À nos déjeuners hebdomadaires, où les grandes questions de la semaine sont rapidement « résolues » en paroles, je pourrais être qualifié de radoteur en intervenant souvent avec la phrase suivante : n’oubliez pas que la qualité coûte de plus en plus cher.
Que veut-on exprimer par cette proposition ? C’est simplement le raisonnement suivant : une qualité supérieure s’apparente à une forme d’artisanat, ce qui demande de la minutie et du temps précieux. Toutefois, avec les années, la valeur du temps augmente avec la croissance de la rémunération du travail.
Le coût du travail ne se limite pas à la rémunération nette, mais doit inclure les coûts des avantages sociaux reliés à l’emploi et les différentes taxes sur la masse salariale dont le fardeau est supporté par les travailleurs.
Un prix croissant d’un objet est une incitation à moins l’utiliser. Le temps ne fait pas exception : il y a une incitation de plus en plus importante à l’économiser. Une façon de le faire est de sacrifier la qualité supérieure qui devient trop coûteuse vu son exigence en temps. Les services non standardisés ou personnalisés impliquent en effet des coûts relatifs croissants.
Application aux médias
Le coût croissant de la qualité trouve son application dans de multiples secteurs, dont le mien, le secteur de l’éducation et de la transmission des connaissances. Il y a déjà plusieurs années, le propriétaire d’un bon restaurant confiait que la qualité générale des sauces avait diminué pour s’ajuster à la croissance des coûts.
Le secteur de la communication et de l’information dans les médias reflète les coûts croissants de la qualité. L’impression fréquente qui se dégage est une volonté de remplir le temps alloué : prévisions de la météo en trois parties, références à quelques opinions tranchées de purs inconnus s’exprimant sur les réseaux sociaux ou sur la rue, segments publicitaires pour les événements culturels… Le contenant devient plus important que le contenu ou la forme plus que le fond. Cela trouve amplement son application dans l’information politique.
La recherche des faits avec leurs multiples facettes demande beaucoup de temps dans un monde où les départements de relations publiques de différentes organisations offrent gratuitement des bribes d’information bien polies. Il est aussi moins coûteux de recourir régulièrement aux « experts » généralistes aux opinions tranchées qui savent soulever les émotions.
C’est ainsi qu’un journaliste-chroniqueur, qui évolue sur de multiples plateformes, écrivait récemment : « Notre job de journaliste, dans son idéal absolu, devrait être d’emmerder les riches et les puissants. » À cet effet, ma préférence va à la citation attribuée au social scientist et personnage politique américain, Daniel Patrick Moynihan : « Chacun a droit à son opinion, mais pas à ses propres faits ».
La détérioration de la qualité est-elle inévitable ?
Le coût croissant de la qualité débouche logiquement sur la question suivante : la détérioration de la qualité est-elle une tendance ou un phénomène inévitable ? La réponse est négative et cela pour deux raisons : l’augmentation des revenus réels de la population et la croissance des connaissances provoquant le progrès technologique.
Comme il a été expliqué, le coût croissant de la qualité est le produit d’une rémunération qui augmente. Il en résulte que la population pourrait toujours s’offrir des produits de grande qualité même si leurs coûts relatifs croissent. Bien que la restauration de grande qualité ait des prix croissants, une population plus riche peut en accroître l’achalandage. Les prix plus élevés ont toutefois un effet contraire, rendant les substituts plus attrayants.
La croissance des connaissances et le progrès technologique gênent les forces favorables à la détérioration de la qualité. C’est sûrement le cas pour la chirurgie de la cataracte qui, avec le temps, est devenue une brève opération et presque banale. La venue de l’internet a considérablement augmenté les possibilités de s’informer pour le citoyen en multipliant les sources. Il pourra en être de même pour la formation universitaire si se réalise ce qui fut qualifié de « tsunami » de la formation en ligne ouverte à tous.
Le temps continuera toutefois de demeurer de plus en plus précieux.