Les inégalités de revenus : causes, évolution et situation québécoise

La question des inégalités de revenus a retenu l’attention de nombreux économistes au Québec comme un peu partout ailleurs dans le monde.

• Pour certains, l’inégalité des revenus est une préoccupation qui fait l’objet d’une enquête et d’un questionnement. Pourquoi les inégalités sont ce qu’elles sont? Pourquoi ont-elles évolué comme elles l’ont fait?

• Pour d’autres, il importe de savoir si l’inégalité des revenus conduit à un ensemble de calamités sociales (criminalité, inégalités de santé, décrochage scolaire,…) que l’on peut associer aux inégalités (Wilkinson et Pickett, 2010). Finalement, il y a ceux qui lui attribuent la cause ultime de la récession de 2008 (Attali 2008) puis ceux (Reich 2011, Courchesne 2011) qui la perçoivent comme un empêchement pérenne à la reprise économique américaine.

• À l’autre extrême, il y a ceux qui considèrent que les préoccupations de ce genre sont une perte de temps (Feldstein 1998) : tant que les riches ne s’enrichissent pas au détriment des autres classes de revenus il y a amélioration parétienne. C’est la pauvreté, c’est-à-dire les personnes et les familles qui vivent sous les seuils de pauvreté dont il faut se préoccuper.

Dans ce court article, nous discuterons brièvement des facteurs d’inégalités en termes généraux, des facteurs explicatifs de leur évolution dans le temps puis de la situation québécoise en particulier.

 Quelques facteurs d’inégalités

L’inégalité est ce qu’elle est en raison de facteurs de marché comme de facteurs hors marché. Parmi la liste des facteurs de marché, on peut énoncer l’offre et la demande.

D’autres facteurs d’inégalités interviennent. Dans les programmes d’évaluation des emplois aussi bien que dans les systèmes d’équité salariale, il doit y avoir des différences de salaire compensatoire pour des exigences différenciées liées aux qualifications acquises, à l’effort aussi bien mental que physique, aux responsabilités de même qu’aux conditions de l’environnement de travail. Dans le tableau suivant, on constate qu’il existe une différence ou un rapport de 10 :1 du plus haut traitement comparativement au plus bas salaire pour un échantillon choisi de professions à partir des données du recensement de 2006 pour les revenus de 2005.

Tableau 1. Salaires de quelques professions au Québec en 2005.

  • Juge 175 000 $
  • Médecin spécialiste 172 000 $
  • Médecin généraliste 140 000 $
  • Dentistes 137 000 $
  • Avocat 110 000 $
  • Cadre supérieur adm. publique 82 000 $
  • Directeur finances 77 000 $
  • Ingénieur 76 000 $
  • Directeur ressources humaines 74 000 $
  • Économiste 71 000 $
  • Architecte 64 000 $
  • Analyste informatique 64 000 $
  • Chimiste 63 000 $
  • Opérateur papier 63 000 $
  • Inspecteur aliments 56 000 $
  • Conseiller en ressources humaines 52 000 $
  • Infirmière 51 000 $
  • Manœuvre mines 48 000 $
  • Inhalothérapeute 47 000 $
  • Plombier 47 000 $
  • Technicienne de laboratoire 41 000 $
  • Menuisier 37 000 $
  • Commis au classement de doc. 36 000 $
  • Aide métier construction 35 000 $
  • Assembleur automobile 33 000 $
  • Assembleur électronique 33 000 $
  • Opérateur cuir 33 000 $
  • Boucher industriel 31 000 $
  • Concierge 31 000 $
  • Manœuvre transformation 26 000 $
  • Conducteur scie à chaînes 25 000 $
  • Ouvrier pépinière 19 000 $
  • Caissier 19 000 $
  • Coiffeur 17 000 $

Source : Information sur le marché du travail, Emploi Québec.

D’autres facteurs attestés par les études économiques peuvent aussi intervenir pour expliquer ce même tableau : la taille de l’entreprise, la syndicalisation, la région, l’industrie, la réglementation de certaines professions et de certains secteurs …, de même que les imperfections de marché liées à la concentration des acheteurs de services de travail (monopsones), à l’information imparfaite ou encore à la mobilité imparfaite de la main-d’œuvre. Finalement, la discrimination (sexe, race, statut d’immigrants,…) ainsi que tout un ensemble de traits et de caractéristiques (difficilement observables par les chercheurs) liés à la spécificité de l’entreprise ou encore de caractéristiques personnelles (sociabilité, débrouillardise, élan, santé, responsabilités familiales,…) qui font que certains individus obtiennent plus de succès que d’autres sur le marché de l’emploi. Bien entendu, il serait intéressant de savoir lesquels de ces facteurs sont les plus importants mais il n’est pas possible, dans l’état actuel des connaissances, de répondre à cette question si ce n’est de dire que la scolarité est le facteur le plus robuste et le plus répandu.

L’évolution des inégalités

Du côté de l’évolution des inégalités à travers le temps, on considère que la mondialisation, les changements technologiques et l’affaiblissement des institutions propres au marché du travail (salaire minimum, syndicalisme) sont les principaux facteurs explicatifs de leur agrandissement depuis le début des années 1980. Plus récemment, on a fait état de la formation de couples à forte corrélation de revenus, ce qui veut dire que ce sont les couples à hauts revenus qui ont eu tendance à s’unir et à constituer de la sorte une explosion des familles à hauts revenus (OCDE, 2011).

