LES LIENS ENTRE LA DÉMOGRAPHIE ET LA CROISSANCE DANS UNE PETITE ÉCONOMIE

À la veille du congrès annuel de l’ASDEQ ayant pour thème Démographie, immigration et transformation du marché du travail : menaces ou opportunités ? , il m’apparaît approprié de reprendre le billet concernant l’impact macro sur l’économie du Québec de son intégration au monde extérieur.

Dans une économie complètement fermée sur l’extérieur ou autarcique, la quantité des facteurs de production, capital et travail, est fixe et leurs prix varient en fonction des conditions intérieures. Pour une économie ouverte ou intégrée au monde extérieur, c’est le contraire : les prix sont déterminés de l’extérieur et ce sont maintenant les quantités de facteurs qui varient vu leur mobilité. Pour les économistes, ce modèle est celui de la « petite économie ».

Ce modèle simple prédit que le déclin relatif de l’économie du Québec par rapport au reste du Canada se traduit par une baisse de son poids démographique tout en conservant une importante égalisation de la rémunération réelle.

Baisse du poids démographique du Québec

La Figure 1 donne l’évolution de la part de la population du Québec sur celle du Canada depuis 1921. Cette part s’est maintenue à environ 29 % entre 1941 et 1966 pour ensuite montrer une nette tendance à la baisse pour atteindre 22,6 % en 2018. Pour la période de 52 ans entre 1966 et 2018, la part de la population du Québec a baissé de 6,3 unités de pourcentage, soit de plus d’un dixième d’un pour cent par année.

La population va où sont les emplois. La population en Alberta a été jusqu’à récemment en forte expansion, alors que celle des provinces maritimes stagnait. Ces évolutions n’étaient pas influencées par les taux de natalité de ces deux régions mais bien plutôt par leur développement économique respectif.

 Figure 1. Part de la population du Québec au Canada, 1921-2018

Source : Institut de la statistique du Québec

Déclin relatif de Montréal et Québec

L’importante baisse de la part relative de la population du Québec au Canada se manifeste naturellement dans l’évolution relative de ses deux plus importantes régions métropolitaines, Montréal et Québec. Le Tableau 1 se limite aux neuf plus importantes régions métropolitaines de recensement (RMR) en donnant pour 2016 la population, la part des personnes nées à l’extérieur et l’augmentation quinquennale de la population au cours de la période 1996 à 2016. Sur ce dernier point, l’accroissement de la population de Montréal et Québec fut inférieure à la croissance moyenne canadienne pour trois lustres sur quatre et cela malgré leur caractère très urbain qui les favorise.

Dans une comparaison des trois plus grandes métropoles canadiennes, outre l’augmentation beaucoup moins importante de sa population, la région de Montréal se distingue des régions de Toronto et de Vancouver par la part des immigrants dans sa population : avec 23,4 %, Montréal surpasse légèrement la moyenne canadienne de 21,9 % mais est bien en deçà du 46,1 % de Toronto et de 40,8 % de Vancouver.

Tableau 1 Les principales régions métropolitaines de recensement : population, part des immigrants en 2016 et augmentation de la population au cours des quatre lustres entre 1996 et 2016

 

Population en 2016

Part des immigrants dans pop. 2016 (%)

Accroissement quinquennal de la population (%) 

2001/1996

2006/2001

2011/2006

2016/2011

Toronto

5 928 040

46,1

9,8

9,2

9,2

6,2

Montréal

4 098 927

23,4

3,0

5,5

5,3

4,2

Vancouver

2 463 431

40,8

8,5

6,5

9,3

6,5

Calgary

1 392 609

29,4

15,7

13,4

12,6

14,6

Ottawa-Gatineau (Hull)

1 323 783

19,7

6,5

5,9

9,0

5,5

Edmonton

1 321 426

23,8

8,7

10,4

12,1

13,9

Québec

800 296

5,7

1,6

4,2

6,5

4,3

Winnipeg

778 489

23,9

0,7

2,7

5,1

6,6

Hamilton

747 545

24,1

6,1

4,6

4,1

3,7

Canada

35 151 728

21,9

4,0

5,4

5,9

5,0

Source : Statistique Canada

Deux points ressortent de la comparaison de la région métropolitaine de recensement de Québec avec les RMR de taille comparable, Winnipeg et Hamilton.  Pour les trois régions, l’accroissement quinquennal de la population fut inférieur au taux canadien pour trois périodes sur quatre. Mais ce qui est le plus frappant est la faible part de la population de la région de Québec née à l’étranger, soit 5,7 pour cent contre des parts de près de 24 % pour les deux autres régions. Ce faible taux d’attraction des immigrants de la région de Québec se reflète dans un marché du travail plus contraint et lui permet ainsi de montrer un taux de chômage relativement bas.

