Le de cette série sur les villes et le développement économique faisait état de la précarité des finances municipales en l’abordant surtout sous l’angle des revenus. Qu’en est-il du côté des dépenses? En effet, il existe une pensée, qui frôle d’ailleurs, sans jeu de mots, la légende urbaine, selon laquelle les municipalités comptent une large part d’écarts de conduite au niveau des dépenses[1].
Le Tableau 1 fait le point sur ce sujet. Il présente l’évolution des dépenses d’opération (excluant donc les dépenses de capital) du gouvernement fédéral, du gouvernement du Québec et de l’ensemble des municipalités québécoises. Les données s’étendent de 1981 à 2009. Malheureusement, Statistique Canada ne met plus à jour ses données sur les autorités locales depuis 2010. Cependant, la période est suffisamment longue pour en tirer des conclusions qui vont totalement à l’encontre du mythe de la ville dépensière. Ainsi, la croissance des dépenses des municipalités québécoises a été moindre que celles des deux autres paliers de gouvernement au cours de cette période de presque 30 ans. Entre 1981 et 2009, la croissance annuelle moyenne des dépenses d’opération des municipalités québécoises s’est chiffrée à 4,2 p. 100 contre 4,6 p. 100 pour le gouvernement fédéral et 5,1 p. 100 pour le gouvernement du Québec.
Tableau 1. Dépenses d’opération des différents paliers de gouvernement
(Croissance annuelle moyenne des dépenses en dollars courant exprimée en pourcentage)
Palier de gouvernement | 1981-89 | 1990-99 | 2000-09 | 1981-2009 |
Fédéral | 8,5 | 1,4 | 3,9 | 4,6 |
Québec | 7,5 | 2,8 | 4,9 | 5,1 |
Ensemble des municipalités québécoises | 5,2 | 1,8 | 4,9 | 4,2 |
Source : Statistique Canada, Comptes Publics.
Dans une étude récente, la Fédération Canadienne de l’Entreprise Indépendante (FCEI) n’y allait pas de main morte en concluant que la montée en flèche des dépenses municipales avait coûté très cher aux ménages canadiens[2]. Fondant ses observations uniquement sur la période 2001-2013, la FCEI affirmait que les dépenses des villes devraient croître au rythme de l’inflation et de la croissance démographique combinées. Selon ce point de vue, les dépenses des municipalités québécoises auraient donc dû croître au rythme d’environ 2,9 p. 100 par année entre 2001 et 2013. Or, le tableau 1 ontre que ces dépenses ont plutôt cru de 4,9 p. 100 par année en moyenne entre 2000 et 2009. En d’autres mots et si on fait abstraction du léger décalage entre les deux périodes d’observation, la croissance des dépenses des autorités municipales a été de 2 points de pourcentage par année plus élevée que ce qu’elle aurait dû être. Un tel écart équivaut à environ 30 p. 100 de surcroit de dépenses au terme de la décennie. C’est d’ailleurs exactement ce que l’étude de la FCEI montre pour Montréal et Québec, les deux villes du Québec incluses dans cette étude.
Cependant, tirer des conclusions à partir de cette seule décennie ne donne pas un portrait exact de la situation. En fait, on pourrait même se questionner sur le choix de cette période particulière. Si l’on veut véritablement dresser un portrait de la performance des municipalités en ce qui a trait à leurs dépenses d’opération, il faut regarder l’évolution de la situation sur une période beaucoup plus longue. En outre, l’étude de la FCEI néglige le fait que les municipalités québécoises se sont serré la ceinture durant les années 1990 puisque leurs dépenses n’ont alors progressé que de 1,8 p. 100 en moyenne par année malgré que le taux d’inflation et la croissance de la population auraient suggéré une croissance de près de 4 p. 100 par année. Au cours de cette décennie, les villes étaient aux prises avec une très faible progression des valeurs foncières et elles n’ont fait que profiter d’un certain retour du balancier dans les années 2000. En fait, sur l’ensemble de la période de près de 30 ans qui apparait au tableau 1, les villes ont exactement respecté le barème de la FCEI, à savoir maintenir un rythme de croissance des dépenses équivalent à celui de la croissance combinée de la population et de l’indice des prix à la consommation.