Finalement, les travaux de Piketty et Saez (2005) ont bien montré que la part (23 %) des revenus qui revenait aux 1% des revenus supérieurs aux États-Unis en 2007 était, après avoir connu un déclin remarquable, revenue exactement au même niveau que celle que les hauts revenus détenaient en 1928. Dans le cas du Québec, nous découvrons toutefois que cette part est beaucoup plus modeste, en particulier si nous parlons des francophones (7 %) comparativement aux anglophones (un peu moins de 14 %) (Veal 2010, p. 19). Par contre, il importe de le souligner, c’est essentiellement dans le 0,1 % de la distribution des revenus que la très large partie de ces gains se sont réalisés.

Qui gagnent ces plus hauts revenus (0,1 %)? Freeman (2011) répond : 42,5 % appartiennent à la haute administration des entreprises (Chief Executive Officers ou CEO); 21,7 % sont constitués d’occupations liées à la finance et à l’immobilier. Le reste est composé d’avocats (7,3 %), médecins (5,9 %), artistes ou sportifs (3,0 %), informaticiens (2,9 %), professeurs et scientistes (0,9 %).

La situation au Québec

Pour terminer, nous dirons un mot sur l’évolution des inégalités au Québec. La mesure d’inégalité retenue est le coefficient de Gini. Celui-ci mesure l’écart entre une distribution fictive où l’égalité serait parfaite d’un côté et la distribution effective de ces revenus de l’autre. Quand le Gini est près de zéro cet écart est petit et on dit que l’inégalité est faible. Plus il se rapproche de l’unité plus on dit que l’inégalité est grande. Trois coefficients de Gini font l’objet de publication.

Le premier de ces trois coefficients s’adresse aux revenus de marché. Ceux-ci incluent les revenus de travail, les revenus d’emploi à son compte, les revenus d’intérêts, de loyer et de dividendes (financiers). Le second coefficient de Gini ajoute les paiements de transferts gouvernementaux (aide sociale, assurance emploi, pensions de vieillesse, sécurité du revenu, bourses aux étudiants, etc.) à ces mêmes revenus. Ces paiements contribuent à réduire les inégalités de revenus. Le troisième coefficient retranche l’impôt sur le revenu précédent. Lui aussi reflète une réduction des inégalités de revenus.

Les comparaisons des coefficients de Gini pour deux périodes (1986-1995 et 1996-2006) sont particulièrement éloquentes. Si on prend la période 1986-1996, on trouve que les inégalités de marché ont augmenté. Le coefficient de Gini de marché est effectivement passé d’une valeur de 0,476 en 1986 à 0,508 en 1995. Par ailleurs, il apparaît que la structure et les changements apportés aux transferts et aux impôts ont conduit à l’annulation complète des inégalités de revenus sur cette période. Le coefficient de Gini après impôts s’est établi à 0,350 en 1995 alors qu’il avait une valeur de 0,352 en 1986.

Pour une période plus récente, nous avons refait le même exercice. De 1996 à 2006, nous avons pu trouver que les inégalités de marché ont diminué mais que les inégalités de revenus après impôts ont augmenté. Le coefficient de Gini après impôt est passé d’une valeur de 0,363 en 1996 à 0,376 en 2006. Deux raisons expliquent ce résultat. D’une part, les coupures qui ont été opérées au niveau fédéral en matière de transferts sociaux auprès des provinces et, deuxièmement, la baisse des impôts qui a fait que les plus hauts revenus ont payé moins d’impôts alors que la situation n’a pas changé pour les plus bas revenus.

Bibliographie

  • Attali, Jacques (2008), «La crise et après?», Fayard.
  • Courchesne, Thomas J. (2011), « Rekindling the American Dream », The 2011 IRPP Policy Horizons Essay, Institut de recherche en politique publique, Montréal.
  • Feldstein, Martin (1998), « Income Inequality and Poverty », National Bureau of Economic Research, Working Paper 6770, www.nber.org/papers/w6770 , octobre.
  • Freeman, Richard (2011), «Welcome to the New World of Inequality», OECD Policy Forum, Paris, 2 mai.
  • OCDE (2011), «Growing Income Inequality in OECD Countries: What Drives it and How Can Policy can Tackle it?”, OECD Forum on Tackling inequality», Paris, 2 mai.
  • Reich, Robert (2011), «Le jour d’après… Sans réduction des inégalités pas de sortie de crise!», Vuibert, (Paris), février.
  • Saetz, Emmanuel et Michael R. Veall (2005), « The Evolution of High Incomes in Northern America : Lessons from Canadian Evidence », American Economic Review, juin, 831-849.
  • Veall, Michael R. (2010), «Top Income Shares in Canada: Updates and Extensions», Working Paper, Department of Economics, McMaster University, Hamilton, 20 mai 2010.
  • Wilkinson, Richard et Kate Pickett (2010), «The Spirit Level, Why Equality is Better for Everyone», Penguin Books, London, 2010.