L’article qui suit est le troisième d’une série portant sur les relations pouvant être établies entre la mondialisation et le marché de l’emploi. Le premier article, publié le 5 décembre dernier sur Libres Échanges, présentait le point de vue du prix Nobel Michael Spence quant aux liens entre le recul économique des États-Unis et la mondialisation. Pour favoriser l’adaptation aux effets de la mondialisation, Spence s’oppose à des coupures importantes de dépenses publiques. Pour lui, l’optimum à moyen terme serait de réduire la consommation et de favoriser les investissements en capital humain. En outre, Spence prône la création d’emplois dans les segments à haute valeur ajoutée. Il appelle aussi une réforme de la fiscalité pour la simplifier et la reconfigurer en vue de promouvoir la compétitivité, l’investissement et l’emploi. Il recommande en outre la diminution du taux d’impôt sur les entreprises américaine pour favoriser leurs activités aux É.-U. Le deuxième article, publié le 16 décembre, faisait état des objections présentées par Richard Katz et Robert Lawrence aux idées de Spence et des réponses de ce dernier. Dans ce 3e article de la série, nous examinons les applications possibles des idées de Spence au contexte canadien.
Le Canada
La situation canadienne diffère sensiblement de celle des États-Unis. Le secteur primaire y est plus important et les exportations pétrolières portent la valeur de dollar canadien vers le haut aux dépens du secteur secondaire surtout localisé en Ontario et au Québec (la maladie hollandaise). Le taux de change élevé s’ajoute au déplacement de certains segments industriels outremer (l’externalisation) pour expliquer les pressions sur le secteur secondaire. Ce sont des particularités qui doivent figurer dans nos analyses du chômage et de l’évolution des revenus.
S. Rao, dans une étude[1] publiée le 21 novembre 2011 par l’Institut de Recherche sur les Politiques, souligne la faible progression de la productivité du travail au Canada, celle-ci ayant augmenté de 0,7% par année durant les années 2000, comparativement à 2,7% aux États-Unis. Nos politiques fiscales et monétaires, la qualité de nos ressources humaines, le souci de nos gouvernements pour l’amélioration des infrastructures, la R&D et l’innovation aident cependant à compenser notre bas niveau de productivité.
Notons que les insuffisances de d’innovation expliquent en partie la faible productivité du Canada. Ainsi, le nombre de brevets par 100,000 employés étant en moyenne de 3,9 seulement au Canada entre 2004 et 2008 comparativement à 21 au Japon, 15,7 en Allemagne et 10,3 aux États-Unis.
Par ailleurs, notre secteur secondaire est en déclin pour bon nombre de raisons correspondant à celles mises en lumière par Spence, Katz et Lawrence[2]. En découlent des problèmes de croissance économique et de répartition des revenus tels que révélés par la diminution de l’emploi et la hausse du chômage au cours du dernier trimestre de 2011. Une étude du Conference Board indique que la création d’emploi devrait diminuer dans 13 grandes villes canadiennes; une autre étude du même organisme révèle que l’écart entre les riches et les pauvres s’est creusé au Canada depuis 1995 de sorte qu’en 2010, les 20% les plus riches disposait de 40% des revenus totaux et les 20% les plus pauvres de 7%.
Le Québec
Au Québec, selon le dernier rapport[3] du Centre sur la productivité et la prospérité, la faible croissance du niveau de vie et de la productivité du travail (0,96% et 0,93% en moyennes annuelles) depuis le début des années 2000 fait en sorte que la moyenne des niveaux de vie des 20 pays sélectionnés par le Centre dépasse maintenant celle du Québec de 16% alors qu’au début des années 1980 elle n’était que de 2% supérieure. Le Centre identifie la faiblesse du taux de croissance de la productivité du travail comme cause principale mais ajoute, et à juste titre selon nos propres analyses, le rôle des grands centres urbains et des services comme déterminants importants du niveau de vie. Voilà des éléments qui devraient figurer plus explicitement dans les politiques de développement économique.
Notre faible niveau d’investissement brut en machinerie, équipement et structures industrielles est aussi à examiner. Ainsi, alors qu’au niveau du Canada on a investi en capital brut 97 sous et 86 sous par rapport à un dollar investi dans les pays de l’Ocde et aux É.U. entre 2005 et 2009 (on en est à 95 et 83 sous en 2011), au Québec on n’a investi que 62 et 56 sous respectivement entre 2005 et 2009 et 62 et 54 sous en 2011[4]. Notre pauvre performance en termes de productivité du travail et de productivité multifactorielle, la diminution de la productivité des entreprises exportatrices sous contrôle étranger, notre fiscalité, l’évolution de notre taux de change, l’effet de levier financier, la nature et l’évolution de notre structure industrielle sont parmi les facteurs qu’il nous faut examiner pour expliquer les lacunes dans notre performance en termes de productivité et d’investissement brut , et tenter d’y remédier, ce à quoi nous nous attarderons dans un prochain article pour Libres Échanges.
Des pistes d’action
La recomposition mondiale des chaines de valeur ajoutée et l’externalisation sont également à l’œuvre dans des économies ouvertes comme le sont celles du Québec et du Canada. La disparition de la Commission Canadienne du blé et la participation du Canada aux négociations en cours avec l’Europe et maintenant avec l’Asie du Pacifique dans le cadre du Partenariat Trans Pacifique ne feront qu’ajouter à la nécessité de restructurer notre économie vers les activités de haute technologie. Nos régimes d’assurance emploi et de soutien du revenu doivent être mis à contribution comme par le passé, mais il nous semble indiqué de s’inspirer de l’expérience de l’Allemagne où l’on a ciblé les segments à haute technologie des chaînes de valeur ajoutée. Il faut également retenir la suggestion de Spence à l’effet de concentrer les efforts sur la formation et la création d’emplois pour favoriser la participation au marché du travail des travailleurs qui sont touchés plus directement par la libéralisation des échanges. L’importance donnée en Allemagne aux grappes industrielles de pointe (Spitzenclusters) et à leur performance (Kompetenzletze) est également à retenir dans le cadre d’une stratégie axée sur la croissance, la stabilité et l’équité.
[1] RAO, Someshswar, Cracking Canada’s Productivity Conundrum, IRPP, novembre 2011. http://w1p.fr/46879
[2]Notre article du 14 novembre dernier sur Libres Échanges présente des résultats qui s’apparentent à ceux que Spence attribue à la mondialisation. http://w1p.fr/46880
[3]Centre sur la productivité et la prospérité, Productivité et prospérité au Québec, Bilan 2011,http://w1p.fr/46883
[4] Selon des données tirées de BUSBY C. ET ROBSON W., The Retooling Challenge: Canada’s Struggle to Close the Capital Investment Gap, e brief, Institut C.D. Howe, 6 décembre 2011.