LES ÉMETTEURS DE CARTES DE CRÉDIT LIMITENT LA CONCURRENCE DES AUTRES MODES DE PAIEMENT

Selon le Bureau de la concurrence du Canada, les pratiques des émetteurs des cartes de crédit, tel que  Visa et MasterCard, limitent la concurrence d’autres modes de paiement moins dispendieux, dont l’usage de la monnaie, de la carte de débit et de chèques, par le biais des frais chargés aux marchands et des restrictions qu’ils leur imposent.  Le Tribunal de la concurrence du Canada devrait se prononcer dans les prochains mois sur les accusations de la Commissaire à la concurrence.[1]

COÛTS ÉLEVÉS DES PAIEMENTS PAR CARTES DE CRÉDIT

Les frais qu’encourent les détaillants pour le paiement des achats dans leurs commerces différent grandement d’un mode de paiement à un autre. L’extrait suivant d’un texte produit par le Bureau de la concurrence illustre très bien ce point :

À titre de comparaison, les frais d’acceptation et de traitement des transactions par cartes de débit (Interac) payés par les commerçants sont des frais fixes d’environ 12 cents, quel que soit le montant de l’achat. Prenons un exemple concret : les frais d’utilisation de cartes de crédit cachés de 2,5 % perçus sur un barbecue à 200 $ s’élèvent à 5 $, tandis qu’il en coûterait seulement 12 cents pour ce même achat effectué par carte de débit. Les frais afférents au paiement par carte de crédit sont quarante fois plus élevés que ceux afférents au paiement par carte de débit[2]

Ces estimations sont corroborées par des études de la Banque du Canada.

LA STRATÉGIE DE VISA ET MASTERCARD ET SES CONSÉQUENCES

Les émetteurs de cartes de crédit auraient pu choisir de charger directement aux consommateurs l’entièreté des coûts d’opération liés aux paiements d’un achat par carte de crédit. Cette stratégie aurait incité les consommateurs à aller vers les autres modes de paiement pour éviter de payer des frais relativement élevés.  Les émetteurs ont préféré imposer cette charge aux détaillants, tout en leur interdisant de la transférer directement et explicitement aux consommateurs. Cette stratégie a eu plusieurs conséquences.

Les détaillants ont refilé ce coût en incluant cette charge dans le prix de biens et services qu’ils vendent à l’ensemble des consommateurs.  De leur côté, la grande majorité des consommateurs ne connaissent pas le montant que les émetteurs chargent aux détaillants.

Comme la charge liée à l’utilisation d’une carte de crédit est beaucoup plus élevée que celles liées aux paiements en espèces et avec la carte de débit, le consommateur n’est nullement incité, dans un tel système, à choisir un mode de paiement qui serait moins coûteux. Le consommateur a l’impression que son choix d’utiliser sa carte de crédit n’a aucun effet sur le prix du bien ou du service qu’il achète. Si ceci est vrai sur le plan individuel, collectivement c’est faux. La somme des frais élevés chargés aux détaillants par les émetteurs de cartes de crédit a pour effet de hausser le prix de vente des détaillants. L’absence d’incitatifs pour aller vers des modes de paiement moins onéreux a pour effet de hausser les prix payés par l’ensemble des consommateurs (utilisateurs ou non de la carte de crédit).

Le système actuel force donc les détaillants à refiler aux consommateurs les frais imposés par les émetteurs sans que les consommateurs ne réalisent l’impact de ces hausses sur les prix à la consommation et sans qu’ils soient incités à aller vers d’autres modes de paiement. Les émetteurs ont donc manœuvré pour avoir un marché extrêmement captif. Ils peuvent ainsi tirer une rente liée à l’absence d’information et d’incitatifs à aller vers des modes de paiement moins coûteux. La capture de cette rente peut être amplifiée par la collusion entre les émetteurs qui sont très peu nombreux (c’est un oligopole).

Le système actuel fait en sorte que les non-utilisateurs de cartes de crédit (ceux qui utilisent les modes de paiement moins coûteux) subventionnent implicitement les utilisateurs de cartes de crédit. Ceci est tout à fait inapproprié et injuste.