Sur une plus longue période

Il est intéressant de regarder l’évolution relative de longue période pour la population des deux régions métropolitaines du Québec avec leur contrepartie ontarienne (Tableau 2). La situation a beaucoup changé depuis 1951 lorsque la population de Québec était approximativement égale à celle d’Ottawa-Hull et que la région métropolitaine de recensement de Montréal avait une population supérieure de 25 pourcent à celle de Toronto. Montréal était alors la métropole économique du Canada. Aujourd’hui, Québec a les trois cinquièmes de la population de la région d’Ottawa-Gatineau et Toronto dépasse Montréal d’environ trente pour cent.

  Tableau 2 Rapports de la population de la RMR de Québec sur celle d’Ottawa-Gatineau et de la population de la RMR de Montréal sur celle de Toronto,

Québec/Ottawa-Gatineau(Hull)

Montréal/Toronto

1951

97,5

124,9

1961

83,2

115,6

1971

79,8

104,4

1981

80,2

94,3

1991

68,0

81,7

2001

63,6

75,7

2011

61,1

70,5

2016

60,5

69,1

Source : Statistique Canada

Malgré une prospérité moins forte, une égalisation des rémunérations

Les données montrent un important déclin du Québec à l’intérieur de l’économie canadienne. Une dimension positive demeure. L’ouverture très grande des économies régionales comme celle du Québec provoque une application du principe des vases communicants : un marché intégré favorise une égalisation interrégionale des prix dont celui du travail. Qu’en est-il ?

Selon les critères de la rémunération hebdomadaire moyenne, du revenu personnel disponible par tête et du PIB par habitant, le retard relatif du Québec par rapport à l’Ontario se situerait en 2016 entre 10 et 15 %. (Tableau 3)

Tableau 3 Comparaison du revenu et de la production par personne, Québec-Ontario en 2016

 

Québec

Ontario

Québec/Ontario

Rémunération hebdomadaire moyenne ($) (incluant le temps supplémentaire)

878,48

973,66

90,2 %

Revenu personnel disponible des ménages par habitant ($)

27 776

31 632

87.8 %

PIB aux prix du marché par habitant ($)

48 297

57142

84,5 %

Source : Institut de la statistique du Québec

Pour savoir si ce retard de revenu est bien réel, il faut connaître le différentiel du coût de la vie entre les deux provinces. De telles données ne sont pas disponibles an niveau des provinces ; elles le sont cependant pour des villes canadiennes. Selon les estimations pour 2016 de Statistique Canada des indices comparatifs des prix de détail de douze villes canadiennes, le coût de la vie à Montréal est inférieur de 14,8 % par rapport à celui de Toronto. Pour le logement, l’écart est de 33 %, le prix du sol s’accaparant une bonne partie du bénéfice qu’apporte le dynamisme d’une région.

Il existe une autre mesure du différentiel du coût de la vie entre les principales villes canadiennes ; c’est la mesure de faible revenu à partir d’un panier de consommation correspondant à un niveau de vie de base pour une famille de deux adultes et deux enfants. Pour 2016, cette mesure donne un estimé de 15 % inférieur à Montréal par rapport à Toronto (35 818$ contre 42 154$).

La voie détournée d’une comparaison du coût de la vie entre Montréal et Toronto permet d’affirmer que l’écart du revenu moyen réel entre le Québec et l’Ontario est négligeable.

Conclusion

La conclusion de ce billet est sans ambiguïté : toute augmentation éventuelle de l’efficacité des politiques québécoises ou de l’économie québécoise en général ne se traduira pas par un accroissement du revenu réel des québécois mais plutôt par un accroissement de la population. C’est l’enseignement de l’application à l’économie du Québec du modèle réaliste d’une         « petite économie » où les ajustements ne se font pas par les prix mais plutôt par les quantités.