Un nombre grandissant d’études décrivant l’importance des villes dans le développement économique des nations a vu le jour au cours des 20 dernières années[1]. Parmi les plus prolifiques auteurs sur le sujet, citons Bruce Katz, vice-président et directeur du Metropolitan Policy Program à la Brookings Institution. Monsieur Katz compte de nombreux écrits traitant de ce sujet dont plusieurs livres incluant son tout dernier intitulé : The Metropolitan Revolution – How Cities and Metros Are Fixing Our Broken Politics and Fragile Economy.
De cette littérature, on apprend que le processus d’urbanisation s’est fortement intensifié au cours du dernier siècle et que la croissance économique de la plupart des pays industrialisés tire de plus en plus son origine des grandes villes. Le Canada n’a pas échappé à cette tendance. Au même moment, et paradoxalement, les villes canadiennes se retrouvent au bas de la chaîne alimentaire au niveau de la fiscalité. En partie à cause de leur grande transparence, les villes ont du mal à faire croître leur principale source de revenu (l’impôt foncier) au même rythme que leurs dépenses. Qui plus est, les villes ont hérité au fil des ans de responsabilités additionnelles sans que, en conséquence, leur soient transférés des revenus supplémentaires. Il en résulte pour les villes une santé financière des plus précaires. Or, comment peut-on espérer que les villes rivalisent avec Shanghai, Hong Kong, Londres et Paris si on ne leur accorde pas un cadre législatif et financier qui leur permette d’atteindre leur plein potentiel économique?
Un monde de plus en plus urbain
Le processus d’urbanisation a été très intense depuis le milieu du 19e siècle. Ce phénomène est vrai non seulement au Québec et au Canada, mais dans le monde entier. Selon Statistique Canada, la part de la population urbaine du Québec est passée de 15 p. 100 en 1851 à 81 p. 100 en 1971 et a été stable depuis. Au Canada, ce ratio est passé de 13 p. 100 en 1851 à 76 p. 100 en 1971, puis a progressé doucement pour atteindre 81 p. 100 (comme au Québec) en 2011. En 2013, près de 70 p. 100 de la population québécoise se retrouvait dans ses six régions métropolitaines de recensement (RMR), à savoir Gatineau, Montréal, Québec, Saguenay, Trois-Rivières et Sherbrooke.
Il est très peu probable que ces ratios battent en retraite, que ce soit au Québec ou au Canada. En effet, Statistique Canada prévoit que d’ici 20 ans, la totalité de la croissance de la population du Canada proviendra de l’immigration. Puisque les immigrants ont tendance à s’installer dans les villes, il y a fort à parier que le taux d’urbanisation progressera encore davantage au Canada.
L’activité économique a emboîté le pas à ce mouvement démographique. Malheureusement, il n’y a pas de données du produit intérieur brut réel qui remontent à 1851. Toutefois, selon les données du Conference Board du Canada, la part du produit intérieur brut du Québec qui était attribuable à ses six régions métropolitaines de recensement (RMR) était de 75 p. 100 en 2013. Au chapitre de l’emploi, cette même part s’élevait à 72 p. 100. Là aussi, il serait étonnant de voir ces ratios diminuer au cours des prochaines années.
L’effet d’entraînement des villes
En plus du mouvement démographique et économique que l’on y a observé, les villes canadiennes ont aussi un effet d’entrainement important sur l’activité économique dans les communautés qui les entourent, voire sur toutes les communautés de leur province[2]. C’est en tout cas ce que révèle une étude portant sur les RMR de Halifax, Montréal, Toronto, Winnipeg, Regina, Saskatoon, Calgary, Edmonton et Vancouver[3]. En utilisant des données s’échelonnant de 1987 à 2003, l’étude démontre qu’une poussée de croissance dans l’une de ces 9 RMR entraîne une accélération de la croissance économique dans le « reste » de sa province. L’étude conduit aussi une simulation qui démontre que les investissements effectués dans ces 9 régions centres ont des répercussions plus grandes sur l’ensemble de l’économie que des investissements effectués ailleurs en province.
Bien que l’étude ne puisse le démontrer, faute de statistiques concernant les villes de tailles plus petites, il y a fort à parier que plusieurs autres RMR ont aussi une incidence sur les communautés qui les entourent. Pensons au Québec à des RMR telles que Québec, Saguenay, Trois-Rivières et Sherbrooke.
Toutefois, il n’est pas question d’affirmer que les communautés rurales n’ont aucune incidence économique sur le monde urbain. D’ailleurs, le Conference Board du Canada a clairement démontré que les communautés rurales du Québec et de l’Alberta contribuent également à l’essor économique du monde urbain[4]. L’effet d’entraînement est certes moins prononcé, mais il existe de manière indéniable.
Le rôle clé que jouent les grandes villes sur les économies du Québec, du Canada et du monde n’ira pas en s’estompant. Il est de plus en plus question de la montée de l’économie du savoir et de l’importance sans cesse grandissante de l’innovation. Même s’il est vrai que l’arrivée d’Internet permet à un nombre grandissant de travailleurs d’effectuer leur travail d’à peu près n’importe où, l’innovation a lieu surtout dans les grandes villes soit là où les gens se réunissent et où les grappes d’activité se forment. De plus, les immigrants, par leurs idées nouvelles, contribuent à l’innovation et ces derniers vont continuer d’affluer surtout dans les grandes villes.
Par-dessus tout, les grandes villes du monde entier se retrouvent au centre des chaînes d’approvisionnement mondial qui guident maintenant la quasi-totalité de la production. En effet, très peu de biens sont de nos jours produits à un seul et même endroit. La première étape peut parfois avoir lieu au Canada, la seconde au Mexique, la troisième aux États-Unis et la quatrième en Chine! Dans un tel contexte, les producteurs cherchent à s’établir dans des endroits stratégiques : des endroits où les biens et services peuvent venir et repartir rapidement, des endroits où tous les types d’infrastructure sont regroupés et où plusieurs modes de transport sont facilement accessibles. Ces endroits sont les grandes villes.
[1] À signaler également, la publication en mars 2014 par les villes de Montréal et de Québec du document «Un nouveau pacte pour les grandes villes du Québec». Ce document contient des références fort utiles sur le rôle des municipalités tant au niveau économique que social.
[2] Dans un livre intitulé The Wealth & Poverty of Regions – Why Cities Matter, Mario Polèse démontre que cette situation s’observe un peu partout à travers le monde.
[3] Lefebvre, Mario et Nathalie Brender, Canada’s Hub Cities: A Driving Force of the National Economy, Le Conference Board du Canada, Juillet 2006.
[4] Voir Les communautés rurales, l’autre moteur économique du Québec, Le Conference Board du Canada, juin 2009; et Alberta’s Rural Communities : Their Economic Contribution to Alberta and Canada, Le Conference Board du Canada, mars 2012 (mis à jour en avril 2014).