LES PROBLÈMES DE MESURE DU DEGRÉ D’INTERVENTION PUBLIQUE

L’économie du dernier siècle a été marquée par deux phénomènes importants : l’accélération de la croissance économique et la croissance de l’État dans l’économie. L’accélération de la production fut en effet accompagnée d’une part de plus en plus grande prise par le secteur public : soixante-dix ans de régimes communistes à l’Est et, dans les pays développés, l’implantation et la consolidation de l’État providence ou de l’État assureur. Comme le montre la figure 1, il y eut une accélération  de l’importance relative du secteur public dans les économies développées au cours des  années soixante et soixante-dix.

Figure 1

Dépenses gouvernementales en pourcentage du PIB pour la moyenne de treize économies développées*, 1913-2009

*Allemagne, Angleterre, Autriche, Belgique, Canada, Espagne, États-Unis, France, Italie, Japon, Pays-Bas, Suède, Suisse.

Source : The Economist (2011: 17)

Au Canada, les dépenses des administrations publiques ne représentaient respectivement que 15,1% et 21,3% de la production ou du PIB en 1926 et en 1950 contre environ 50% entre 1985 et 1995. En 2011, c’était 42,9%. L’intervention gouvernementale ne se limite  pas aux seules dépenses publiques. Par exemple, les modes d’intervention qui modifient les prix relatifs sont fort nombreux : subventions, taxes, tarifs douaniers, contingentements, entreprises publiques, achats préférentiels, réglementations traditionnelles ou sociales, interdictions.[1] Ceci pose des problèmes de mesure du degré des interventions publiques que ce texte veut simplement illustrer.

Dépenses ou non-revenus

Il y a de l’arbitraire dans l’estimation des dépenses publiques, et cela affecte évidemment la fraction que représentent les dépenses publiques par rapport à la production. Par exemple, la substitution d’un crédit d’impôt pour enfant aux allocations familiales dans les années quatre-vingt-dix avait fait baisser la valeur de cette fraction. Une dépense avait été changée en du non-revenu. Suivant une recommandation de la vérificatrice générale du Canada, cette prestation fiscale  redevint une dépense en 2006.

L’économiste David Bradford proposait régulièrement une   merveilleuse façon de sabrer dans les dépenses et les revenus du gouvernement américain sans toucher aux services gouvernementaux. Au lieu de gaspiller les revenus des taxes sur des achats d’équipement militaire, le Congrès américain pourrait tout simplement créer  un « crédit d’impôt pour offre d’armes » qui permettrait aux manufacturiers d’armes de recevoir une diminution de taxes  contre la livraison au gouvernement américain d’armes répondant à certaines spécifications. Le budget américain montrerait ainsi des recettes et des dépenses moindres. Bradford (2001 :7-8)

Dépenses fiscales

Pour obtenir une meilleure image, mais encore incomplète, du secteur gouvernemental, il faut ajouter aux dépenses réellement effectuées les dépenses implicites faites par la voie des réductions particulières de taxes qui sont appelées «dépenses fiscales». Au Canada, en 1992, les dépenses réellement effectuées représentaient 45% de l’économie. L’ajout des dépenses implicites portait le pourcentage à 67%, une part de l’économie qui est donc accrue de 50%. Hansson et Stuart (2003 : 670 et 676)

Il existe des données plus récentes de l’importance relative des dépenses fiscales.  Pour l’administration fédérale, les dépenses fiscales avaient soustrait en 2004 l’équivalent de 6,6 unités de pourcentage de PIB de recettes, soit 55% des recettes fiscales. OCDE (2010 :92)  En 2011, pour l’administration québécoise, les dépenses fiscales totalisèrent 21,0 milliards de dollars, soit l’équivalent de 34,3 % de l’ensemble des revenus fiscaux. Finances Québec. (2012 : A.26) Le concept de dépenses fiscales soulève toutefois des problèmes de définition tout particulièrement entre le critère du  revenu d’une année et  de celui d’une vie (consommation).