Les émetteurs de cartes de crédit affirment qu’ils permettent aux détaillants d’offrir des rabais aux consommateurs qui choisissent de payer en espèces ou par cartes de débit et ce faisant, qu’ils n’empêchent pas la mise en place d’incitatifs pour pousser les consommateurs vers d’autres modes de paiement plus économiques. Cette solution, même si elle représente une certaine amélioration au niveau des conditions de concurrence, est loin d’être optimale.  Les émetteurs désirent en fait que la fixation des prix «réguliers» soit faite en se basant sur le mode le plus coûteux de paiement, la carte de crédit. Cela implique que les prix «réguliers» devaient être haussés si les émetteurs augmentent les charges liées aux cartes qu’elles émettent et si les consommateurs utilisent davantage des cartes  dont la charge est relativement  élevée (des cartes à primes).  Lors de ces changements, les détaillants seraient obligés (selon la façon de faire permise par les émetteurs) de contrebalancer les hausses des charges par des hausses des rabais accordés pour l’usage des autres modes de paiement. Plus il y a de diversité dans les caractéristiques des cartes de crédit émises ainsi que dans les charges qui les accompagnent, moins cela fait sens que le prix «régulier» soit défini en se basant sur l’usage de cartes de crédit. Par contre, il est approprié que la fixation des prix «réguliers» soit définie en se basant sur un mode de paiement moins sujet à des fluctuations, plus près de la monnaie nationale et à plus faible coût. Les détaillants pourraient alors charger directement aux consommateurs des surcharges liées aux frais spécifiques et additionnels attachés aux diverses cartes de crédit émises.

UNE GRANDE DIVERSITÉ DE SERVICES ADDITIONNELS OFFERTS PAR LES CARTES DE CREDIT

Une des raisons qui font que le coût de l’usage des cartes de crédit est supérieur au coût des paiements en espèces ou par cartes de débit est liée au fait que les cartes de crédits offrent, en plus d’un simple service de paiement pour un achat, plusieurs autres services. Elles offrent non seulement un service de crédit, mais aussi des plans de récompenses, divers types d’assurances, des rabais sur certains achats… Ces coûts n’ont rien à voir avec la valeur de l’achat qui est fait et son paiement. Dans la très grande majorité des cas, les détaillants ne retirent aucun avantage de ces services additionnels. Plus une carte de crédit offre d’autres services que celui de paiement moins cela fait sens que le coût additionnel soit ajouté à la valeur de l’achat fait chez le détaillant et qu’il soit refilé aux autres consommateurs. Ces services additionnels et les charges qui l’accompagnent devraient donc être directement facturés à ceux qui font usage de cartes de crédit.

Notez que si les différents modes de paiement imposaient aux détaillants des coûts relativement proches, il y aurait peu d’avantage à révéler et à imposer aux consommateurs une charge spécifique reliée au choix du mode de paiement.  Ce n’est pas un problème si le prix des détaillants inclut un coût minimal pour l’ensemble des systèmes de paiement, particulièrement le coût lié aux paiements en espèces et par carte de débit.  Il faut donc éviter que les détaillants chargent à l’ensemble des consommateurs des frais qui vont au-delà de ce coût minimal. Le permettre ferait en sorte que l’ensemble des consommateurs paieraient pour un service de paiement plus coûteux et pour d’autres services (crédit, assurances, primes….) qu’ils n’utilisent pas. De telles charges supplémentaires sont une subvention implicite des non-utilisateurs de cartes de crédit pour les utilisateurs de cartes de crédit.

NOTE : Cet article est une version abrégée d’un texte transmis au Tribunal de la concurrence et au Bureau de la concurrence.  Le document intégral peut être consulté sur le site de l’Association des économistes québécois (http://w1p.fr/78683 ). L’auteur remercie Jean-Claude Cloutier, Jean-Michel Cousineau et Thérèse Laflèche pour leurs  commentaires.  Les opinions exprimées n’engagent que lui.


[1] Reference : Affaire CT 2010-010 : La commissaire de la concurrence c. Visa Canada Corporation et MasterCard International Incorporated et al); Avis de Demande sous l’article 76 de la Loi de la concurrence – Maintien des prix (en anglais seulement), 2010-12-15, http://www.ct-tc.gc.ca/CMFiles/CT-2010010_Notice%20of%20Application%20pursuant%20to%20section%2076%20of%20the%20Competition%20Act%20-%20Price%20Maintenance_1_38_12-15-2010_7965.pdf ; Réplique de la commissaire de la concurrence (en anglais seulement), 2011-02-14, http://www.ct-tc.gc.ca/CMFiles/CT-2010-010_Reply%20of%20the%20Commissioner%20of%20Competition_25_38_2-14-2011_1182.pdf