Les manuels d’économie distinguent quatre facteurs de production soit le sol, la main-d’œuvre, l’entreprise et le capital. Par capital, on comprend spontanément les ressources financières, les infrastructures, la machinerie et l’outillage, mais le capital inclut aussi le capital naturel. Ce dernier est constitué d’une panoplie diversifiée comprenant notamment la forêt, l’eau, la faune terrestre et aquatique de même que les hydrocarbures et les minéraux. On peut même sans trop exagérer y ajouter le soleil et le vent, voire la beauté des paysages et la température. Bref, tout ce que la nature offre et qui peut être transformé en biens et services par le travail et l’esprit d’entreprise constitue un capital pouvant servir au développement économique.
Un bien
Pour plusieurs historiens[1], les ressources naturelles ont été le principal moteur du développement de l’économie canadienne grâce à l’exportation à grande échelle de produits de base ou «staples». Albert Faucher a apporté à cette thèse la nuance que les ressources naturelles n’ont pu jouer un rôle moteur qu’en autant qu’elles correspondaient aux besoins des marchés et aux processus technologiques en usage. Ainsi, l’ère de la grande sidérurgie au XIXe siècle n’a guère profité au Québec mal pourvu en charbon et en minerai de fer facilement exploitable. Ce sont plutôt les villes des Grands Lacs et de l’Ohio qui ont tiré bénéfice de la forte demande d’acier provoquée par la construction des grands chemins de fer transcontinentaux. Les choses ont changé au tournant du XXe siècle avec l’émergence de l’électricité dans les procédés industriels, notamment dans l’électrométallurgie. Cette fois, c’était le Québec qui était avantagé du fait de son potentiel hydroélectrique exceptionnel.
En vertu de cette vision, le développement économique d’une région ou d’un pays dépend de sa capacité à susciter des investissements dans l’exploitation de ressources naturelles. Plus il y a de tels investissements, plus des emplois sont créés et plus les effets d’entrainement en amont et en aval alimentent la croissance d’autres industries ou de services. Ce raisonnement conduit à une volonté de développer au maximum et le plus vite possible les ressources et, compte tenu de l’importance des capitaux nécessaires, à une grande ouverture aux investissements étrangers.
Une dotation abondante en ressources naturelles représente certes un avantage comparatif indéniable. Qui n’envie pas les contribuables albertains, saoudiens, norvégiens et vénézuéliens, qui ont profité des largesses de gouvernements pouvant compter sur des revenus pétroliers considérables? Qui plus est, les industries extractives sont hautement productives. On est loin de l’époque où la production primaire se faisait essentiellement à force de bras et avec le seul secours de la traction animale.
Un mal
Cependant, une dotation naturelle abondante comporte aussi des pièges. L’extraction et la transformation primaire des ressources procurent des revenus qui peuvent dispenser de l’effort et des risques inhérents à la production et à la mise en marché de produits et de services plus élaborés. Ces activités peuvent aussi accaparer des facteurs de production qui, autrement, pourraient être utilisés en vue du développement d’une plus grande diversité d’industries. Force est de constater que, malgré ses ressources pléthoriques, le Canada affiche une piètre performance en innovation et que les Canadiens dépendent plus que jamais de l’importation d’une grande variété de biens manufacturés. Un secteur des ressources très développé peut aussi pousser à la hausse le taux de change et les salaires, et miner par le fait même la compétitivité d’autres secteurs d’activités. En outre, les économies dépendantes de l’exportation de ressources naturelles doivent vivre avec de fortes fluctuations cycliques de la demande pour leurs produits. Enfin, certains auteurs estiment que les ressources naturelles constituent une incitation très forte aux manœuvres antidémocratiques (lobbying, corruption) de la part d’une oligarchie désireuse de détourner à son profit une richesse abondante[2].
Pour toutes ces raisons, il est hasardeux de compter uniquement sur une ressource naturelle abondante pour assurer la croissance à long terme des économies locales ou régionales. Ainsi, après une croissance fulgurante, Shawinigan a connu un déclin tout aussi spectaculaire quand elle n’a plus été en mesure de satisfaire l’accroissement de la demande pour l’approvisionnement électrique. De même, après que l’exploitation du minerai de fer ait fait la fortune de la Côte-Nord sous Duplessis, la région a connu un long marasme quand les minières se sont tournées vers des régions du monde où les couts d’extraction étaient moins élevés. Et est-il nécessaire de rappeler que plusieurs communautés ont souffert au cours des dernières années de leur trop grande dépendance envers une usine de sciage ou une fabrique de pâte et papier?
Alors?
Finalement, une riche dotation naturelle est-elle vraiment un bien, ou n’est-ce pas plutôt un mal qui empêche l’émergence d’une économie diversifiée et robuste? Le parcours économique de la Suisse ou du Japon, dépourvus en ressources, n’est-il pas préférable à celui des États pétroliers du Golfe?
Il apparait raisonnable de penser que le capital naturel, qu’il soit pauvre ou abondant, ne représente pas un destin inéluctable. Tout dépend de ce qu’on en fait et, de toute façon, les autres facteurs de production ont aussi leur importance. Par ailleurs, l’économie mondiale est organisée en pôles et en satellites qui fournissent à la fois des marchés et des ressources pour ces pôles. La mondialisation a atténué quelque peu la rigidité de ce clivage mais il demeure difficile pour une économie riche en ressources mais peu populeuse d’échapper totalement au rôle de pourvoyeur de produits de base.
Un article précédent (Scieurs de bois et porteurs d’eau?) a traité de l’importance des ressources naturelles dans les économies canadienne et québécoise.