Des méthodologies d’arbitrage déficientes
L’examen de l’évolution des dépenses municipales ne serait pas complet sans tenter d’expliquer pourquoi la rémunération moyenne des employés municipaux était près de 30 p. 100 plus élevée que celle des employés du gouvernement du Québec en 2010. En effet, compte tenu de la précarité financière dont se plaignent les élus municipaux, il aurait été logique de s’attendre à ce qu’ils restreignent la rémunération de leurs employés puisque celle-ci compte pour 36 p. 100 des dépenses totales des villes. Toutefois, tout n’est pas aussi simple. En effet :
Si l’écart [de rémunération] atteint aujourd’hui une telle ampleur, c’est en raison des relations de travail dans le secteur municipal et le pouvoir des négociations qu’elles confèrent respectivement aux employeurs et aux différentes catégories d’employés. Les élus municipaux déplorent le faible rapport de force des municipalités dans la négociation des conventions collectives auquel s’ajoute un mode d’arbitrage débouchant plus souvent qu’autrement sur une spirale vers le haut des conditions de travail[3].
Trop souvent, dans le cadre de ce processus, les salaires de certains employés municipaux au Québec sont nivelés avec ceux de villes de taille comparable d’un peu partout au Canada. Par exemple, pour les employés de la Ville de Montréal, une comparaison sera effectuée avec les employés des villes de Toronto et de Vancouver. Cette comparaison devient fort boiteuse lorsqu’elle omet, et c’est souvent le cas, de comparer les coûts de la vie auxquels font face les employés de l’une ou l’autre ville. En effet, le coût de la vie est nettement plus prononcé à Toronto et à Vancouver qu’il ne l’est à Montréal. Un arbitrage ne tenant pas compte de ces différences conduit donc à des salaires réels des employés municipaux de Montréal nettement plus élevés que ceux de leurs homologues des autres grandes villes canadiennes.
La corruption n’explique pas tout
Au cours des années récentes, les allégations de corruption, les travaux de la Commission Charbonneau et les arrestations d’anciens dirigeants municipaux ont fait monter le scepticisme à l’égard de la probité et de la compétence des autorités municipales.
Cependant, il ne faudrait pas en conclure que la corruption suffit à expliquer les investissements insuffisants en infrastructure et les difficultés financières des municipalités québécoises. Ce serait beaucoup trop simple. En fait, des études réalisées par le Conference Board du Canada montrent que ce sont les villes de l’ensemble du Québec, voire même de l’ensemble du Canada, qui ont besoin d’un nouveau cadre financier[4]. Ainsi, utiliser la corruption pour expliquer les défis financiers des municipalités reviendrait à dire que toutes les municipalités du Québec et du Canada sont corrompues. Cette conclusion serait tout à fait inappropriée. La grande majorité des dirigeants municipaux sont des gens qui ont à cœur le bien-être de leur municipalité et qui se dévouent pour leurs concitoyens et ce, malgré une rémunération des maires/mairesses et des conseillers/conseillères parfois ridiculement faible. D’ailleurs, tous et toutes s’affairent à mettre en place une gouvernance d’une intégrité sans faille. Cependant, il ne faut surtout pas croire que ce « ménage » solutionnera tous les problèmes des municipalités québécoises.
[1] Voir par exemple la chronique de Stéphanie GRAMMOND dans l’édition du 30 mai 2014 de La Presse.
[2] Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), Regard sur les dépenses municipales au Canada, mai 2014.
[3] Livre Blanc Municipal – L’avenir a un lieu, Union des municipalités du Québec, 2012, p. 44.
[4] Voir Le Conference Board du Canada et l’Union des municipalités du Québec, La situation fiscale des municipalités québécoises, mai 2003; et Le Conference Board du Canada, Implement Sustainable Funding for Canada’s Cities, Janvier 2008.