L’ÉVALUATION D’IMPACT INTÉGRÉE POUR CONSTRUIRE DE MEILLEURES POLITIQUES PUBLIQUES

Les politiques publiques, incluant celles qui s’incarnent dans des projets de loi et de règlement, ont un cycle de vie. Les idées brutes de politiques naissent habituellement au sein ou dans l’entourage du parti politique appelé à former le gouvernement. Ces idées gagnent généralement en maturité et réussissent mieux le « test du réel » dans l’espace public lorsqu’on les soumet au préalable, le temps qu’il faut, à un « stage administratif» dans les ministères et organismes (MO). Enfin, dépendant d’une foule d’aléas, ces politiques cèdent tôt ou tard la place à d’autres plus en phase avec l’air du temps.

Le meilleur moyen de concocter un bon projet de politique est, en bref, de fixer un objectif très clair et de simuler les impacts de plusieurs scénarios, chacun attribuant des valeurs différentes à des paramètres clés. Pour chacune des simulations, les impacts positifs sont mis en balance avec les impacts négatifs. L’exercice s’arrête à l’obtention du meilleur ratio avantages/inconvénients, c’est-à-dire du meilleur avantage net pour la population.

L’évaluation des impacts est pratiquée depuis plusieurs années au Québec. Elle a surtout été développée pour soutenir la prise de décision gouvernementale.

Une grande diversité d’impacts devant être évalués

Le décret gouvernemental concernant l’organisation et le fonctionnement du Conseil exécutif[1] regroupe en grande partie les exigences devant être respectées lorsqu’une proposition ministérielle est soumise à l’approbation du Conseil des ministres. L’annexe A de ce décret définit la forme et le contenu du mémoire accompagnant ladite proposition. Elle précise que les résultats de l’évaluation des impacts doivent être regroupés sous les rubriques Activité réglementaire (impacts sur les entreprises), Relations intergouvernementales, Implications territoriales et Implications sur les jeunes.

Aux exigences imposées par ce décret se sont ajoutées, au fil des ans, d’autres obligations, dont certaines sont enchâssées dans des lois : mention des impacts sur la santé, sur le revenu des personnes et des familles en situation de pauvreté, sur les personnes handicapées, etc. La Loi sur le développement durable exige par ailleurs de tenir compte de seize principes, ce qui requiert la réalisation d’un exercice évaluatif englobant. 

Problèmes limitant l’utilité des évaluations d’impact actuelles

Cette multiplicité d’impacts à évaluer peut être justifiable pour bon nombre de projets, mais l’éparpillement des mécanismes d’évaluation (ex. méthodologies, guides, formulaires, personnes ressources) rend difficile l’appréciation globale de ces projets.

Ces mécanismes vont d’une approche coût-bénéfice structurée, à l’approche sectorielle ou clientéliste ou à la simple opinion professionnelle. Les évaluations sont généralement peu concluantes, du fait que les nombreux impacts ne sont pas ramenés à un dénominateur commun.

En outre, l’évaluation des impacts réalisée par les MO desservant une clientèle est susceptible d’être biaisée en faveur de ladite clientèle.

Enfin, ces évaluations d’impact sont souvent vues comme des exigences administratives à satisfaire en fin d’exercice, juste avant l’examen de la proposition ministérielle par le Conseil des ministres. L’on peut ainsi s’interroger sur la rigueur de l’exercice étant donné qu’il s’agit d’une justification a posteriori d’une décision déjà prise par les autorités ministérielles porteuses du projet.

Proposition : l’évaluation d’impact intégrée

Pour pallier ces difficultés, les nombreux mécanismes d’évaluation d’impact actuels gagneraient à être unifiés. Il ne s’agit pas ici de faire réaliser les évaluations par une seule entité gouvernementale omnisciente. Les évaluations continueraient à être réalisées par les entités expertes, en santé, en commerce international, en environnement, etc. Tous s’entendraient toutefois sur une méthode d’évaluation commune, procédant d’une approche coût-bénéfices, et une entité coordonnatrice procéderait au redressement de biais éventuels. Autrement dit, les impacts positifs et négatifs d’un projet de politique seraient dorénavant soupesés sur les deux plateaux d’une même balance.

La seconde avenue  d’intégration serait de couvrir, tant au niveau du déclencheur de l’évaluation que de son contenu, l’ensemble des impacts possibles d’un projet de politique.

Aussi, l’exercice d’évaluation d’impact ex ante serait intégré à un cycle de vie modèle des politiques, lequel regrouperait, en une dizaine d’étapes, les processus d’élaboration et d’évaluation (ex ante et ex post) des politiques[2]. Cette intégration serait réalisée au début ou en amont du cycle de vie des politiques, ce qui en favoriserait également la qualité.

La démarche proposée peut apparaître lourde, mais elle peut aisément être allégée en vertu  du principe de proportionnalité, dosant l’effort consenti en fonction de l’importance du projet.

L’avenue de l’évaluation d’impact intégrée, ainsi que le concept apparenté de la gouvernance intégrée, est explorée depuis quelques années par la Commission européenne et par certains pays occidentaux[3]. Au Québec, cette avenue pourrait aussi intégrer l’orientation gouvernementale en faveur de l’évaluation permanente des programmes, à laquelle l’Association des économistes québécois a donné son appui[4].

Les avantages de la proposition

La constitution, avec le temps, d’un corpus de meilleures politiques publiques par le recours à l’évaluation d’impact intégrée constitue le principal avantage de la proposition.

Le risque de mauvaise décision du Conseil des ministres, du fait d’agenda surchargé, de recherche de capital politique, de renvoi d’ascenseur entre ministres, etc., serait amenuisé, compte tenu que seuls des projets de politiques bien construits et déjà passés au tamis de l’évaluation des principaux avantages et inconvénients leur seraient désormais présentés. Le « test du réel » de certains projets de politiques pourrait de ce fait être moins chaotique.

En conclusion, les économistes et les experts en évaluation d’impact disposent d’un bagage analytique leur permettant de mettre au point de meilleurs projets initiaux de politiques publiques, basés sur les résultats de la science et les faits probants.

Il importe donc de mettre à profit toute l’expertise pertinente en la matière. Un rapport ayant influencé l’adoption des évaluations d’impact au sein de l’Union européenne soulignait par exemple que « …l’objectif final (…) est d’aider à rétablir la confiance dans la gouvernance et d’améliorer la crédibilité et la légitimité des gouvernements »[5].

Autrement dit, la population n’a pas signé «un chèque en blanc » à ses élus!