ships-have-gotten-too-big

[3] Planetoscope, http://www.planetoscope.com/Mobilite/1709-navires-qui-transitent-par-le-canal-de-panama.html

[4] Site official du canal de Panama, https://www.pancanal.com/eng/

[5]How the Panama Canal Expansion Is Redrawing the Logistics Map https://www.bcgperspectives.com/content/articles/transportation-travel-tourism-how-panama-canal-expansion-is-redrawing-logistics/

[6] International trade-related freight and capacity needs, 2016, OCDE.

[7] Le prix du fret maritime tiré par les céréales, Les Échos, http://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/0211139521160-le-prix-du-fret-maritime-sec-tire-par-les-cereales-2015509.php

[8] Panama Canal Expands, WSJ,  http://www.wsj.com/articles/the-panama-canal-expands-1466378348

[9] EVP ou équivalent vingt pieds : unité de mesure de conteneur qui regroupe à la fois les conteneurs de 20 pieds et de 40 pieds. Un conteneur de 20 pieds vaut 1 EVP et un conteneur de 40 pieds en vaut 2

[10] WSJ, http://www.wsj.com/articles/the-panama-canal-expands-1466378348

[11] WSJ, http://www.wsj.com/articles/the-panama-canal-expands-1466378348

[12] Le projet titanesque d’un second Panama, La Croix, http://www.la-croix.com/Actualite/Economie-Entreprises/Economie/Le-projet-titanesque-d-un-second-Panama-2014-11-02-1230683

[13] Jonathan Amos, 2007, « Arctic summers ice-free ‘by 2013’ », BBC, [En ligne], http://news.bbc.co.uk/1/hi/sci/tech/7139797.stm (page consultée le 12 mars 2008)

[14] Frédéric Lasserre, 2004, « Fonte des glaces arctiques dans le passage du nord-ouest : quel avenir pour la souveraineté canadienne? », Options Politiques, novembre, p.56.

[15] L’élargissement du canal de Panama, chronique, Dominic Migneault, Centre d’études interaméricaines, http://www.cms.fss.ulaval.ca/recherche/upload/cei/fichiers/cei_dm_canal_avril2008.pdf

[16] Autorité de canal de Panama, https://www.pancanal.com/eng/op/transit-stats/index.html

[18] Au port de New York et New Jersey, les trois plus grands terminaux ne peuvent recevoir les plus grands porte-conteneurs  en raison de la hauteur du pont de Bayonne. Les coûts d’élévation du pont pour laisser entrer ces types de navires seraient de 1,3 milliard de dollars américains.