Réglementation

La réglementation gouvernementale est omniprésente dans le monde d’aujourd’hui. En voici une illustration. Le gouvernement fédéral des États-Unis publie quotidiennement le Federal Register qui indique toutes les règles et réglementations proposées ou finalisées. En 2007, cette publication a totalisé 72 090 pages. Comme l’affirme Allen Meltzer (2007 :14) : » Voici le premier principe de la réglementation: les avocats et les politiciens rédigent les règles et les marchés  développent les moyens de contourner les règles sans les violer.»

Un bon exemple d’une importante intervention gouvernementale qui ne se traduit pas par des dépenses gouvernementales accrues est le soutien  des prix des produits laitiers par les contingentements de production et des mesures tarifaires. Selon les estimés de l’OCDE (2011 : 321 et 342), les producteurs de lait canadiens recevaient en 2010 un transfert estimé à 3,6 milliards de dollars, soit 60,7 pourcent des recettes brutes pour le produit, à un coût pour les consommateurs de 3,8 milliards.

Conclusion

Pour connaître précisément l’évolution de l’intervention gouvernementale, il faudrait agréger les effets de toutes les mesures. Et là encore persisterait le problème selon lequel le tout n’est pas égal à la somme des parties, puisque certains instruments d’intervention ont des effets opposés. Par exemple, si tous les secteurs d’activité étaient protégés à vingt pour cent par différentes mesures, la protection effective de chacun serait nulle puisque les prix relatifs ne seraient pas modifiés.

Si le rapport des dépenses gouvernementales sur le PIB est un indicateur utile mais incomplet de la présence du secteur public dans l’économie, la répartition des dépenses et des revenus entre différents niveaux des administrations est aussi un indicateur utile mais incomplet de l’évolution de la centralisation dans une fédération. Par exemple, la baisse importante de la contribution fédérale en espèces dans le financement des dépenses provinciales de santé, à partir de la fin des années quatre-vingt jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix, n’a aucunement réduit le caractère contraignant de la Loi canadienne sur la santé.[2]

Enfin, une question reliée à ce texte, et combien plus intéressante, concerne  l’économique du choix des instruments de l’intervention gouvernementale. Par exemple, pourquoi dans le soutien des revenus des producteurs agricoles, les instruments utilisés sont-ils différents dans la production porcine par rapport à ceux choisis pour le secteur laitier?

Bibliographie

Bradford, D.F. 2001. Reforming Budgetary Language, Cambridge, MA: National Bureau of Economic Research, Working Paper 8500.

 Finances Québec. 2012. Dépenses fiscales-Édition 2011, Québec: Gouvernement du Québec.

Meltzer, A.H. 2007. «Regulatory Overkill», The Wall Street Journal, (27 mars):14.

OCDE. 2010. Études économiques de l’OCDE: Canada, Paris : Éditions OCDE.

OCDE. 2011. Politiques agricoles : suivi et évaluation 2011 : Pays de l’OCDE et économies émergentes, Paris : Éditions OCDE.

Stegarescut, D. 2005. «Public Sector Decentralisation: Measurement Concepts and Recent International Trends «, Fiscal Studies, 26, (septembre): 301-333.

The Economist. 2011, “How to slim the state will become the great political issue of our times”, (19  mars): 17.


  1    Un  courriel publicitaire me transmettait l’information suivante : « Les Publications Canadiennes  offrent au public une édition révisée de l’Annuaire des subventions  au Québec 2011 contenant plus de 1800 programmes d’aides et de subventions provenant des divers paliers gouvernementaux et organismes.»

[2]       Les problèmes de mesure de la décentralisation fiscale sont étudiés par  D. Stegarescut (2005).  Selon lui, « La comparaison des données établies selon les différents concepts de mesure indique que les indicateurs fiscaux courants surestiment considérablement le degré de décentralisation des revenus dans la plupart des pays. Des pays fédéraux tels l’Allemagne et l’Autriche  apparaissent tout particulièrement être plus centralisés que des pays unitaires comme le Danemark et la France. » (p. 325)